Tribunal de Pontoise : « J’en ai assez de me retrouver ici, j’aimerais avoir une vie telle que vous »
Kamel est prévenu d’avoir (encore) frappé sa compagne, avec qui il entretient une relation « toxique », dit la procureure, sur fond d’alcoolisme et de précarité. À l’audience, il dit sa version des faits et son infini désarroi, face à cette vie qui le mine.
Les faits remontent au 18 juillet, mais juste avant sa comparution deux jours plus tard, Kamel a souffert d’une pancréatite aiguë, alors l’audience a été renvoyée d’office au 21 août. Ce jour-là, il était apte et d’accord pour être jugé, mais la victime n’ayant pas été avisée, la présidente a renvoyé le procès d’office. La victime, c’est Mounera, 5 jours d’ITT (incapacité temporaire totale). Ce 4 septembre 2023, elle est absente mais représentée par son avocate, alors tout va bien, l’audience peut débuter. La présidente du tribunal procède au rappel des faits.
À 4 h 50 du matin, les policiers sont requis par une femme qui indique avoir été frappée par son compagnon. Mounera attend leur arrivée devant l’appartement 149, au 2e étage, dans lequel s’est enfermé Kamel. Elle est très énervée, frappe, hurle et secoue la porte. Les policiers arrivent à 5 h 50. Mounera vient de prendre un coup de gaz lacrymogène et Kamel est parti.
Tandis que l’homme est appelé à se rendre au commissariat, les policiers prennent la déposition de la femme. Elle est en couple avec Kamel depuis quatre ans, leur raconte-t-elle. Ce jour-là, alors qu’elle était attablée à un café, il aurait débarqué et lui aurait pris son téléphone pour lire ses messages. Plus tard au foyer, il l’aurait frappée à l’œil avec le coude, mais aussi sur d’autres parties du corps (les policiers prennent des photos d’ecchymoses sur les bras, les jambes). Elle précise qu’il était alcoolisé, comme tous les jours et, à vrai dire, comme elle.
Kamel se présente aux policiers, il est placé en garde à vue. Mais là, il nie avoir porté volontairement les coups. Il est ensuite convoqué par le juge d’application des peines qui révoque deux condamnations avec sursis (dont l’une du 16 juin), et le voici avec un an à exécuter en prison.
« Pourquoi je n’ai pas porté plainte ? Par amour ! »
La pancréatite et la prison ont fatigué Kamel presque autant que sa vie d’alcoolique et sa relation chaotique avec Mounera, dont il essaie de se distancier en l’appelant « cette personne-là ». Il explique à l’audience qu’il a interdiction d’entrer en contact avec elle, mais que c’est elle qui vient le voir, alors qu’elle habite de l’autre côté de la ville. « Elle ne me laisse pas tranquille, elle m’empêche de rentrer chez moi en me bloquant dans l’escalier, elle m’a même poussé. Quand je suis passé, elle m’a retenu par l’épaule, et je lui ai mis un coude de coude, en arrière, sans regarder où je frappais.
— Monsieur, dit la présidente, un coup de coude qui arrive pile poil dans l’œil ? C’est peu vraisemblable (Kamel fait une moue, l’air de dire ‘pourquoi donc ?’). Et puis elle est blessée au bras aussi, et à d’autres endroits.
— On s’est attrapés tous les deux, moi aussi je suis blessé !
— Pourquoi vous n’appelez pas la police ?
— Parce qu’à chaque fois, c’est moi qu’ils interpellent. Vous voyez la cicatrice que j’ai là ? Elle m’a jeté un mug à un mètre de distance. Pourquoi je n’ai pas porté plainte ? Par amour !
— À un moment, il faut prendre ses responsabilités. Et vous êtes condamné plusieurs fois.
— À chaque fois, c’est pareil ! »
« Vous êtes un multirécidiviste ! »
La procureure intervient pour tempérer ses ardeurs, car Kamel commence à accuser alors que c’est lui qui est dans le box, pour des violences en récidive, sur cette compagne et d’autres également. Les blessures de Mounera sont bien réelles.
Celles de Kamel aussi, rétorque son avocate. Elle tend un certificat médical : ecchymose à la cuisse, au genou, au bras, griffures. « Il vous appartient de déposer plainte, et ça ne vous exonère pas des coups que vous lui avez portés, surtout que vous êtes un multirécidiviste », balaye la présidente.
En effet, Kamel a treize mentions à son casier judiciaire, surtout depuis qu’il a dégringolé dans l’alcool (c’est le mot de la juge) après sa séparation d’avec la mère de ses enfants. Il a fait un passage à la clinique du château pour se sevrer, à Saint-Ouen-l’Aumône, avec un succès relatif. Il est en foyer depuis deux ans et n’a pas travaillé depuis le mois de février.
La juge ne semble pas optimiste, Kamel non plus : « Après tout ça, vous voulez quoi ?
— Après tout ça, si c’est pour me retrouver ici, je ne veux plus rien. »
« C’est à lui de respecter cette obligation et de mettre fin à cette relation toxique ».
La procureure non plus : « Ce qui m’interpelle c’est que Monsieur se campe en victime. Il va falloir qu’il se repositionne. Alors certes, tout n’est pas clair dans cette relation. La consommation d’alcool, des deux côtés, est problématique. Madame vient le voir, les deux violent l’interdiction d’entrer en contact, mais c’est à lui de respecter cette obligation et de mettre fin à cette relation toxique. » La procureure juge que Mounera a des traces de violences évidentes « qui ne sont pas arrivées là toutes seules ». « Si le comportement de Madame ne lui convient pas, il arrête de la fréquenter, tout simplement ! », assène-t-elle, avant de demander huit mois de prison avec maintien en détention.
« Il ne conteste pas les violences, il donne simplement le contexte », plaide l’avocate de la défense. Elle souligne que la version de Mounera est invérifiable, et qu’à l’évidence, ce sont des violences réciproques. « Il est déjà parti pour un an, on demande huit mois ferme par-dessus », dit-elle en secouant la tête. Elle préférerait une peine mixte.
Kamel est fatigué : « J’en ai assez de me retrouver ici, j’aimerais avoir une vie telle que vous. » En attendant, il est condamné à huit mois de prison supplémentaires.
Référence : AJU395099