Tribunal de Pontoise : « Si vous recommencez une quelconque infraction, vous allez au trou ! »

Publié le 19/11/2021

Christophe était fin ivre lorsque gendarmes se sont présentés à son domicile pour l’interroger. Alors forcément, la situation a dégénéré. Face au tribunal de Pontoise, il fait profil bas.

 

Tribunal de Pontoise : "Si vous recommencez une quelconque infraction, vous allez au trou !"
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 

Dans son box, Christophe fait la grimace. Il a eu le temps de dégriser et lance désormais des coups d’oeil inquiets vers la salle. « Monsieur, vous êtes prévenu d’outrage, de rébellion et de menaces de mort sur des personnes dépositaires de l’autorité publique », lance la présidente. Le prévenu tourne respectueusement le regard  vers le tribunal.

Tout a commencé par un appel aux gendarmes du responsable de « Pizza pronto », à Persan (95). « Un homme, il frappe sa femme dans la rue », prévient-il. Sans désemparer, les gendarmes se rendent sur place et, par une rapide enquête de voisinage, remontent au domicile de Christophe. Ils sonnent, et c’est le père du suspect qui ouvre. « Nous souhaiterions parler à Christophe F. ». L’intéressé apparaît au bout du couloir, le regard vitreux et l’air hostile, entouré de ses deux chiens de type « chiens d’attaque ».

Plus d’un gramme d’alcool dans le sang à l’heure du thé

Les deux gendarmes, présents dans la salle d’audience,  écoutent attentivement le résumé fait par la présidente. « Il est 17 h. C’est l’heure du thé et des madeleines, et vous, vous avez 1,44 g d’alcool dans le sang ! » souligne-t-elle. Christophe leur crie qu’ils n’ont pas le droit de venir à son domicile, la présidente commente d’un air mi-indigné, mi-sarcastique : « Vous devriez profiter de votre inactivité pour lire des livres de droit, parce que les gendarmes, ils font leur travail ! » Elle enchaîne : « Vous essayez de leur fermer la porte au nez, mais l’un des gendarmes met son pied dans la porte, et alors là vous hurlez, vous vociférez ! » Une pluie d’insultes s’abat sur les gendarmes, « la vie de ma mère, je vais te cartonner, baisse ton truc fils de pute ! » lance-t-il à celui qui tenait un lanceur de balle de défense. « Je vais appeler le 17, je m’en bats les couilles ! » aboie-t-il curieusement à l’adresse des deux militaires, mais Christophe était vraiment cuit. Les fonctionnaires décident de maîtriser le forcené. Les chiens s’excitent, Christophe se débat. L’algarade prend de l’ampleur, le furibond fait des grands moulinets avec les bras dont l’un, plâtré, vient heurter la pommette du gendarme Fabien F. Il est finalement embarqué mais ne se calme pas : « regarde-moi bien, je vais te tuer ! » s’époumone-t-il encore.

Dépendant à l’héroïne

La présidente a mis beaucoup d’entrain à raconter la scène. Elle fait une première remarque : faut-il considérer le coup de plâtre comme faisant partie de la rébellion, un geste non maîtrisé, ou le compter comme des violences volontaires qui viendraient s’ajouter aux chefs de prévention déjà retenus ? Plein de bonne foi, le gendarme Fabien F. estime, à la barre, que le coup est involontaire. Christophe se débattait et n’a pas consciemment porté ce coup de plâtre à son visage. Pour le reste : « Nous avons l’habitude d’intervenir dans des quartiers difficiles, c’était une intervention particulièrement éprouvante. »

La présidente fait une deuxième remarque : Christophe n’est pas poursuivi pour le fait générateur de cette affaire. La femme battue dans la rue qui a provoqué l’appel du pizzaiolo n’a jamais été retrouvée. « Alors, cet homme qui frappait une femme dans la rue, c’était vous ? » Silence interminable. « Je me rappelle plus », élude Christophe.

Il faut dire qu’il était très alcoolisé. « J’avais pas mon traitement de Méthadone, alors j’ai acheté une bouteille de Vodka pour compenser. » Il suit un traitement très lourd pour se tenir éloigné de l’héroïne, qu’il a commencé à consommer à l’âge de 14 ans. Cela fait des années qu’il n’y a pas touché, mais la puissance de l’addiction oblige parfois certains ex-toxicomanes à suivre à vie un traitement de substitution. Christophe n’a que 32 ans, mais 18 ans de consommation de stupéfiants derrière lui, et sa prescription lui permet de venir chercher de la méthadone trois fois par semaine au centre qui le suit, les lundi, mercredi et vendredi. Ce dimanche, il était à sec, alors il a fait ce qu’il ne fait plus depuis sa sortie de prison le 21 août dernier : vider une bouteille d’alcool fort.

Le prévenu a du mal à se concentrer. Il fait beaucoup répéter la présidente, qui le houspille sans ménagement. Il a l’expression d’un homme dépité, amer et résigné. « Je voudrais m’excuser. Je regrette », lance-t-il aux plaignants de sa voix éraillée.

Une mère en Ephad, un père à la santé fragile

Cela fait bien longtemps que Christophe n’a pas travaillé. Son casier est imposant, sa vie pas très marrante. Le présidente remarque : « Votre maman a 61 ans, et elle est en Ephad, puis-je vous demander pourquoi ? — Elle avait beaucoup trop de problèmes psy, alors plutôt que de faire des aller-retours en hôpital psychiatrique, on a choisi de la placer en Ephad — Et votre père, chez qui vous vivez ? — On s’entend bien. » Mais l’homme a fait deux AVC, et il est aujourd’hui très diminué.

Cela ne trouble pas le procureur. « Monsieur défère aux convocations du service d’insertion par lequel il est suivi après sa dernière convocation, et entre deux rendez-vous, il s’enivre fortement ! Fort heureusement, il n’est plus accessible au sursis. » Le magistrat demande 6 mois de prison ferme avec mandat de dépôt, ainsi que la révocation de son sursis probatoire à hauteur de 4 mois (10 mois d’incarcération au total).

Son avocate tente de lui éviter la prison. Elle met en avant l’importance de la réinsertion et le péril qui guette un homme si fragile, du fait de son traitement, dans une prison où il sera forcément mal suivi, laissé pour compte. Elle emporte l’adhésion du tribunal, qui le condamne à 10 mois de prison ferme sans mandat de dépôt, révoque les 4 mois de sursis et ajoute 6 mois de sursis probatoire renforcé (d’une durée de trois ans), comportant de multiples obligations : soin, travail, indemnisation des victimes (300 euros chacune).

« —Si vous recommencez une quelconque infraction, vous allez au trou ! » prévient la présidente. Christophe fait oui de la tête, plusieurs fois.

— Les gendarmes, je peux les payer en plusieurs fois ?

—  Oui ! »

Christophe disparaît entre deux policiers.

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