Tribunal de Pontoise : Traquenard dans le Vexin

Publié le 22/12/2023

Un jeune homme est jugé pour avoir tenté de voler, avec des complices, un moto-cross qu’ils prétendaient vouloir acheter. Sa téléphonie l’accuse, tandis que lui se dit innocent.

Tribunal de Pontoise : Traquenard dans le Vexin
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Jeudi 16 novembre : la nuit est déjà tombée, et le tribunal n’a pas jugé la moitié des dossiers. Un trentenaire à catogan au visage franc et rude et généreusement ridulé se précipite à la barre, à l’appel un peu agacé de la présidente. « Monsieur M., c’est vous ? L’audience, c’était à 13 h 30. » Surpris, le prévenu proteste et assure qu’il était là à 13 heures Dans le public, des voix s’élèvent pour confirmer. La présidente tourne son regard vers Madame l’huissier, qui n’a pas remarqué Monsieur M., dont le procès pour harcèlement sur son ex-compagne va être renvoyé au 7 novembre 2024, « parce qu’on a trop de dossiers aujourd’hui, ce n’est pas possible. » « Compagne, précise-t-il dans un sourire enjôleur, on est de nouveau ensemble depuis 3 mois ». La présidente lève les yeux au ciel. « Veuillez noter Madame le greffier que Monsieur et Madame se sont remis en couple. Et prévoyez une heure d’audience, au cas où le couple se resépare ! » L’homme quitte la salle en criant « ce ne sera pas le cas », et laisse la place à un très jeune homme qui bullait dans un coin depuis 5 heures.

« Vous étiez convoqué pour une enquête sociale »

Sous ses traits juvéniles et son équipement mi-motard mi-survêtement, Bassirou a tout de même 21 ans. « Vous étiez convoqué pour une enquête sociale le 23 août, vous ne vous êtes pas présenté, pourquoi ? » Le jeune homme dit ne pas se souvenir. « Approchez, approchez. C’est votre signature, là ? » Il confirme.

Tout ceci a pour cause une tentative de vol survenue le 14 octobre 2022 à Us, un petit village du Vexin où, selon l’accusation, Bassirou et ses amis mineurs ont tendu un piège à Jean-Pierre et Léo, père et fils, pour leur dérober le motocross du fils qu’ils cherchaient à vendre. Tous les mineurs ont déjà été condamnés par un tribunal pour enfants, mais Bassirou nie toujours son implication. Son casier, vierge au moment des faits, s’est ouvert cet été sur une condamnation pour dégradations de biens (« ça sent les émeutes ça »), et comme Bassirou n’a ni travail ni formation, la présidente demande « Vous faites quoi de vos journées ? » Et là, au lieu de faire comme tous les prévenus dans sa situation, hausser les épaules et bredouiller un « rien » un peu confus, Bassirou répond fièrement : « du sport ! »

Lacrymo à l’arrière du camion

Pendant que deux avocats se hurlent dessus dans la salle des pas perdus, la présidente entame un monologue. Ils sont quatre ou cinq, les victimes ne sont pas certaines, mais au moins ils en ont chopé un. Ils racontent aux gendarmes : un rendez-vous est fixé pour la vente du motocross de Léo, jeune espoir régional qui court partout en France, et revend ses motos pour acheter un modèle plus performant. Ils ont chargé l’engin dans une camionnette et se retrouvent sur une petite route communale face à 5 jeunes, qui tentent de négocier un prix, pourtant déjà convenu en amont. Pendant qu’ils parlementent, l’un des jeunes s’installe au volant de la camionnette et tente de démarrer. Les autres envoient du gaz lacrymo au visage des deux vendeurs ; c’est le début de la pagaille.

Mais Léo parvient à attraper celui qui tentait de démarrer et, avec son père, ils l’extraient du camion et le neutralisent au sol. Les autres n’essaient rien de plus et détalent demander leur reste. C’est tout.

Si Bassirou est renvoyé, ce n’est pas parce qu’il a été identifié (au contraire des autres), mais parce que son téléphone borne à Us à l’heure exacte des faits, et qu’il n’a fourni aucune explication sur cette localisation. En fait, il dit qu’il ne connaît même pas ce village.

« En général, le majeur, c’est le leader »

Mais aux yeux des gendarmes, il se rend suspect en refusant de donner son code de déverrouillage de téléphone. La présidente lui demande pourquoi :

« C’est ma vie privée.

— Si vous saviez le nombre de fois qu’on entend ça.

— Mais c’est vrai !

— Monsieur, tout tient sur la téléphonie, ça aurait pu vous dédouaner.

— J’ai hésité, d’abord j’ai accepté, puis j’ai finalement refusé. »

Convaincue de sa culpabilité, la procureure pose d’emblée : « en général, le majeur, c’est le leader. Il n’est pas éligible au sursis simple…

— Pardon, mais si, coupe la présidente.

— Ah oui, mais je ne vais pas requérir du sursis simple car les faits sont extrêmement graves et violents ». Ce sera 10 mois, dont 5 mois avec sursis probatoire.

Sans avocat, Bassirou n’a rien à dire pour sa défense. La présidente lui indique que la décision sera rendue après la suspension. Bassirou attend et, quelques heures plus tard, est condamné aux réquisitions.

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