Tribunal de Pontoise : « Vous êtes tous aussi lâches dans la famille ? »
Bryan et sa famille collectionnent les infractions routières. Ils totalisent près de 60 000 euros de contraventions. Cette fois-ci, Bryan comparaît devant le tribunal correctionnel de Pontoise, pour des blessures involontaires. Accusé d’avoir renversé un scooter et pris la fuite, il nie en bloc.
Ce mardi 4 janvier au tribunal correctionnel de Pontoise, l’huissière passe en revue les affaires à juger et propose de prendre le « dossier n°5 ».
« —Alors, c’est lequel celui-là », marmonne le président. Il feuillette un dossier, lève la tête vers la défense. Maître ?
— Oui Monsieur le président, c’est moi qui suis en défense dans ce dossier », répond un avocat.
— Bon, je n’ai pas lu ce dossier, je l’ai eu à 13h15, mais si ça vous convient on le prend comme ça, ça devrait aller. »
C’est ainsi que Bryan, mains dans les poches, s’avance à la barre.
Il est accusé d’avoir, le 5 octobre 2016, au volant de sa Renault Twingo renversé un motard sur la D301, une quatre voies, sur la commune de Saint-Brice-Sous-Forêt. Un gendarme qui n’était pas en service a vu une twingo blanche griller un feu rouge et percuter le deux-roues par la gauche. Après le choc, le conducteur du véhicule a pris la fuite. Mais le relevé de la plaque d’immatriculation et les témoignages de personnes présentes ont permis l’arrestation de Bryan, et sa convocation devant le tribunal de Pontoise.
Le trentenaire est parfaitement inséré, il a un travail et un profil apparemment sans histoires. Il nie formellement avoir été au volant de Twingo ce jour-là. Mais sa nonchalance apparait décalée et ses explications peu convaincantes.
A eux trois, Bryan et ses parents totalisent 59 988 euros de contraventions au code de la route
Après avoir rappelé les les circonstances de l’accident, le président l’interroge.
« — Si ce n’est pas vous c’est qui ?
— Le véhicule est au nom de ma mère, tout le monde l’utilise dans ma famille.
— Pourtant, votre mère a expliqué que seul elle et vous-même l’utilisiez, que votre père et votre frère avaient leur propre voiture. Et ce n’est pas elle qui conduisait, des témoins ont attesté que le conducteur était un homme.
— Je ne dis pas qu’ils l’utilisent, je dis que c’était possible qu’ils l’utilisent.
— Ce n’est pas votre père non plus, car les témoignages décrivent tous un homme jeune, accompagné d’une jeune fille blonde. Et votre frère a un alibi.
— Je ne sais pas quoi dire, mais ce n’était pas moi.
— Alors, qui c’était au volant de cette voiture ?
— Je ne sais pas. »
Le président ne parvient pas à réprimer un rictus agacé.
« Vous êtes tous aussi lâches dans la famille ? Expliquez-moi s’il vous plaît. »
Bryan ne s’y attendait pas. Il bafouille.
« Pour expliquer le cynisme de cette famille, reprend le président, je tiens à porter à la connaissance de mes collègues assesseurs, cette information que les policiers ont recueillie pendant l’enquête. A eux trois, Bryan et ses parents totalisent 59 988 euros de contraventions au code de la route. » La mère tient la corde, avec plus de 24 000 euros.
Pas décontenancé par le palmarès familial, Bryan répond aussitôt : « Moi, c’est moi ! » Le président en convient : « Oui, vous êtes à 14 000 euros. » Bryan n’a rien à ajouter.
S’il n’avoue pas, ils ne peuvent rien faire, non ?
Malgré les témoins, dont certains l’ont identifié sur planche photo, Bryan continue de nier. Son père, un petit homme râblé installé dans les rangs du public interroge à voix ses voisins. « S’il n’avoue pas, ils ne peuvent rien faire, non ? Ils n’ont pas de preuve ? ». C’est que la famille semble experte dans les moyens de défense, y compris les plus discutables.
La compagne de la victime a reçu un coup de fil de Bryan, elle est formelle sur l’identité de son interlocuteur, se faisant passer pour un avocat. Il l’a baratinée et, à demi-mot, a tenté d’influer sur son témoignage, sans que l’on comprenne très bien où il voulait en venir. Ce n’est pas tout : le président indique qu’un témoin affirme avoir reçu un appel qu’il juge « malveillant », dont l’auteur serait le père de Bryan. Père et fils nient le second appel, et présentent le premier comme une tentative d’arrangement « à l’amiable ».
Malheureusement pour Bryan, la victime est présente, et bien décidée à faire comprendre au tribunal ce qu’il a subi du fait de l’accident. Fabrice, cadre à lunette flamboyant, a subi de nombreuses opérations de la jambe, et totalise 108 jours d’ITT. Il raconte avec force détails le déroulement de l’accident, le choc, la perte de conscience. Les répercussions psychologiques ont été importantes. Il n’est plus aussi performant au travail et sa compagne l’a quitté. « Je n’ai plus la même niaque, plus la même volonté » confie-t-il. Sa nouvelle amie, une grande femme blonde visiblement très remontée contre Bryan, lui frotte le dos pour le réconforter.
Le conducteur a été aperçu en train de cacher la plaque avec un drap
L’avocat de la partie civile prend la parole et charge à son tour le prévenu. Le conducteur a été aperçu, explique-t-il, quelques centaines de mètres après le lieu de l’accident, en train de cacher la plaque d’immatriculation avec un drap qu’il a pris dans le coffre. Les appels malveillants à ses clients, le dédain de Bryan, son refus d’admettre les évidences, témoignent selon-lui d’un « état d’esprit très affranchi des règles ».
La procureure entame son réquisitoire en rappelant que, l’année 2016, cette Twingo a écopé de pas moins de 56 contraventions, dont cinq « avec interception du véhicule ». A chaque fois, le conducteur était Bryan, ce qui laisse peu de doutes, selon l’accusation, sur le fait qu’il soit qu’il le principal conducteur de ce véhicule. Il pointe aussi le cynisme de l’intéressé et craint qu’un tel état d’esprit soit propice à une récidive sans fin. « Si les faits étaient plus récents, je m’interrogerais sur la pertinence d’une incarcération. » Mais plus de 5 ans après, quel serait le sens de cette peine ? Elle requiert un an ferme.
Face aux charges qui accablent Bryan, son avocat fustige l’enquête, qu’il juge trop rapide et « lacunaire ». Il regrette en particulier que les caméras de vidéosurveillance n’aient pas été exploitées, elle auraient pu, selon-lui, corroborer les dires de son client. Il réclame la relaxe pure et simple.
A la suspension, dans l’attente du jugement, le père de Bryan lui emboîte le pas en essayant de ne pas se faire remarquer. Ils patientent ensemble dans un coin ; le père a l’air nerveux, Bryan est décontracté. Il ne cille pas lorsque, 30 minutes plus tard, le tribunal le condamne à un an de prison avec sursis.
Référence : AJU270916