Tribunal de Pontoise : « Vous êtes un être humain ou un toutou mordeur ? »
Dimanche 19 septembre au soir, les policiers sont intervenus au pied d’un immeuble pour tapage. Coups, morsures et injures, ils essuient la violence d’un homme ivre en furie, qui se retrouve jeudi 23 septembre dans le box des comparutions immédiates du Val d’Oise.
Tandis que Rida intègre le box, la moitié du public se lève. « Ils sont là pour une affaire de trafic de stup’, toute la cité est là. Evidemment, tout le monde nie. Enfin, un trafic de stup’ normal ! » explique un policier chargé de la sécurité. L’affaire sera jugée plus tard. Rida, l’air usé, ne remarque pas le bruissement des jeunes qui s’extirpent de la salle d’audience des comparutions immédiates de Pontoise. Il a face à lui les magistrats, et un avocat qui représente les cinq policiers victimes de sa frénésie.
Tout a commencé dans le calme et la sérénité, en début de week-end. Rida, 37 ans, se rend chez la mère de ses deux enfants. Celle-ci doit s’absenter deux jours, il est donc convenu que Rida s’installe chez eux pour les garder. Après 8 ans de relation, ils se sont séparés en mars 2021. Rida ne l’a pas très bien vécu.
Le week-end passé avec ses enfants se déroule, selon lui, à merveille. Lorsque l’ex-compagne rentre chez elle, elle est avec son nouveau petit copain. Rida ne s’y attendait pas. Ça lui fiche un coup. Il s’en va acheter deux bouteilles de vodka et les boit seul chez lui. Fin ivre, il retourne au pied de l’immeuble de la mère de ses enfants et il se met à gesticuler en vociférant. Le président demande :
`« –Vous vouliez faire quoi en mettant des coups dans la porte ?, interroge le président.
— Je voulais juste parler au mec », bredouille Rida.
Les policiers parviennent à le faire partir mais, quelques minutes plus tard, il revient. « Est-ce que vous dites que l’alcool explique votre comportement ? » interroge le président. » — À mon avis, ça a joué un rôle dans ma tête. »
« Vous vous souvenez de la soirée ? »
Rida a vrillé puis a bu, ou Rida a bu puis a vrillé. En tout cas, il est revenu pour tout casser, mais les policiers, plus déterminés, l’ont empoigné pour l’embarquer. Hélas, un Rida explosif résiste et envoie des coups désordonnés mais furieux. Les policiers, résume le président, ont beaucoup de mal à le menotter, puis à l’amener au sol. L’un d’eux le frappe à la tête, l’autre lui envoie un coup de Taser, ce qui a pour effet de le neutraliser. Une fois embarqué à bord d’un véhicule sérigraphié, Rida, aux dires du brigadier assis à son côté, est très agité. « Toi, je baise ta femme, je vais te niquer fils de pute », lance Rida. Puis, alors qu’un policier tentait de remonter son pantalon baissé pendant la bagarre, Rida le mord (4 jours d’ITT) avant de continuer à insulter tout le monde. Au commissariat, toujours aussi agité, il mord un autre fonctionnaire, puis un troisième à la cuisse droite (3 jours d’ITT), avant d’être de nouveau neutralisé au Taser.
« Vous vous souvenez de la soirée ? » demande le président, qui connaît déjà la réponse. « Franchement, je ne me souviens pas de grand-chose, juste de quand je me suis mangé le coup de Taser.
— Mais vous vous souvenez du fait que vous ne vous n’avez pas de souvenirs ?
— Voilà !
— Les faits sont complètement caractérisés. En fait, vous ne contestez pas, vous pensez que ce qu’ils ont dit est vrai ?
— Franchement, je ne m’en souviens pas », admet Rida.
Il admet mais n’avoue rien. Le voilà prévenu des violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique, et cela met le procureur en colère. Il lui demande d’une voix sonore et pleine de défiance : « Pourquoi êtes-vous revenu ?
— Je sais plus.
— Votre ex-compagne a dit qu’il vous arrive de mordre lorsque vous êtes ivre, pourquoi ?
— Moi j’ai jamais mordu personne.
— Elle dit n’importe quoi alors ? Vous êtes un être humain ou un toutou mordeur ? »
Les cinq policiers demandent chacun de 200 euros à 1500 euros de dommages et intérêts, en proportion du préjudice subi. « On connaissait la morsure de la jalousie, mais là c’est la morsure primale », commente leur avocat lors de sa plaidoirie.
« Donc Monsieur, vous avez compris ? Vous partez en prison. »
Le procureur prend cette affaire à cœur. Pour son réquisitoire, il se lève et dit d’une voix très forte : « J’avoue qu’il y a faits de rébellion, et faits de rébellion ! » Il entreprend un rapide résumé des faits au subjonctif imparfait (« … avant que celui-ci n’éructât de plus belle ! »), décrit un danger public qui « utilise tous les moyens qui lui restent pour porter atteinte aux fonctionnaires de police ». Il s’étrangle devant le taux d’alcoolémie de 3,1 grammes par litre de sang qu’affichait Rida trois heures après les faits. « J’avoue que je suis extrêmement énervé par ce dossier. Il faut rappeler que force doit rester à l’autorité légitime. » Le procureur demande une peine de 8 mois de prison, assortie d’un mandat de dépôt.
Rida s’est rembruni lorsqu’il a compris ce qu’il risquait. La défense marche sur des œufs. « Contrairement à ce qui a été dit, je ne vais pas contester quoi que ce soit. Ce qui s’est passé est inacceptable, l’alcool n’excuse pas. Mais il ne se souvient de rien, c’est une réalité » plaide son avocate. Elle poursuit : « Oui, il n’avait pas à faire tout cela, mais il a été détruit intérieurement par le fait d’apprendre que c’était l’un de ses amis qui avait pris sa place » auprès de la mère de ses enfants. Elle tente d’expliquer que l’envoyer en détention serait catastrophique : il est inséré, employé, et n’a pas commis de délit depuis 2012 (sept condamnations au compteur quand même).
Après la suspension, les jeunes sont revenus dans le public. Rida est de nouveau apparu dans le box, et le tribunal l’a condamné au quantum des réquisitions. « Donc Monsieur, vous avez compris ? Vous partez en prison. »
Référence : AJU248418