Tribunal de Pontoise : « Monsieur, est-ce que vous êtes déjà allé en maison d’arrêt ? »
Kurtiss faisait partie d’une bande qui rackettait des lycéens dans les rames du RER C, dans le Val d’Oise. Confondu par les caméras de surveillance, il est interpellé début novembre et déféré en comparution immédiate, devant le tribunal correctionnel de Pontoise, où il est jugé pour vols aggravés.
Le RER C circule de Cergy-Pontoise à Versailles, cheminant par les beaux quartiers de la capitale, pour aller finir sa course loin vers le sud, jusqu’à Etampes. Kurtiss et ses amis n’ont pas eu besoin d’aller au-delà du secteur Cergy-Pierrelaye, dans le Val d’Oise, pour racketter cinq lycéens entre le 30 août et le 13 septembre 2021. C’était une bande parmi d’autres, qui sévissait dans les rames à l’heure du retour des cours. Constatant une « recrudescence des vols sur le RER C, relate la présidente, les services enquêteurs ont pris en filature des individus dont ils soupçonnaient l’implication dans ce type de vol », dont certains apparaissent également sur les caméras de surveillance des gares.
Trahi par ses lunettes
Kurtiss n’a pas été difficile à identifier : il est le seul porteur de lunettes de la bande, soigneusement décrit par les victimes. Il est également seul dans le box, car ses complices, mineurs, seront jugés par un tribunal pour enfants. Il n’a que 18 ans, et sa voix atone peine à franchir le mur de verre qui le sépare de la salle des comparutions immédiates de Pontoise. Tête baissée et l’air abattu, il répond « oui, madame » à toutes les questions de la présidente, qui sonnent comme des sermons.
Le mode opératoire n’a jamais varié. Le 30 août, la bande accoste un lycéen de 16 ans à Cergy. Ils lui demandent son sac, qui contient une veste. Kurtiss l’essaie et la rend — pas à sa taille.
« — Pourquoi est-ce que vous croyez qu’ils vous ont donné le sac ?
— Peut-être qu’ils avaient peur qu’on les tape.
— Peut-être ! Pourquoi vous commettez ce genre de faits, sur des gamins qui reviennent de l’école ?
— Je me suis rendu compte après, que ça se fait pas.
— Vous croyez que c’est juste ? Qu’est-ce que vous comptiez faire de ces affaires ? Les vendre ? Je vois que certains ont inséré leur puce dans les téléphones volés, c’est pas d’une finesse incroyable. »
“Si tu cries, on va te niquer ta race”
Le jeune homme racketté le 6 septembre à Saint-Ouen l’Aumône a confié aux policiers : « Ils m’ont demandé si j’allais bien, puis ils m’ont dit “si tu cries, on va te niquer ta race”, après que l’un d’eux a montré un couteau. » Kurtiss fait « non » de la tête : ni lui, ni aucun de ses complices n’a exhibé de couteau.
Le 8 septembre, à Pierrelaye, la bande agresse un autre lycéen, qui rapporte avoir été mis à terre et frappé au sol. Là encore, Kurtiss dément.
« — Je ne reconnais pas du tout les violences
— Pourtant, le prévenu vous a formellement reconnu, du fait de vos lunettes.
— C’est impossible, on n’a jamais tapé quelqu’un à ce point-là. » Seulement des bousculades, des menaces, des intimidations, résume-t-il.
Le 13 septembre enfin, ils ont arraché le téléphone d’un lycéen en le ceinturant par derrière, après lui avoir pris ses écouteurs airpods en l’insultant copieusement. La présidente invite le prévenu à commenter : « Monsieur, est-ce que vous pensez que les victimes ont pu avoir peur ? Oui ? C’est important que vous le sachiez. »
« En 4e à 16 ans ? »
Une mère est venue témoigner. A la volée, puisqu’on lui demande, elle réclame 500 euros de dommages et intérêts pour son fils, traumatisé par l’événement, et rien pour elle. Elle dit également : « J’espère qu’il regrette sincèrement et qu’il ne recommencera pas. »
Pourquoi Kurtiss a-t-il agi ainsi ? La procureure aimerait comprendre.
« — Pour m’acheter des habits », répond benoîtement le prévenu.
— Votre mère, elle ne vous achète pas de vêtements?
— Non, pour elle c’est difficile. Mais fin septembre, je me suis rendu compte que c’était mieux de travailler. »
Il est alors embauché au MacDo de Sarcelles, à temps partiel, jusqu’à ce mois de novembre où, cueilli par les policiers, il est placé en garde à vue.
« — Vous êtes déjà allé en garde à vue combien de fois ?
— Une vingtaine, je dirais. »
La présidente semble à la fois consternée et désolée. Elle lit l’enquête sociale rapide : « Je vois que vous avez arrêté l’école en 4e, c’était quand ? — En 2019 — A 16 ans, en 4e à 16 ans ? » s’exclame-t-elle, atterrée. Elle lit son casier : une condamnation en septembre 2021 pour des faits d’extorsion, et une mise en examen dans un dossier d’extorsion — les deux à Bobigny. Elle pose une dernière question, rhétorique : « Monsieur, est-ce que vous êtes déjà allé en maison d’arrêt ? »
La réponse est non.
« Quelle peine prononcer, pour cette série d’agissements délictuels particulièrement inquiétants ? » s’interroge la procureure. Elle requièrt 18 mois, dont un an de sursis probatoire, avec interdiction de paraître dans les communes où les faits ont été commis, obligation de travail et d’indemniser les victimes. Elle prolonge son propos : « Il reste six mois ferme, et je me demande s’il ne faut pas l’envoyer en détention immédiatement. Je trouve qu’il manque de sincérité. »
L’avocate de la défense ne « voit pas l’intérêt d’une partie ferme, et demande une peine plus juste et sans mandat de dépôt », pour ce jeune homme qui a « reconnu les faits sans nuance ».
Après en avoir délibéré, le tribunal condamne Kurtiss à la peine de 18 mois de prison, dont 6 mois avec sursis probatoire, assortis des obligations requises.
« Ce que vous avez fait, c’est inadmissible Monsieur, vous me comprenez ? Vous êtes passé tout près de la détention, et c’est la dernière fois que ça vous arrivera. » Kurtiss remercie.
Référence : AJU260306