Violences conjugales : « Madame, est-ce que vous avez peur de Monsieur ? »

Publié le 09/07/2021

Aux comparutions immédiates de Nanterre, lundi 6 juillet, un homme comparaît libre pour des violences sur son épouse, présente à l’audience. Il nie tout, ce qui agace le tribunal.

Violences conjugales : « Madame, est-ce que vous avez peur de Monsieur ? »
Palais de Justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Cela fait trois bonnes heures qu’Erkan trépigne dans la salle.

« — Monsieur ? Avancez à la barre », ordonne la présidente. Vous avez un conseil ? – Un avocat ?

— Non, non.

— Très bien, c’est votre droit. Votre femme est présente ? Oui ? »

L’huissier l’appelle au-dehors, voilà une petite femme tout de de noir vêtue qui entre avec un café qu’elle pose au sol à la hâte avant de prendre place. Les deux époux s’assoient sur des strapontins ; ils se font face, chacun à un bout du prétoire.

La présidente de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, celle des comparutions immédiates, entonne : « Vous êtes prévenu d’avoir à Montrouge, le 11 avril 2021, commis des violences » sur son épouse – qui s’est vue délivrer 4 jours d’ITT – en présence des deux enfants du couple.

D’un ton sec, et surveillant du coin de l’œil ce prévenu très agité, la présidente résume les faits : Erkan rejoint sa femme, affairée dans la cuisine. Ils prolongent une discussion qu’ils ont eue la veille à propos des devoirs des enfants. La discussion vire à la dispute puis à l’altercation. Erkan empoigne son épouse, la frappe au bras et à la tête et lui bloque un temps la sortie, avant de filer au salon. Elle s’enferme dans les toilettes, puis, discrètement, rejoint sa chambre où elle s’habille et, sur le conseil de son frère qu’elle appelle immédiatement, se rend au commissariat pour dénoncer les faits.

Là-bas, elle déballe sa vie conjugale. Elle raconte qu’elle se fait insulter régulièrement, « Nique ta race, ferme ta bouche, je vais te buter », et que, par exemple, elle a déjà reçu un coup parce qu’elle avait refusé un rapport sexuel. Elle explique qu’elle se sent en danger, rapporte la présidente quand soudain la procureure se lève : « Monsieur, regardez le tribunal ! ». Erkan dévisageait sa femme d’un œil mauvais. Revêche mais impuissant, il se soumet à l’injonction de la parquetière.

« Avec Papa, ça fait plus mal »

Erkan, chemisette rose pâle, doudoune sans manche et masque siglé G7 (il est chauffeur de taxi), se tient désormais à la barre.

«— Quel est le comportement de votre compagne , interroge le tribunal.

— Elle est désagréable, s’occupe mal des enfants, et c’est moi qui fais tout

–  Et le vôtre ?

–  Je suis respectueux, juste et sincère ».

Il reconnaît l’altercation, mais nie les violences. La présidente rapporte les dépositions des enfants. La petite de 8 ans dit avoir entendu la gifle, c’était la 3e fois, dit-elle au policier qui l’entend. Le garçon, 12 ans, dit qu’il prend des gifles de ses deux parents, « mais avec Papa, ça fait plus mal ». Erkan secoue la tête, l’air vraiment très énervé.

Mais ce n’est pas tout. Au commissariat, Madame s’est plainte de faits passés, pour lesquels Erkan est également prévu. Il l’aurait griffé au visage, un jour de mars 2020, parce que, assise à l’arrière de son Taxi, elle aurait accidentellement abîmé la paroi « anti Covid » qui sépare les sièges avant de l’arrière.

« —Vous parlez des faits de quand j’ai mis la main en arrière ? » Il s’exprime souvent en posant des questions, ce qui agace les juges.

— Le tribunal ne répond pas aux questions !

— Ça m’a énervé, mais je ne l’ai pas griffée exprès ». Les propos insultants ? « Là, elle a tout inventé. »

La présidente revient à la charge :

« — Comment expliquez-vous ces traces sur votre épouse ?

–  Je sais pas, moi, on s’est poussés, peut-être que sa tête a tapé quelque chose –

Et elle, elle vous a poussé ?

– Je sais pas, moi. »

A la barre, Madame livre sa version tout en précisant : « Je voudrais divorcer, mais je ne veux pas qu’il perde son travail. » Ce n’est pas l’affaire de la procureure, qui reprend les faits un par un. L’épouse minimise : « En fait, il ne m’a pas empêchée de sortir, et pas pris mon téléphone comme je l’ai dit au début. Pour la griffure, je ne sais pas s’il l’a fait exprès. » En revanche, elle confirme les insultes.

La procureure demande :

« —Est-ce que vous avez peur de Monsieur ?

– Maintenant ? Je ne sais pas. »

Erkan s’agite sur son siège. « Monsieur, intervient la présidente, je vais vous faire sortir de la salle ». Erkan proteste, la présidente hurle : « Je ne veux pas que vous réagissiez ! » La procureure se tourne de nouveau vers Madame, qui finit par dire : « Je ne veux plus qu’il vienne chez moi. »

« Allez-y, jugez-moi !

Ils vivent actuellement séparés. « Elle m’a jeté dehors, je dors à la rue maintenant », dit-il au tribunal qui paraît surpris. Erkan a déjà été condamné pour des violences avec arme : en 2016, il a gazé un motard qui aurait initié une altercation. « Il voulait m’agresser, et c’est moi qui ai été condamné », se défend-il. Il est donc en état de récidive légale.

La procureure déroule son réquisitoire : les constatations médicales, sans équivoque, corroborent le récit de la plaignante. Elle réclame 8 mois de prison, dont 4 mois de sursis probatoire, comprenant une interdiction d’entrer en contact et un stage sur les violences conjugales. Elle renonce à proposer un aménagement ab initio ; puisqu’Erkan prétend dormir dans la rue, une détention à domicile semble compromise pour le moment.

Erkan assure seul sa défense :

« — J’ai très mal supporté la garde à vue », car Erkan a d’abord refusé le prélèvement ADN, avant de se laisser faire. « Bon après, pour le reste, c’est vous qui jugez, hein, vous condamnez sans preuve et sans témoin, allez-y, jugez-moi !

– Eh bien c’est ce que le tribunal va faire. Suspension »

A son retour, le tribunal condamne Erkan à hauteur des réquisitions.

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