« Vous avez appelé la police et leur avez répété : j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur »

Publié le 21/10/2021

A l’audience de comparutions immédiates de Pontoise, un homme est prévenu de violences sur son ex-compagne. Cette dernière, présente dans la salle, tente de minimiser les faits, ce qui irrite les magistrats.

« Vous avez appelé la police et leur avez répété : j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur »
Photo : © AungMyo/AdobeStock

Il y a près d’un an déjà que Samuel a juré de lui « régler son compte ». Il venait d’apprendre qu’un juge, le 5 octobre 2020, avait pris une ordonnance de protection contre lui, au bénéfice de son ex-compagne, car il l’avait menacée, insultée et même violentée. Il le reconnaît, le regrette, et l’explique par le fait qu’il avait du mal à accepter ce droit de visite médiatisé bimensuel à sa fille, décidé par le juge aux affaires familiales, qui le privait des joies de la paternité. Selon lui, la relation avec Amélie, cette frêle petite femme blonde qui élève leur fille, s’était pacifiée. Il espérait intimement reprendre une vie commune, mais la décision du juge est venue contrecarrer ses plans et ça l’a mis hors de lui. C’était à la fin du mois d’octobre 2020.

Il s’est calmé un temps, mais ce 8 août 2021, Samuel s’emporte de nouveau. C’est semble-t-il la découverte de certains messages dans le téléphone d’Amélie, laissant penser qu’elle entretenait une relation avec un autre homme, qui a cette fois-ci déclenché son courroux. De nouveau, Samuel a menacé, insulté, et frappé Amélie. La sœur de celle-ci, présente sur les lieux, a alerté la police. Déféré, il a été présenté une première fois au tribunal mais a demandé, comme c’était son droit,  le renvoi le renvoi de l’affaire afin de préparer sa défense. C’est ainsi qu’il se retrouve ce 7 septembre 2021, en comparution immédiate, à Pontoise.

« —Notre relation a été une relation toxique. C’est vrai, j’ai porté des coups, il y a eu des violences verbales et physiques, convient Samuel.

— Pourquoi ?  interroge la présidente.

— En fait, je ne savais pas comment faire. On était dans une situation où Amélie m’empêchait de voir ma fille. »

Manifestement très irritée, la magistrate lui rappelle les nombreuses insultes, les menaces de mort, la promesse de la « tuer » à son retour de Guadeloupe, où il a appris l’existence de l’ordonnance de protection. « J’aurais jamais pu tuer ma femme ! » s’écrie Samuel. La présidente désigne de la main la cour d’assises qui jouxte cette salle : « Et les gens qui comparaissent à côté, c’est pareil. Ils le disent tous ! Mais à côté, c’est 15 ans ! ». Quinze ans de réclusion criminelle, une peine courante pour les meurtres conjugaux.

Elle reprend. « Globalement, vous reconnaissez les faits. Et puis vous en niez certains. On a la défense classique “si je lui avais mis des coups dans les côtes, vu que je fais 2 mètres et 100 kilos, ça lui aurait brisé les os”, dites-vous sur procès-verbal. Et vous précisez que vous voulez continuer à vivre avec elle, malgré le fait que vous passiez votre temps à la battre ? »

« 9 mois sans violence, c’est bien, c’est chouette »

C’était une question rhétorique. La présidente coupe Samuel qui commençait à bredouiller une réponse, et appelle Amélie à la barre, 43 kilos sur la balance.

« — Je veux rectifier quelque chose …

— Alors madame, l’interrompt la présidente, on a compris que vous vouliez rectifier, mais il y a un procès-verbal. Comment expliquez-vous toutes ces mains courantes ?

— A l’époque, il y avait beaucoup de violences …

— Très bien.

— … verbales, c’était tout le temps des insultes, mais c’est vrai que je lui ai reproché des choses, ce qui explique qu’il réagisse mal. C’était une relation toxique, dans les deux sens, je l’ai beaucoup insulté aussi. »

Amélie cherche des excuses à Samuel, la présidente s’agace : « Madame, vous savez comment doit-être une vie de couple ?

— Oui je connais, j’ai eu deux enfants d’une précédente union.

— Et ça s’est terminé comment ?

— Il m’a trompée, mais ce n’est pas le sujet. Lui, je l’aime. Il a besoin de soins.

— Et il ne peut pas se soigner tout seul ? »

Amélie tente de sauver Samuel. « J’ai amplifié les faits, quand je relis, c’est exagéré, et ma sœur n’a même pas vraiment assisté à la scène.

— Vous avez appelé la police et leur avait répété : « j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur ».

— Oui, j’avais peur de lui à cette époque, mais je n’ai plus peur. »

La présidente compte à haute voix : « De novembre à août, 9 mois sans violence, c’est bien, c’est chouette », dit-elle sur un ton ironique. La discussion est âpre. Les deux femmes tiennent fermement leur position : l’une croit en son couple et veut que sa fille grandisse auprès de son père. L’autre a trop d’expérience pour ignorer que cette histoire finira mal. Samuel, 27 ans, a sept condamnations à son casier. Amélie n’ignore pas son passé carcéral : c’est en prison qu’ils ont conçu leur enfant âgé aujourd’hui de deux ans.

La présidente met fin à la déposition d’Amélie. « Puisque Madame ne se constitue pas partie civile, n’est-ce pas madame, Mme le procureur, vous avez la parole. »

« C’est comme ça, madame, et ce sera toujours comme ça »

« Je me souviens de l’audience du mois dernier, l’urgence d’intervenir et de protéger cette femme. Alors quand j’entends cela, j’ai l’impression que l’on manipule la justice. Les faits du 8 août sont graves : Monsieur s’emporte et commet des violences parce qu’il ne supporte pas de voir des messages. C’est comme ça, madame, et ce sera toujours comme ça, il ne changera pas miraculeusement. » La procureure déplore qu’Amélie ne consente pas à une mesure de bracelet anti-rapprochement, car selon elle, Samuel a un caractère dangereux. Elle requiert trois ans de prison, dont deux ans avec un sursis probatoire d’une durée de trois ans, incluant une obligation de soins et une interdiction de contact avec la victime.

En défense, l’avocat de Samuel fait comme il peut. « Au moins, il ne dit pas que Madame a glissé ou que les violences sont le fruit de son imagination », avance-t-il. Il relève également que Samuel n’a jamais commis de violence sur ses ex-compagnes, mais que ses 42 mois de détention l’ont brisé. « Il y a un avant et un après », dit-il. Après sa détention, Samuel était perdu. L’avocat raconte qu’à sa libération, son client est parti avec une autre femme en Guadeloupe laissant Amélie et leur fille en plan, avant de revenir vers elles, ce que le tribunal se chargera d’apprécier.

Le prévenu est condamné à 3 ans de prison dont 18 mois assortis d’un sursis probatoire. Samuel et Amélie se regardent intensément une dernière fois avant qu’il ne s’engouffre dans le couloir qui mène aux geôles.

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