La présence possible du ministère public à l’audience de la chambre de l’instruction tend à devenir nécessaire

Publié le 20/04/2022
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Dans l’arrêt en date du 23 novembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle l’importance du dépôt des réquisitions écrites au greffe de la chambre de l’instruction au plus tard la veille de l’audience. De ce fait, la procédure orale menée devant la chambre de l’instruction par le procureur général fait défaut. Les juges pénaux soulignent l’intérêt de la procédure écrite menée par le procureur général devant la chambre de l’instruction au regard du respect du principe du contradictoire. Surtout, la solution innove en ce qu’elle admet pour la première fois la possibilité d’invoquer la nullité devant la Cour de cassation, suivant l’absence du procureur général à l’audience de la chambre de l’instruction.

Cass. crim., 23 nov. 2021, no 21-83892

« Le possible n’est pas loin du nécessaire ». Cette citation de Pythagore illustre l’importance du respect de l’arithmétique dans la procédure pénale et particulièrement de la présence déterminante du procureur général à l’audience de la chambre de l’instruction. C’est d’ailleurs le sujet de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 23 novembre 2021 qui se prononce sur la nécessité du dépôt au greffe des pièces de la procédure par le procureur général des réquisitions écrites. Surtout, cet arrêt interpelle car la haute cour admet pour la première fois, la possibilité de soulever la nullité devant la Cour de cassation pour défaut de présence du procureur général à l’audience de la chambre de l’instruction.

En l’espèce, dans le courant de l’année 2013, deux sœurs ont déclaré avoir été victimes de fait de viols commis par leur oncle, durant leur enfance lorsqu’elles avaient 6 ou 7 ans. Ces faits de viols ont cessé lorsque les sœurs ont atteint respectivement l’âge de 12 et 11 ans.

Le mis en cause a été mis en examen des chefs de viols sur mineurs de 15 ans. Par ordonnance en date du 6 novembre 2020, le juge d’instruction a procédé à la mise en accusation des chefs de viols sur mineurs de 15 ans. Le mis en cause a été renvoyé devant la cour criminelle de la Réunion. Ce dernier a interjeté appel de la décision de renvoi. Le 9 mars 2021, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint-Denis a rejeté la demande aux motifs que le procureur général a requis la confirmation de l’ordonnance déférée par voie orale. Le requérant a formé un pourvoi en cassation en invoquant la violation des articles 194, 197, 198 du Code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme, aux moyens que l’ordonnance de renvoi est entachée de nullité, car le procureur général, « partie nécessaire au procès pénal », n’a pas déposé les réquisitions écrites au greffe de la chambre de l’instruction. La preuve de l’accomplissement d’une telle formalité doit résulter de « l’arrêt lui-même ». Or, en l’espèce les mentions de l’arrêt ne permettent pas à la Cour de cassation de vérifier que les réquisitions écrites ont bien été déposées au greffe de la chambre de l’instruction.

Dans cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation est confrontée à un problème d’absence de dépôt au greffe de la chambre de l’instruction des réquisitions écrites par le ministère public et à la question de la présence nécessaire du procureur général à l’audience de la chambre de l’instruction. Les juges de la haute cour cassent et annulent l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 9 mars 2021. Les parties et la cause sont renvoyées devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée.

La solution retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation se fonde sur les articles 194, alinéa 1er et 197, alinéa 3, du Code de procédure pénale. Les juges pénaux rappellent que suivant ces textes, le procureur général doit procéder au dépôt des réquisitions au plus tard, la veille de l’audience de la chambre de l’instruction devant laquelle la procédure est écrite. En écartant la procédure orale de confirmation de l’ordonnance déférée par le procureur général, elle rappelle en ce sens l’importance du dépôt au greffe des réquisitions écrites (I). Surtout, l’arrêt souligne que le ministère public est une « partie nécessaire en procédure pénale ». De ce fait, elle se prononce eu égard à l’absence du ministère public lors du procès pénal à la possibilité de soulever la nullité devant la chambre de l’instruction pour la première fois devant la Cour de cassation (II).

I – L’importance rappelée du dépôt au greffe des réquisitions écrites par le procureur général

En cassant et annulant l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel, la Cour de cassation se prononce sur la réglementation du dépôt des réquisitions au plus tard la veille de l’audience (A). De ce fait, la procédure orale menée par le procureur général dans la confirmation de l’ordonnance déférée n’a pas lieu d’être, car la procédure devant la chambre de l’instruction est écrite et nécessaire au respect du principe du contradictoire (B).

A – Un dépôt des réquisitions réglementé au plus tard la veille de l’audience

Dans la solution rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 23 novembre 2021, les juges se prononcent sur les règles générales de dépôt des réquisitions devant la chambre de l’instruction. En effet, le visa fait référence en premier lieu à l’article 194, alinéa 1er, du Code de procédure pénale qui prévoit que le procureur général par le biais de son réquisitoire soumet l’affaire à la chambre de l’instruction. Pareillement, le visa s’appuie sur l’article 197, alinéa 3, du Code de procédure pénale qui n’impose pas que les réquisitions fassent l’objet d’un versement au dossier simultané au dépôt du dossier au greffe de la chambre de l’instruction1. La jurisprudence admet que les réquisitions puissent être jointes la veille de l’audience, le délai ne méconnaissant pas les dispositions de l’article 6, § 3, a et b de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit d’être informé de la nature et de la cause d’accusation et de préparer sa défense dans un délai raisonnable2. Dans le même sillage, le dépôt de réquisitions additionnelles la veille de l’audience par le procureur général ne porte pas atteinte aux droits de la défense3. C’est d’ailleurs ce que rappelle l’espèce commentée en cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel qui ne précise pas que le procureur général ait effectué un dépôt au greffe des réquisitions écrites. En ce sens, la chambre de l’instruction a déjà écarté des débats les réquisitions déposées le jour de l’audience par le procureur général n’ayant pas permis de renvoyer l’affaire dans les délais4. De sorte que le délai butoir pour déposer les réquisitions au greffe doit être effectué au plus tard la veille de l’audience5.

B – Une procédure écrite nécessaire au respect du principe du contradictoire

La procédure menée devant la chambre de l’instruction doit être écrite, c’est ce que rappelle la chambre criminelle de la Cour de cassation en écartant la régularité de la procédure orale confirmant l’ordonnance déférée menée par le procureur général. En effet, les réquisitions prises par le procureur général sont écrites et signées par un magistrat habilité6. L’exigence d’une procédure écrite répond au principe du contradictoire. En ce sens, l’article 593 du Code de procédure pénale enjoint à la chambre de l’instruction de répondre aux réquisitions du ministère public, à peine de nullité. De sorte que, les réquisitions écrites sont nécessairement soumises à l’examen de la chambre de l’instruction7. Par ailleurs, l’exigence de la procédure écrite devant la chambre de l’instruction répond au principe du contradictoire, car les parties peuvent prendre connaissance des réquisitions du ministère public au greffe et à l’audience. À ce titre, la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas jugé sérieuse une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la constitutionnalité des articles 194 et 197 du Code de procédure pénale. Les requérants estimaient que les dispositions légales précitées ne prévoient pas la communication des réquisitions du parquet général aux parties. Pour écarter le caractère sérieux de la QPC, la Cour de cassation précise que les dispositions doivent se compléter avec celles de l’article 198 et poursuivent un objectif de bonne administration de la justice. De sorte que les parties peuvent avoir connaissance des réquisitions du ministère public au greffe à l’audience et peuvent exercer un droit de réponse conformément au principe du contradictoire8. Dans l’espèce commentée, la chambre criminelle de la Cour de cassation ne s’attarde pas sur la procédure orale menée par le procureur général, mais se contente de rappeler le nécessaire caractère contradictoire de la procédure écrite devant la chambre de l’instruction.

II – L’absence remarquée du ministère public motivant la nullité soulevée devant la Cour de cassation

À double égard, la solution retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation interpelle. En effet, dans un premier temps, la haute cour précise que la présence du ministère public est requise à peine de nullité, car il s’agit d’une partie nécessaire au procès pénal (A). En cas de méconnaissance de cette exigence, les juges dégagent la possibilité nouvelle d’exercer la nullité devant la Cour de cassation (B).

A – Le ministère public : une partie nécessaire au procès pénal

Dans l’arrêt en date du 23 novembre 2021, il est intéressant de souligner la formulation retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui qualifie le ministère public de « partie nécessaire au procès pénal ». En effet, cette dénomination a déjà été employée par la jurisprudence qui prévoit que « le ministère public, partie nécessaire au procès pénal, doit à peine de nullité, être entendu en ses réquisitions ; que la preuve de l’accomplissement de cette formalité, dont l’inobservation, lorsque l’action publique est en cause, porte atteinte aux intérêts de toutes les parties, doit résulter de l’arrêt lui-même »9. À raison, l’article 592 du Code de procédure pénale dans son alinéa 1er mentionne que les décisions rendues sans que le ministère public ait été entendu sont déclarées nulles. Il est nécessaire que l’autorité de poursuite ait été entendue, sa simple présence ne peut suffire à écarter la nullité10. L’article 32 du Code de procédure pénale impose la présence du ministère public à toutes les audiences. À ce titre, la Cour de cassation précise que le ministère public est une « partie intégrante et nécessaire des juridictions pénales »11. Concrètement, la présence de l’autorité de poursuite doit être constatée par la minute de l’arrêt suivant l’article 486 du Code de procédure pénale. Au regard de l’article 192 du Code de procédure pénale, les fonctions du ministère public auprès de la chambre de l’instruction sont exercées par le procureur général ou ses substituts. Toutefois, lorsque plusieurs audiences ont été consacrées à la même affaire, l’alinéa 2 de l’article 592 du Code de procédure pénale fait présumer la présence des juges. Dans la même veine, la jurisprudence n’exige pas la présence du ministère public, partie nécessaire au procès pénal à chaque audience des juridictions de jugement. Une présomption d’assistance à toutes les audiences de la cause est retenue lorsque l’autorité de poursuite a été entendue en ses réquisitions à celles des débats12. C’est d’ailleurs la position retenue par la chambre de l’instruction qui se réfère à la procédure orale menée par le procureur général. Ce que ne manque pas de rejeter la Cour de cassation en retenant qu’il ne résulte « ni des énonciations de l’arrêt ni des pièces de la procédure que le procureur général ait déposé au greffe des réquisitions écrites ».

B – L’exercice nouveau d’une nullité devant la Cour de cassation

La particularité du présent arrêt tient à la formulation retenue par les juges de la haute cour concernant l’absence de présence du ministère public, partie nécessaire au procès pénal, condition requise sous peine de nullité pouvant être invoquée « pour la première fois devant la Cour de cassation ». En effet, l’article 592 du Code de procédure pénale prévoit que la violation de la règle de composition des tribunaux peut être sanctionnée par la nullité. Il s’agit d’une nullité d’ordre public, car la composition des tribunaux est d’ordre public, le jugement devant comporter la preuve de la composition régulière et légale du tribunal13. Au regard de l’article 486 du Code de procédure pénale, il est nécessaire que les noms des magistrats soient répertoriés sur le jugement, mais la disposition rappelle l’importance de la présence du ministère public à l’audience14. La nullité d’un arrêt peut être justifiée par l’insuffisance de la composition juridictionnelle15. Néanmoins, l’omission de la qualité du procureur général dans l’arrêt n’est pas une cause de nullité lorsque le nom est placé après celle des juges composant la juridiction et avant le nom du greffier16. La Cour de cassation prévoit que la présence du ministère public est requise sous peine de nullité lors du prononcé de la décision17. Pour autant, l’article 216 du Code de procédure pénale n’exige pas la présence du ministère public à l’audience de la chambre de l’instruction18. D’ailleurs, la jurisprudence ne retient pas la nullité d’un arrêt de dépôt de la procédure suivant l’article 208 du Code de procédure pénale, ne faisant pas mention de la présence du ministère public. Pour autant, cette position retenue par les juges est particulière puisqu’elle porte sur une simple formalité de procédure ne nécessitant aucun débat19. Dans l’espèce commentée, la juridiction pénale admet la possibilité de soulever directement la nullité devant la Cour de cassation pour défaut de présence du procureur général lors de l’audience de la chambre de l’instruction. Pour rappel, le principe du contradictoire invoqué au soutien de la procédure écrite met en évidence l’importance du débat contradictoire devant la chambre de l’instruction. De ce fait, les juges de droit reconnaissent pour la première fois la possibilité de soulever devant la Cour de cassation la nullité pour défaut de présence du procureur général à l’audience de la chambre de l’instruction.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 20 mars 1989, n° 89-80204 : Bull. crim., n° 135 – Cass. crim., 26 févr. 1991, n° 90-87295 : Bull. crim., n° 97.
  • 2.
    Cass. crim., 1er juill. 1997, n° 96-82932 : Bull. crim., n° 260.
  • 3.
    Cass. crim., 27 oct. 2004, n° 04-85052 : Bull. crim., n° 262.
  • 4.
    Cass. crim., 9 mai 2001, n° 01-81192 : Bull. crim., n° 112.
  • 5.
    Cass. crim., 9 août 2017, n° 17-83332 : Dalloz actualité, 20 sept. 2017, obs. L. Priou-Alibert.
  • 6.
    Cass. crim., 12 juin 1990, n° 90-81815 : Bull. crim., n° 239.
  • 7.
    Cass. crim., 27 sept. 2000, n° 00-84635 : Bull. crim., n° 281.
  • 8.
    Cass. crim., 9 avr. 2014, n° 14-90007.
  • 9.
    Cass. crim., 10 juill. 1995, n° 94-85641 : Bull. crim., n° 251.
  • 10.
    Cass. crim., 11 mai 1999, n° 98-80481.
  • 11.
    Cass. crim., 26 mars 1996, n° 93-84306 : Bull. crim., n° 134 ; RSC 1996, p. 883, obs. J.-P. Dintilhac – Cass. crim., 24 nov. 1999, n° 98-87164.
  • 12.
    Cass. crim., 4 sept. 1996, n° 93-83764 : Bull. crim., n° 313 ; Procédures 1997, comm. 16, obs. J. Buisson.
  • 13.
    Cass. crim., 4 oct. 1989, n° 88-87435 : Bull. crim., n° 339, p. 822.
  • 14.
    Cass. crim., 12 juill. 1994, n° 93-84609 : Bull. crim., n° 278 – Cass. crim., 6 mai 1996, n° 95-81766 : Bull. crim., n° 187.
  • 15.
    Cass. crim., 5 févr. 1970, n° 69-91191 : Bull. crim., n° 55 – Cass. crim., 15 oct. 1970, n° 69-93139 : Bull. crim., n° 269.
  • 16.
    Cass. crim., 11 juin 1996, n° 96-81312 : Bull. crim., n° 244.
  • 17.
    Cass. crim., 18 janv. 1995, n° 94-812296, P.
  • 18.
    Cass. crim., 6 mars 1996, n° 95-86175 : Bull. crim., n° 104.
  • 19.
    Cass. crim., 20 mars 1990, n° 89-87172 : Bull. crim., n° 123.