Elena Khomyakova : « Le concours Créatrices d’avenir nous permet de parler du dépistage du cancer des ovaires »

Publié le 31/01/2024

Chaque année, le concours Créatrices d’avenir, organisé par le réseau Initiative Île-de-France, en partenariat avec la préfecture et la région Île-de-France, met en valeur des femmes entrepreneurs en décernant six prix. Les prix ont été remis le 6 décembre dernier à Paris. Quinze créatrices étaient finalistes, dans des domaines extrêmement variés. Parmi elles, la scientifique Elena Khomyakova était en lice pour le prix Innovation. Installée au Genopole d’Évry-Courcouronnes, cette chercheuse a développé une nouvelle technologie de dépistage du cancer des ovaires. Rencontre.

Actu-Juridique : Pourquoi vous êtes-vous installée dans l’Essonne ?

Elena Khomyakova : Je suis une chercheuse, titulaire d’un master en physique et d’un doctorat en biologie moléculaire. Je participe à la recherche sur les exosomes depuis 2011. Les exosomes sont des vésicules qui « sortent » de chaque cellule de notre corps. Aux débuts de la recherche, on pensait que ces exosomes contenaient des rejets dont les cellules n’avaient plus besoin. Puis on s’est aperçu que les cellules utilisent les exosomes pour communiquer entre elles. Produites en grande quantité par les cellules cancéreuses, ces vésicules circulent dans notre sang et nos urines et portent en elles les mêmes biomarqueurs cancéreux que ceux de la cellule dont elles sont issues. Pour cette raison, les exosomes sont très prometteurs dans le diagnostic précoce du cancer. En 2011, j’ai été invitée à travailler en Russie sur l’un des premiers projets concernant l’étude des exosomes. J’utilisais alors déjà cette approche pour réaliser les diagnostics. Pendant dix ans, j’ai amélioré les technologies de l’analyse des exosomes et en 2021, j’ai fondé la société Exosome Analytics au sein de laquelle je suis présidente et en charge des développements scientifiques et technologiques. La société a été fondée au Génopole (Évry). Le Génopole est une très bonne opportunité pour les scientifiques qui souhaitent créer des start-ups. Il existe le programme Shaker destiné aux porteurs de projets innovants. Celui-ci dispense des formations importantes pour les chercheurs qui viennent du monde de la science et ne connaissent pas celui de l’entreprise. Le programme inclut l’accès aux instruments scientifiques nécessaires pour réaliser leur preuve de concept. Chaque participant au programme Shaker dispose également d’une somme allouée pour acheter certains produits, comme les réactifs, qu’il n’est pas possible de se procurer en tant que simple personne physique.

Actu-Juridique : Quel est l’intérêt des exosomes pour la recherche sur le cancer ?

Elena Khomyakova : Chaque exosome présente les mêmes marqueurs que ceux que l’on peut trouver dans les tissus que l’on prélève pour diagnostiquer les cancers. On trouve les exosomes dans les liquides physiologiques de notre corps, tels que le sang et les urines. Il suffit pour cela d’analyser des cellules en faisant une biopsie liquide, c’est-à-dire en recueillant non pas des tissus mais des liquides physiologiques. Le cancer des ovaires pourrait ainsi être dépisté par un simple recueil d’urine. C’est une technologie moins invasive que les biopsies classiques, qui nécessitent des ponctions afin de récupérer et d’analyser les cellules identifiées comme cancéreuses. Ces biopsies, en plus d’être très invasives, ne sont malheureusement pas assez précises. Les informations qu’elles apportent sont parcellaires car elles ne concernent pas toute la tumeur. Avec les exosomes, on obtient une information complète concernant les tumeurs, puisque l’on étudie les exosomes produits par chaque cellule tumorale. Les exosomes participent à la formation des métastases chez les personnes atteintes d’un cancer. C’est vraiment un signal. La technologie basée sur les exosomes est très prometteuse pour le diagnostic du cancer.

Actu-Juridique : Est-ce que ce diagnostic du cancer grâce aux exosomes se pratique déjà ?

Elena Khomyakova : Très peu. Il existe aujourd’hui deux tests certifiés par l’Agence du médicament aux États-Unis, mais ils sont tous deux basés sur l’analyse ARN et ADN. Le problème est que les technologies qui existent ne permettent pas d’analyser les onco-marqueurs protéiniques sur les exosomes. Depuis 2012, je travaille sur les technologies qui permettent de détecter les protéines sur les exosomes. J’ai réussi à augmenter la sensibilité et j’arrive aujourd’hui à détecter immanquablement les oncomarqueurs sur les exosomes. Nous sommes très peu d’équipes à travers le monde à parvenir à analyser les protéines sur les exosomes. Cela ouvre de nombreuses possibilités diagnostiques. Notre start-up a ainsi pu développer une plateforme de diagnostic du cancer de l’ovaire.

Actu-Juridique : Pourquoi vous êtes-vous spécialisée sur le cancer des ovaires ?

Elena Khomyakova : Nous avons choisi de nous spécialiser sur ce cancer qui est l’un des plus graves, avec un très fort taux de mortalité. Cela vient du fait que dans 60 % des cas, il est détecté à un stade avancé. Plus tôt la tumeur est découverte, plus on a de chance de guérir. Quand les métastases se sont déjà développées, il est beaucoup plus compliqué d’arriver à une rémission : le taux de survie d’un cancer de l’ovaire découvert au stade 4 est par exemple de 17 %. Nous collectons des échantillons d’urine pour analyser les exosomes. Cette méthode permet de détecter le cancer à un stade très précoce, ce que les résultats des tests actuels ne permettent pas. Par exemple, pour le cancer du sein, principalement dépisté par mammographies, le taux de mortalité en Europe n’excède pas 25 %. Le cancer de l’ovaire est, en revanche, peu voire pas dépisté et la mortalité dépasse 60 %. Nous avons développé un test similaire pour dépister le cancer de la prostate à partir des exosomes présents dans les urines. Pour le moment, nous l’avons mis de côté car le cancer de l’ovaire est le plus grave, avec le plus haut taux de mortalité.

Actu-Juridique : Quand pourra-t-on diagnostiquer le cancer des ovaires grâce à votre technologie sur les exosomes ?

Elena Khomyakova : Je pense que l’on pourra commercialiser notre plateforme pour diagnostiquer des cancers dans cinq ans environ. Avant d’utiliser cette technologie, il faut faire des essais cliniques sur un panel d’au moins un millier de personnes pour obtenir les certifications nécessaires à la commercialisation de nos tests. Ces essais cliniques vont prendre au minimum un an et demi. Pour le moment, on ne peut donc utiliser cette technologie que pour la recherche fondamentale. Nous avons fait des études pré-cliniques et nous pourrons proposer notre plateforme pour la recherche dès l’an prochain. Cela signifie que les universités et les hôpitaux pourront l’utiliser en recherche, mais pas pour le diagnostic. Je suis sûre que les essais cliniques seront concluants car nous avons déjà vérifié, dans les échantillons de quelques personnes que nous avons testées, que nos tests permettaient de détecter des cancers précoces qui étaient passés sous les radars des tests classiques. Je pense que la technologie sur les exosomes marchera mieux que les tests classiques utilisés aujourd’hui. C’est pour cela qu’il faut accélérer cette recherche. La France a une longueur d’avance sur la recherche sur les exosomes, il serait dommage qu’elle perde cet avantage.

Actu-Juridique : Que représente le concours Créatrices d’avenir pour vous ?

Elena Khomyakova : J’ai décidé de me présenter à ce concours, pour médiatiser le problème du cancer de l’ovaire qui touche de nombreuses femmes. Cette publicité peut nous aider à trouver des financements pour accélérer nos recherches et valider notre plateforme. Ce n’est pas encore familier de parler de diagnostic basé sur les exosomes : c’est une technologie nouvelle, différente, qui évoque encore peu de choses pour le grand public. Pour une femme, dans les deep tech, ce n’est pas évident d’obtenir un financement. Enfin, il faut garder à l’esprit, que la charge familiale reste toujours présente pour une femme. Ce projet est comme un bébé de plus qui demande tout autant de travail et d’effort. Et j’ai été très contente de rencontrer les finalistes du concours, toutes tellement intéressantes et porteuse chacune d’un projet entrepreneurial très abouti !

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