Rentrée du barreau de Paris : « N’arrêtons jamais de rêver et d’oser ! »
Le barreau de Paris a organisé sa rentrée le 29 novembre au théâtre du Châtelet, en présence du garde des sceaux Didier Migaud. Celui-ci a rassuré la profession sur la question des moyens de la justice et de la protection de l’état de droit.
Face à la violence qui traverse notre société, la connaissance qu’on les avocats du droit leur confère une sensibilité particulière aux signaux faibles annonçant une remise en question des fondements de l’État de droit. L’anxiété suscitée par l’actualité s’est donc invitée à la rentrée solennelle du barreau de Paris, ce vendredi 29 novembre, au Théâtre du Châtelet. Conflits armés, démocraties illibérales, populismes, montée des extrêmes, « Il nous a fallu un temps immémorial de réflexions, d’abnégations et de sacrifices pour parvenir à édifier, tant bien que mal, ce régime politique auquel nous sommes si attachés : l’État de droit. Il est peut-être fragile, sans doute imparfait, mais il est incontestablement le plus abouti de notre histoire » a souligné Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière de Paris.
« Nous ne sommes ni la plaie, ni le couteau »
Contre la vision caricaturale d’un avocat faisant relâcher les coupables, elle a martelé « que la lutte contre les fléaux modernes, ceux qui sapent l’autorité de l’État, qui menacent l’individu et notre société doit être conduite avec efficacité. Bien sûr que la lutte contre le narcotrafic constitue une nécessité impérieuse. (…) Nous, avocats, prendrons évidemment nos responsabilités dans cette lutte ». Mais on ne peut laisser dire « qu’assurer la défense des droits des individus, quels qu’ils soient, constitue une gêne pour notre société ». Elle a ainsi pilonné les préjugés contre les avocats. Ceux que l’on confond avec leur client « nous ne sommes ni la plaie ni le couteau », ou encore ceux que l’on accuse d’être un danger pour les procédures quand ils soulèvent des nullités « Les avocats n’agissent que dans le strict cadre posé par le législateur, et ces nullités, lorsqu’elles prospèrent, sont celles reconnues et prononcées par les juridictions, garantes de la régularité de la procédure ». La vice-bâtonnière a dénoncé, à ce sujet, les conditions d’exercice difficiles, par exemple quand on empêche les avocats de reproduire eux-mêmes tout ou partie du dossier pénal. Une allusion au recours intenté par l’Union syndicale des magistrat (USM) devant le Conseil d’état contre une disposition réglementaire qui leur permettait de procéder à des copies, sous prétexte que cette décision relevait du législateur et non de l’exécutif. Vanessa Bousardo a aussi évoqué le secret professionnel, toujours plus fragilisé.
« Bâtonnières du monde »
Ce qui amène au sujet particulièrement sensible des relations, de plus en plus tendues, entre avocats et magistrats. La vice-bâtonnière a salué le travail accompli dans le dialogue avec les hauts magistrats à Paris : à la cour d’appel, avec le Premier Président Jacques Boulard et la Procureure générale Marie-Suzanne Le Queau ; au tribunal judiciaire avec le Président Stéphane Noël et la Procureure de la République Laure Beccuau, ainsi qu’avec la première vice-présidente Isabelle Prevost-Deprez. Un dialogue qui a permis de mettre en place « Secours Diligences », un dispositif permettant en cas de maternité ou de maladie de solliciter via des confrères missionnés par l’ordre des renvois dans les meilleures conditions possibles, mais aussi la création d’une application pour saisir un membre du conseil de l’ordre en cas d’incident ou encore celle de groupes de travail, dont un récent sur l’accompagnement des victimes lors du dépôt de plainte.
La bâtonnière, très investie dans les droits des femmes, a évoqué les initiatives du barreau à ce sujet : la création en aout d’un salon d’allaitement à Clichy et l’ouverture prochaine d’une crèche. Elle a aussi lancé au niveau international le collectif Bâtonnières du Monde pour aller au secours des avocates en danger, « car les avocates sont les plus menacées et les femmes, généralement les premières à payer le prix de la lutte pour la liberté comme celui de l’atteinte aux droits fondamentaux ».
« Si on ne se réforme pas, nous allons disparaître »
Dans ces binômes que constituent les équipes vice-bâtonnier/bâtonnier, l’un porte la voix des droits et libertés et du barreau pénal, l’autre incarne les combats économiques de la profession. C’est ainsi que le bâtonnier de Paris, Pierre Hoffman, prenant la parole à la suite de Vanessa Bousardo, a rappelé que près d’un quart de la profession quitte le métier d’avocat avant 10 ans d’exercice. « Ils ne reviennent pas, et cela me rend malade » a-t-il confié. Pour lui le constat est clair « Si on ne se réforme pas, si on ne réforme pas nos instances représentatives, nous allons disparaître ». Et de poursuivre : « L’ouverture de notre profession sur le monde économique est le combat que j’ai choisi de mener. J’ai également fait mon combat du legal privilege et de l’avocat en entreprise. Et je sais les crispations que ces mots suscitent chez certains d’entre vous. Pour rester attractifs, nous avons besoin de réformes d’ampleur ! Nous avons besoin d’être non pas pro-bono mais « pro-business » ! La prospérité de nos cabinets en dépend. (…) Nous devons aussi aller conquérir de nouveaux marchés, développer l’amiable, l’arbitrage, le conseil, rapprocher les avocats des chefs d’entreprise. C’est tout le sens des rencontres économiques que nous organisons depuis le début de l’année ».
Une position courageuse quand on sait à quel point, ainsi qu’il l’a rappelé, ces thèmes crispent une profession idéaliste qui craint de perdre son âme en se préoccupant trop de ses finances. Ainsi, le dossier du rapprochement avec les juristes d’entreprise, qui dure depuis trois décennies, cristallise-t-il cette schizophrénie propre à la profession. Parmi les avancées mises en place, le bâtonnier a cité l’intelligence artificielle. « Depuis mi-octobre, 14 000 confrères de notre barreau peuvent avoir accès de façon gratuite et illimitée à un outil d’intelligence artificielle. Nous sommes les premiers à proposer cela, et nous en sommes très fiers. Déjà 4 017 avocats ont adopté cette offre ».
« Nous sommes toutes et tous liés par l’amour de notre robe »
Être moderne, ce n’est pas pour autant faire n’importe quoi. Ainsi, s’agissant des dérapages de certains avocats dans les médias, le bâtonnier a déclaré : « Nous sommes un barreau médiatique. Nous sommes un barreau regardé. Nous devons être d’autant plus exemplaires qu’à chaque fois qu’un avocat contrevient aux règles déontologiques, c’est sur l’ensemble de la profession que cela rejaillit ».
Parler de legal privilege n’interdit pas non plus d’adhérer aux valeurs du barreau traditionnel. Ainsi a-t-il conclu « N’arrêtons jamais de rêver et d’oser ! (…) Tant que nous nous souviendrons que nous sommes, toutes et tous, liés. Liés par l’amour de notre robe, que nous l’ayons en boule dans notre sac ou suspendue dans nos cabinets, liés par notre serment, liés par nos valeurs, liés par le souvenir de ceux qui étaient là avant nous et que l’année 2024 a vu disparaître, liés par ce qu’ils nous ont légué, cette audace et ce courage – nous en aurons besoin liés par cet ardent désir de Justice, de justesse, et de liberté ! »
« Nous pouvons trouver des méthodes plus agiles, plus innovantes »
C’est enfin le garde des Sceaux, Didier Migaud, qui s’est exprimé à la clôture de la cérémonie. Il a admis qu’il y avait « encore du chemin à faire pour offrir à nos concitoyens la justice qu’ils souhaitent ». Ce chemin, il le fera avec les avocats. D’ailleurs, ils sont présents dans les missions d’urgence qui travaillent actuellement sur les propositions d’actions qui seront présentées en février pour recentrer la justice sur son cœur de métier, juger dans un délai raisonnable et exécuter les peines plus rapidement.
Didier Migaud s’inscrit dans le prolongement de l’action initiée par son prédécesseur s’agissant du développement de l’amiable. La réflexion va s’amplifier, a-t-il annoncé à ce sujet. Quant à la question stratégique des crédits alloués aux juridictions, sur fond de restrictions budgétaires, il s’est dit conscient des besoins « vous avez raison de ne pas vous résigner ». En préservant les moyens contenus dans la loi de programmation de 2023 et en actionnant les leviers pour désengorger la justice, le ministre estime qu’il sera possible d’offrir « une justice efficace et respectueuse des droits de chacun, mais pas au détriment des droits de la défense, j’y suis particulièrement attentif ».
Toutefois, il a précisé, comme l’avait fait avant lui Emmanuel Macron en distinguant État de droit et état du droit, notamment devant le Conseil d’état, « Cela ne veut pas dire qu’il ne faut toucher à rien, nos principes sont une force et pas un obstacle, mais nous pouvons trouver des méthodes plus agiles, plus innovantes, dans l’intérêt de tous ».
Enfin, il a assuré les avocats de son soutien sur le projet de Convention pour renforcer la protection de l’avocat au niveau européen afin que le texte soit adopté au printemps 2025. Son discours a été bien accueilli par une profession qui s’est sentie comprise sur l’essentiel : la question des moyens de la justice et la préservation de l’État de droit, au sein duquel les droits de la défense occupent une place cardinale.
Les discours des deux premiers secrétaires salués par une standing ovation
Conformément à la tradition, le premier secrétaire de la conférence, Me Quentin Dreyfus a prononcé un éloge funèbre, qu’il a consacré à Robert Badinter, disparu le 9 février 2023 à l’âge de 95 ans.
Le deuxième secrétaire, Me Victor Jean-Baptiste a évoqué quant à lui l’affaire des seize de Basse-Pointe. Le 6 septembre 1948 lors d’une grève dans une plantation de canne à sucre, un administrateur blanc, Guy de Fabrique Saint-Tours est assassiné de 36 coups de coutelas. Seize coupeurs de canne sont arrêtés et emprisonnés durant trois ans en Martinique avant d’être transférés à Bordeaux pour y être jugés. Ils seront finalement acquittés. L’avocat principal s’appelait Georges Gratiant.
Les deux discours, de grande qualité, ont été salués par une standing ovation.
Prix et médailles
La rentrée solennelle du barreau de Paris est toujours l’occasion de remettre de nombreux prix et médailles.
La médaille de la conférence a été remise à Me Sébastien Bono, avocat au barreau de Paris.
Le prix du premier président Drai a été remis à Richard Malka
Quant à la médaille du barreau, elle a été remise jeudi à Me Gaël Rivière.
« En 1932, René Bondoux prouvait, en gagnant l’or, qu’un avocat pouvait tout faire. Être champion olympique et Bâtonnier, quel exploit remarquable ! J’ai essayé, moi aussi, de suivre sa trace… mais je n’ai jamais fait mieux que 15-5 au tennis, alors j’ai dû renoncer à mon rêve. Il y en a un qui n’a jamais renoncé, c’est Gaël Rivière, à qui j’ai remis hier la médaille de notre barreau. Avoir dans nos rangs le champion paralympique de cécifoot des Jeux de Paris 2024, quelle fierté pour nous tous ! » Pierre Hoffman
Référence : AJU486133