Comparution immédiate : un portrait à charge de la justice au Rond-Point

Publié le 10/10/2017

Jusqu’au 22 octobre, la justice s’invite sur la scène du théâtre du Rond-Point à Paris. Montée à partir d’un recueil de chroniques judiciaires écrites pour le Canard enchaîné par la journaliste Dominique Simmonot, la pièce Comparution immédiate, une justice sociale ?, se veut le récit réaliste de ces audiences express. Aucun dialogue ni aucun personnage ne sont inventés, prévient le metteur en scène en début de spectacle. Assis tel un public sur les bancs d’un tribunal, le spectateur est appelé à juger cette justice dérangeante.

Au centre d’un plateau dépouillé, une barre en acier sur laquelle trônent nonchalamment une paire de lunettes et quelques feuilles volantes incarne la cour d’un tribunal correctionnel. Vont s’y succéder pendant une heure et quart une cohorte de personnages qui peuplent les audiences de comparutions immédiates dans tous les tribunaux de France. Côté prévenus, des paumés du petit matin, des récidivistes chroniques et un bon nombre de fous et d’illuminés dont les magistrats semblent faire semblant d’espérer qu’ils seront soignés en prison. Côté robe, des avocats désabusés et fatigués, des magistrats paternalistes et amers, toisant ce petit peuple du haut de leur pupitre sans jamais, ou presque, se départir d’une grinçante ironie.

Seul sur scène, Bruno Ricci interprète tous ces rôles avec brio. Un chuintement dans la prononciation, une silhouette qui d’un coup se voute, et le voilà passé du magistrat inflexible à celui de prévenu psychotique. Sa performance est aussi remarquable que le portrait de cette justice est consternant. Car, dans ce spectacle, tout le monde en prend pour son grade. Ni les ténors du barreau, arrivés sans avoir pu prendre connaissance du dossier et découvrant leur client à l’audience, ni les psychiatres, dont les expertises loufoques et contradictoires semblent souvent sorties d’une bande dessinée, ne sauvent l’institution.

Devant cette justice à pleurer, la salle ne peut s’empêcher de rire. Car ces scènes d’audiences absurdes et décalées ont incontestablement des accents tragi-comiques. Plusieurs fois au cours du spectacle, les scènes de comparutions s’arrêtent, le temps d’une lecture de textes produits dans le cadre d’ateliers d’écriture en prison. Ces respirations contrastent grandement avec la mascarade de l’audience et rappellent que l’homme avili dans le box quelques instants plus tôt est aussi capable de grandeur.

LPA – Quelle a été la génèse de ce spectacle ?

Dominique Simmonot – J’ai commencé à tenir une chronique des comparutions immédiates en 1998, puis j’ai poursuivi cette rubrique dans le Canard enchaîné à partir de 2008. Depuis près de 20 ans, je fais une chronique par semaine. Je passe ma vie au palais de justice, je dois avoir en ma possession pas loin d’un millier de cahiers de notes. J’ai transmis l’ensemble des chroniques écrites pour le Canard à Michel Didym, le metteur en scène, qui a procédé à la sélection. Il n’a, en revanche, rien réécrit, tout ce qui est dit sur scène est tiré de mes reportages. Rien n’est inventé. Quand un président d’audience dit : « J’en ai marre de ces minables », cela n’est pas inventé. Tous les mots que j’ai écrits, je les ai entendus.

LPA – Les magistrats de votre spectacle sont, à de rares exceptions près, intraitables et cyniques. Cela correspond-il à la réalité ?

D. S. – Il n’y a pas de profil type de juge de comparutions immédiates. Il y a des magistrats très humains et d’autres épouvantables. Mais tous les défauts que peuvent avoir la justice et les magistrats, sont décuplés dans ces audiences de comparutions immédiates. Toutes les conditions sont réunies pour que ce soit violent. Les prévenus sont jugés en 15 minutes, plaidoirie comprise. Vous imaginez ce que cela représente ? Il n’y a pas eu d’instruction, le dossier se résume à l’enquête menée par les policiers, auxquels il faut faire une confiance aveugle. Les magistrats les jugent à la chaîne, jusqu’à minuit souvent. Ils s’embrouillent au point de se mélanger entre les prévenus au moment d’annoncer les peines, comme le montre une scène du spectacle. Ils finissent forcément par se déshumaniser. Eux-mêmes le disent et s’en plaignent : c’est une justice d’abattage, ils ne savent rien sur les gens qu’ils jugent. Je ne dis pas que les prévenus sont des anges, loin de là, mais les voir comparaître pas rasés, mal habillés, pas préparés, est un spectacle consternant.

LPA – Les audiences de comparutions se ressemblent-elles toutes ?

D. S. – Il y a des différences notables entre les grandes et les petites villes. La délinquance n’est pas la même en région parisienne et en province. Les peines pour des affaires de stups vont être plus lourdes à la campagne qu’à Bobigny. Les magistrats s’adaptent à leur ville. À Marseille, les juges sont souvent très durs, plus qu’ailleurs.

LPA – Qu’est-ce qui vous fascine dans ces audiences ?

D. S. – Ce qui me fascine, c’est surtout qu’elles perdurent depuis leur création en 1863 alors que tout le monde s’accorde à les dénoncer. Les magistrats eux-mêmes les critiquent avec véhémence, mais pourtant ils remplissent leur fonction, comme des hamsters qui tourneraient dans une roue. Ils pourraient pourtant invoquer la circulaire Lebranchu relative à la durée des audiences1. Les magistrats pourraient décider de renvoyer et ils ne le font pas.

LPA – Les magistrats ont-ils vraiment une marge de manœuvre ?

D. S. – À Paris, les comparutions immédiates sont limitées à 18 prévenus par audience de comparutions immédiates. Vous parlez d’une limite ! Je peux, en revanche, citer l’exemple de Hubert Dalle, qui, lorsqu’il était président du tribunal de grande instance de Lyon, a interdit que des magistrats se spécialisent sur les audiences de comparutions immédiates, et a imposé que, quoi qu’il arrive, l’audience soit levée à 20 heures. Et cela avant même que n’existe la circulaire Lebranchu. Au bout de quelques temps, les choses se sont régulées car le parquet a de lui-même déféré moins de personnes à l’audience.

LPA – Comment êtes-vous devenue chroniqueuse judiciaire ?

D. S. – Après des études de droit, j’ai été éducatrice à la pénitentiaire pendant 10 ans, ce qui correspond à ce qu’on appelle aujourd’hui conseiller d’insertion et de probation. C’est comme cela que j’ai commencé à assister à des audiences et à être choquée par ce que je voyais et entendais. Les éducateurs de la pénitentiaire avaient peu de perspectives d’évolution et aucun moyen de faire changer les choses. Je me suis dit qu’il fallait que je raconte ce que je voyais. J’en ai parlé à un copain journaliste à Libération, qui a accepté de me prendre en stage. C’est comme cela que ça a commencé.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Signée en 2001, elle stipule qu’une audience correctionnelle ne doit pas durer plus de huit heures, ndlr.
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