Congrès des notaires (I) : des vœux de réforme du droit de propriété
Réuni pour son 112e Congrès à Nantes du 6 au 8 juin dernier, le notariat a travaillé sur la propriété immobilière. Du dépoussiérage des textes sur le bornage ou l’alignement, à l’innovation avec la consécration d’un droit de jouissance spéciale, les notaires ont mis le droit de propriété au cœur de leurs débats techniques.
Le 112e Congrès des notaires qui s’est tenu à Nantes début juin a consacré ses travaux à la propriété immobilière. Quatre commissions autour de l’immobilier et une vingtaine de propositions pour améliorer son droit. Suivie par 1 543 personnes, la première commission a eu pour chantier de moderniser les fondations de la propriété immobilière, de dépoussiérer des définitions bicentenaires pour faire face aux évolutions passées et futures de la société. Présidée par Vivien Streiff, notaire à Condé-sur-l’Escault (59), et Cédric Pommier, rapporteur, notaire à Lyon (69), elle a fait adopter trois de ses quatre vœux.
Bornage : l’option pour un effet translatif
La commission s’est d’abord penché sur le bornage, ses effets et sa publicité, avec une première proposition adoptée à 83,7 %.
Le bornage judiciaire représentait près de la moitié du contentieux de la propriété devant les tribunaux d’instance et juridictions de proximité en 2008. « Quoi de plus important pour un propriétaire de savoir où commence et où s’arrête son bien ? », soulève le rapporteur. Le titre de bornage ne se confond pas avec un titre de propriété. Sa limite est qu’il ne produit qu’un effet déclaratif, de ce fait, il n’interdit pas l’exercice d’une action en revendication ultérieure, voire une décennie après son établissement. Les notaires proposent que les parties puissent lui conférer un effet translatif de propriété, impliquant une renonciation à toute action en revendication, en dessous d’une certaine surface. Pour ce faire, il a été proposé une modification de l’article 646 du Code civil : « le bornage est un acte déclaratif. Les parties peuvent convenir de conférer au bornage un effet translatif lorsque la surface totale ajoutée ou retranchée des parcelles bornées n’excède pas un centième de la surface cumulée desdites parcelles d’après cadastre ». Appelés à collaborer à l’élaboration de cette proposition, les géomètres n’ont – dit-on – pas eu l’air très favorables au caractère translatif du bornage.
Le second volet de la première proposition tire les conséquences de l’établissement du caractère translatif de propriété de l’acte de bornage sur sa publicité. Serait imposée la publicité de l’acte notarié contenant un bornage translatif à peine d’opposabilité aux tiers. Enfin, l’article 710-1 du Code civil préciserait que l’acte de dépôt au rang des minutes serait réservé au seul procès-verbal d’abornement à caractère déclaratif.
Empiètement : pas d’aménagement de sa sanction
La seconde proposition de la première commission a été refusée à 56 %, après un débat animé. Il s’agissait d’encadrer la sanction des empiètements lorsqu’ils sont minimes et involontaires. En effet, quelles que soient les circonstances (de bonne ou de mauvaise foi) et l’ampleur de l’empiètement, la sanction est systématique et conduit à la démolition, et ce même lorsque l’empiètement n’est que de quelques millimètres. Le juge ne dispose pas de textes pour nuancer cette sanction, et l’action en démolition est imprescriptible, la jurisprudence l’analysant comme une action en revendication. Par conséquent, le sort de la partie débordant est suspendu au seul mécanisme de la prescription acquisitive, c’est-à-dire à l’inaction prolongée du propriétaire du fonds empiété.
La proposition consistait à enfermer l’action dans un délai raisonnable de cinq ans commençant à courir dès l’achèvement des travaux et sous la condition de bonne foi de son auteur. Elle proposait également que, pour éviter la démolition, chaque partie puisse demander au juge le transfert de l’emprise foncière objet de l’empiètement, moyennant une indemnité représentative de la valeur du fonds et tenant compte des préjudices éventuels. Les notaires ont rejeté cette modification de l’article 555 du Code civil, sans doute perçue comme une atteinte à la propriété, propriété à laquelle les notaires ont montré leur attachement profond. Mais « ce vœu reviendra », a assuré le rapporteur !
Toujours dans une optique de « rafraîchissement » du droit de propriété, la commission s’est prononcée pour la caducité des plans d’alignement anciens non mis en œuvre. Adoptée à une quasi-unanimité des votes (97,75 %), la troisième proposition entend mettre fin à une pratique qui empoisonne les propriétaires : l’alignement. En effet, le propriétaire d’un terrain qui s’arrête par exemple à plus ou moins 5 mètres de la route que la commune a le projet d’aménager, ne peut plus en jouir normalement, ni construire dessus, ni espérer le vendre dans de bonnes conditions. C’est pourquoi, la commission a proposé l’insertion d’un nouvel article au Code de la voirie selon lequel « l’alignement découlant d’un plan d’alignement visé à l’article L. 112-1 devient caduc au terme de trente années à compter de la délibération de la collectivité approuvant ce plan, s’il n’a pas été suivi, durant ce délai, d’aucun travaux d’exécution ».
Pour la consécration légale du droit de jouissance spéciale
La quatrième proposition, adoptée à plus de 90 %, ne se contente pas de dépoussiérer le droit de propriété. Extrêmement innovante, la proposition, en deux volets, vise tout d’abord à la création du droit de jouissance spécial. Depuis 2012, et l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 31 octobre 2012 (Maison de la Poésie, n° 11-16304), il est possible de créer, par convention d’autres droits réels que ceux qui sont prévus par la loi, sous réserve de respecter l’ordre public. La cour consacre cette possibilité, insuffisamment utilisée, en tout cas dans l’immobilier ancien. Pourtant, le notariat y voit ses potentialités et a lancé une réflexion globale, remettant à plat l’ensemble des droits réels, dont l’usufruit, objet du second volet de la proposition. Objectif : que les propriétaires puissent composer des droits réels à la carte, en fonction de besoins strictement exprimés pour un coût précisément adapté.
La commission souhaite donc que ces nouveaux droits réels soient consacrés par la loi, afin que soit précisées et sécurisées les possibilités et les prérogatives des parties. Elle a proposé l’introduction d’un nouvel article dans le Code civil selon lequel « sous réserve du respect des règles d’ordre public, on peut constituer sur un bien un droit conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale. Sauf convention contraire, ce droit peut être cédé et est susceptible d’hypothèque. Le droit de jouissance spéciale s’établit de la même manière que l’usufruit. (…). Sous réserve des dispositions de l’alinéa 5 du présent article, il s’éteint de la même manière que l’usufruit. Sa durée ne peut excéder 99 ans. À défaut de stipulation d’un terme, ce droit ne dure que 30 ans lorsqu’une personne morale en est titulaire, et s’éteint par la mort de son titulaire personne physique ».
Second volet de la proposition, le notariat se prononce pour la modification de l’article 619 du Code civil, qui limite l’usufruit détenu par une personne morale à 30 ans. Considérant cette durée excessivement limitée au regard de l’évolution du rapport au droit de la société, et compte tenu de la nécessité de garantir la réunion à terme sur la tête du propriétaire de toutes les prérogatives attachées au droit de propriété, la commission propose que « l’usufruit dont une personne morale est titulaire ne peut excéder 99 ans. À défaut de stipulation d’un terme, ce droit ne dure que 30 ans ».