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Contribution à l’étude du tarif appliqué à la déclaration de succession

Présentation du problème et proposition de solution
Publié le 20/10/2021
Notaire
mast3r/AdobeStock

Le tarif des notaires fait depuis son adoption en 1896 l’objet de nombreuses critiques. Lorsqu’il trouve à s’appliquer aux actes ne relevant pas du monopole, il est susceptible, comme c’est le cas avec la déclaration de succession, d’handicaper le notariat en l’empêchant d’être compétitif vis-à-vis des professions avec lesquelles il est en concurrence. Heureusement, l’arrêt de rejet commenté ne fait pas, en droit, obstacle à une abrogation du tarif particulièrement opportune.

Dans un arrêt rendu le 2 décembre 2020, le Conseil d’État a validé le tarif des notaires applicable à la déclaration de succession. Cette décision mérite une toute particulière attention. Est en effet développé un raisonnement dont la conclusion contredit frontalement la majeure.

L’intervention du notaire en matière de successions sera brièvement rappelée (I) avant un examen critique de l’arrêt du Conseil d’État (II). Un dernier développement sera consacré à une démonstration de ce que le tarif fausse la concurrence entre professions au détriment du notariat (III).

I – L’intervention du notaire en matière de successions

Antérieurement à la déclaration de succession elle-même, plusieurs actes scandent une succession, l’acte de notoriété (A), l’option successorale (B), l’inventaire (C), l’attestation immobilière enfin (D). Certains de ces actes relèvent du monopole du notaire (l’acte de notoriété, l’inventaire, l’attestation immobilière). L’obligatoriété de l’acte de notoriété comme de l’attestation immobilière est mal assurée. Enfin l’inventaire est toujours facultatif. L’option successorale de même que la déclaration de succession (lorsque le patrimoine excède 50 000 €) sont certes obligatoires mais ne relèvent pas du monopole des notaires.

La rédaction d’une déclaration de succession par un notaire ne résulte donc pas d’une série d’actes relevant de son monopole (E).

A – La preuve de la qualité d’héritier : l’acte de notoriété

L’article 730-1 du Code civil énonce que « la preuve de la qualité d’héritier peut1 résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire, à la demande d’un ou plusieurs ayants-droit ». Le législateur a retenu peut et non doit. En effet, l’article 730 du Code civil édicte que « la preuve de la qualité d’héritier s’établit par tous moyens ».

Néanmoins, pour toute succession dont le montant excède 5 335,72 €, l’intervention du notaire serait obligatoire. Usuellement, cette affirmation n’est pas autrement développée.

La doctrine considère parfois que cette obligation trouverait son fondement dans un acte infra-juridique, une circulaire du 30 mars 1989, relative à la simplification de la réglementation du paiement des dépenses publiques2. L’article 1er de l’arrêté du 25 octobre 2013 relatif au règlement des frais funéraires, qui visait une somme de 5 000 €, révisé annuellement en fonction de l’indice INSEE des prix à la consommation hors tabac a été abrogé par arrêté du 7 mai 2015.

Nombre d’acteurs, tels les établissements financiers, conditionnent toujours le déblocage des fonds à la production de ce document. On le voit, le fondement de cette exigence de la pratique est particulièrement fragile.

B – L’option successorale

Lors d’une succession, les héritiers disposent d’un délai de quatre mois pour choisir entre trois solutions. Accepter purement et simplement la succession, accepter la succession à concurrence de l’actif net3 (anciennement, sous bénéfice d’inventaire), renoncer à la succession enfin.

En vertu de l’article 782 du Code civil, l’acceptation pure et simple peut être tacite ou résulter d’un écrit sous seing privé.

En application de l’article 788 du Code civil, l’acceptation à concurrence de l’actif net nécessite qu’une déclaration au greffe soit effectuée ainsi qu’une publicité nationale. L’article 789 du même code impose la réalisation d’un inventaire du patrimoine successoral dans les deux mois de la déclaration faite au greffe.

L’article 804 du Code civil prévoit que la renonciation opérée par l’héritier universel ou à titre universel doit être adressée ou déposée au tribunal dans le ressort duquel la succession s’est ouverte.

Dans aucun des trois cas l’intervention du notaire n’est imposée par les textes.

C – L’inventaire ou le forfait mobilier

Les héritiers ont ici un choix, lequel est dicté par l’importance et la consistance du patrimoine de la succession. Ils peuvent opter soit pour le forfait mobilier, lequel s’élève à 5 % de l’actif brut, soit pour la réalisation d’un inventaire.

En pratique, en l’absence de droits à payer, les héritiers auront intérêt à opter pour le forfait mobilier. En présence de droits, il sera également préférable d’opter pour le forfait mobilier.

Ce n’est qu’en présence de droits et lorsque la valeur des meubles est inférieure à 5 % de l’actif brut, qu’il sera opportun de faire procéder à un inventaire. L’intervention du notaire est alors requise.

D – Le transfert de propriété d’un immeuble : l’attestation immobilière

Selon l’Insee, au 1er janvier 2018, 58 % des ménages métropolitains sont propriétaires de leur résidence principale4. D’où il suit qu’un peu plus de quatre successions sur dix ne comprend pas de bien immobilier5. L’hypothèse de locataires de leur résidence principale, propriétaires d’une résidence secondaire est résiduelle.

Lorsqu’une succession comporte un ou plusieurs immeubles, il est d’usage de faire rédiger préalablement une attestation immobilière par un notaire. L’article 33 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 a certes mis en place un délai pour cette formalité, lequel était sanctionné par une amende civile, mais celle-ci était d’un montant dérisoire (50 francs). Cette amende n’étant plus recouvrée en pratique a été supprimée par la loi n° 98-261 du 6 avril 1998 portant réforme de la réglementation comptable et adaptation du régime de la publicité foncière6. Il est permis de s’interroger sur la portée de cette obligation en l’absence de sanction.

L’intervention du notaire, à ce stade, n’est donc pas indispensable et a pour premier effet d’augmenter le coût de la succession. Les héritiers devront seulement, lors de la vente du bien immobilier, faire précéder cette vente de la rédaction d’une attestation immobilière. Le coût de l’attestation immobilière sera différé et réglé en l’imputant sur le prix de la vente.

E – La déclaration de succession

Sur ce point, il n’y a pas de débat. La déclaration de succession est un acte de nature fiscale. L’article 800 du Code général des impôts dispose : « I. – Les héritiers, légataires ou donataires, leurs tuteurs ou curateurs, sont tenus de souscrire une déclaration détaillée.

En sont dispensés :

1° Les ayants-cause en ligne directe, le conjoint survivant et le partenaire lié par un pacte civil de solidarité lorsque l’actif brut successoral est inférieur à 50 000 € et à la condition que ces personnes n’aient pas bénéficié antérieurement, de la part du défunt, d’une donation ou d’un don manuel non enregistré ou non déclaré ;

2° Les personnes autres que celles visées au 1° lorsque l’actif brut successoral est inférieur à 3 000 €. »

Il s’ensuit que la déclaration de succession est rédigée par et sous la seule responsabilité des héritiers. L’établissement, le dépôt de la déclaration de succession ainsi que le paiement des droits éventuels incombent, au regard des textes, aux seuls héritiers. Leur substitution par le notaire pour la rédaction de la déclaration de succession ne repose donc que sur un mandat, bien souvent tacite.

Si l’on quitte le terrain du droit pour celui de l’opportunité, on doit constater que le notaire est en pratique totalement désarmé face à l’erreur ou la dissimulation. En matière successorale, il arrive que des héritiers omettent – involontairement ou délibérément – de mentionner certains biens du patrimoine du défunt. C’est ainsi qu’à l’insu du notaire, du mobilier de valeur peut-être frauduleusement soustrait par les héritiers du patrimoine du défunt7.

Les notaires ne disposant pas des moyens de s’assurer de son exactitude, il est logique et judicieux que le législateur ait choisi de ne pas inclure dans leur monopole la déclaration de succession. Et il est non moins logique que leur responsabilité ne puisse être recherchée de ce chef.

Aujourd’hui, une déclaration de succession peut donc être établie par un notaire, par un avocat, par un expert-comptable, par un gestionnaire de patrimoine ou encore par les héritiers eux-mêmes.

II – L’arrêt du Conseil d’État du 2 décembre 2020

Le Conseil d’État commence de façon on ne peut plus orthodoxe par exposer très précisément et très complètement le cadre juridique (A). Puis le Conseil d’État avance, pour fonder sa solution, deux justifications erronées l’une et l’autre (B).

A – Le cadre juridique

En vertu du dernier alinéa de l’article L. 444-1 du Code de commerce, « Sauf disposition contraire, les prestations que les professionnels mentionnés au premier alinéa du présent article accomplissent en concurrence avec celles, non soumises à un tarif, d’autres professionnels ne sont pas soumises à un tarif réglementé. »

L’article L. 444-7 du même code renvoie à un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, le soin de préciser les modalités d’application du titre IV bis du livre IV du Code de commerce.

L’article R. 444-3 du Code de commerce, pris pour l’application de ces dispositions, prévoit que l’annexe 4-7 du titre IV bis du livre IV du Code de commerce précise la liste des prestations, notamment des notaires, soumises à un tarif réglementé.

Enfin, la ligne 8 de l’annexe 4-7 précitée soumet à un tarif réglementé les prestations d’établissement de déclaration de succession.

B – Les deux justifications avancées par le Conseil d’État

La déclaration de succession serait le complément d’actes accomplis par les notaires dans le cadre de leur monopole (1). La déclaration de succession serait le complément habituel d’actes accomplis par les notaires dans le cadre de leur monopole (2).

1 – Le complément d’actes accomplis par les notaires dans le cadre de leur monopole

Le Conseil d’État poursuit en exposant que si le législateur a prévu qu’en principe, seuls les actes relevant du monopole de la profession de notaire sont soumis à un tel tarif, le pouvoir règlementaire peut, par exception, y inclure des prestations accomplies en concurrence avec celles, non soumises à un tarif, d’autres professionnels, en particulier lorsqu’elles interviennent en complément d’actes accomplis par les notaires dans le cadre de leur monopole.

Ce n’est donc que par exception que le tarif trouverait à s’appliquer à un acte qui est seulement le complément d’actes accomplis par les notaires dans le cadre de leur monopole. Or les exceptions sont d’interprétation stricte. Une règle d’interprétation juridique assez traditionnelle, ainsi qu’en atteste sa formulation latine : Exceptio est strictissime interpretationis.

C’est sur ce point que le raisonnement du Conseil d’État perd l’essentiel de sa valeur démonstrative. Certes, les notaires rédigent une déclaration de succession à la suite d’actes préalables à son établissement. Mais nous avons vu que ces actes ne sont pas tous obligatoires, et ne relèvent pas nécessairement du monopole des notaires.

C’est ainsi que, lorsque les héritiers optent pour le forfait mobilier, il n’est nul besoin de faire intervenir le notaire. La rédaction d’une déclaration de succession en ce cas n’est pas, contrairement à ce qu’avance le Conseil d’État, le complément d’un acte accompli par le notaire dans le cadre de son monopole.

De même, en l’absence de bien immobilier dans la succession, soit, nous l’avons vu, un peu plus de 40 % des cas, il n’est pas nécessaire de rédiger une attestation immobilière. La rédaction d’une déclaration de succession ne saurait davantage être regardée comme le complément d’un acte accompli par le notaire dans le cadre de son monopole.

Enfin, les héritiers peuvent parfaitement cantonner l’intervention du notaire à la rédaction d’une notoriété, éventuellement complétée par celle d’un inventaire et/ou d’une attestation immobilière et confier à un tiers, avocat ou expert-comptable la rédaction de la déclaration de succession ou encore s’en charger eux-mêmes.

2 – Le complément habituel d’actes accomplis par les notaires dans le cadre de leur monopole

Le Conseil d’État affirme, s’agissant des déclarations de succession, que cet acte est relatif à la transmission du patrimoine par succession – ce qui n’est pas inexact – et qu’il constitue communément8 le complément d’actes accomplis par les notaires dans le cadre de leur monopole, ce qui est beaucoup plus discutable.

Le Conseil d’État, se fonde donc sur un simple usage, une habitude dénuée de portée juridique, pour étendre le champ de l’exception concédée par le législateur. Ce faisant la haute juridiction méconnaît à nouveau la méthode d’interprétation selon laquelle une exception est d’interprétation stricte.

L’extension, au-delà de l’exception prévue par le législateur du champ d’application du tarif, est d’autant plus contestable que sa justification est particulièrement mal assurée s’agissant de la déclaration de succession.

III – Le tarif appliqué à la déclaration de succession

Le choix du Conseil d’État de valider le tarif appliqué à une déclaration de succession est d’autant plus critiquable, que le mode de calcul dudit tarif renchérit l’intervention du notaire (B), donc fait obstacle à ce qu’il puisse être compétitif vis-à-vis des autres professionnels avec lesquels il est placé en concurrence (A).

A – La concurrence d’autres professions

Le droit des successions est depuis de nombreuses années ouvert à la concurrence d’autres professions, ce dont le notariat est au demeurant parfaitement conscient. Parmi de nombreux exemples, retenons ce propos, tenu par Me Félix Béranger dès 2000 lors d’un congrès du mouvement jeune notariat : « Faut-il rappeler qu’en matière de succession, en 1994 et 1995, 87, 8 % des déclarations de succession étaient réalisées par les notaires. Pourcentage apparemment rassurant, qui montre que pour le domaine des successions les notaires ne sont pas concurrencés. Malheureusement pour la même période, les 12 à 13 % de successions qui n’ont pas été réglées par des notaires ont généré de 30 à 40 % des droits perçus par le Trésor. La conclusion est évidente, pour les plus grosses des successions, d’autres que les notaires interviennent massivement en matière de conseil »9.

Quels sont ces autres qui depuis plusieurs dizaines d’années interviennent massivement ? Les avocats, au premier chef, mais également les experts-comptables, ou encore les gestionnaires de patrimoine, notamment.

B – Le renchérissement du coût d’intervention par le tarif

Afin de montrer que l’application du tarif handicape la compétitivité en termes de prix du notaire, nous avons retenu un exemple tiré d’une situation parfaitement banale. Un oncle ou une tante décède, laissant pour seuls ayants-droit ses deux neveux venant à la succession de leur oncle (ou tante) de leur propre chef par suite du précédé de leur auteur. Dans notre hypothèse la succession est dévolue aux deux neveux du défunt.

Le patrimoine transmis s’élève à 300 000 € et se compose pour 200 000 € d’un bien immobilier et de divers comptes bancaires pour un montant de 100 000 €.

Les neveux bénéficient d’un abattement de 7 967 € et leur taux d’imposition est de 55 %. La part taxable par héritier est de : 150 000 € – abattement 7 967 € = 142 033 €. Le montant des droits de succession s’établit à 78 183 euros (142 033 € x 55 %). Le montant du « disponible » avant les frais de notaire s’élève donc à 71 882 € par neveu (150 000 € – 78 118 €). Chaque neveu pourra prétendre une fois les droits de succession et les frais de notaire déduits à la somme de 64 607 €.

La rémunération du notaire s’élève en effet à 14 600 €. Elle se décompose comme suit : acte de notoriété, 150 € ; acte de partage transactionnel (les deux frères ne s’entendant pas sur le partage des biens provenant de la succession de leur oncle, ce qui double de montant des émoluments perçus par le notaire), 12 500 € ; inventaire, 150 € nous supposons que l’attestation immobilière a bien été réalisée dans les 10 mois (à défaut, elle serait facturée en plus) ; déclaration de succession, 1 800 €.

Dans cette situation, ce n’est naturellement pas le notaire lui-même qu’il convient d’accuser d’abus, mais bien le tarif qu’il est contraint d’appliquer, puisqu’il s’agit d’un tarif impératif. L’application du tarif à la déclaration de succession, alors que cet acte est hors monopole c’est-à-dire objet d’une concurrence entre différentes professions, ne peut que nuire à la compétitivité du notariat.

En conclusion, s’agissant d’une déclaration de succession, les héritiers, s’ils ne souhaitent pas la rédiger eux-mêmes, disposent d’un choix entre plusieurs professionnels, notaires, avocats ou experts-comptables. Le rétablissement d’une concurrence libre et non faussée entre ces différents acteurs suppose que le notariat ne soit pas handicapé par l’application d’un tarif exorbitant.

L’arrêt commenté, et c’est heureux, ne fait en droit nullement obstacle à cette abrogation. En effet, si l’annulation d’un acte vaut erga omnes, un arrêt de rejet n’emporte d’effets qu’inter partes. La décision de rejet commentée ne préjuge donc nullement de la décision que le même juge, saisi d’arguments nouveaux serait susceptible de prendre.

Il convient donc de faire valoir au Premier ministre que le tarif appliqué à la déclaration de succession fausse la concurrence entre professions en défaveur des notaires. Il serait toutefois possible et peut-être judicieux, dans une perspective de protection des usagers du droit, de préserver le tarif des notaires, mais en le transformant en un plafond.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Nous soulignons.
  • 2.
    JORF, 8 juin 1989, p. 7082 à 7083.
  • 3.
    https://lext.so/_BWJMm.
  • 4.
    https://lext.so/GBpnCu.
  • 5.
    . https://lext.so/H8aLlx.
  • 6.
    M. Suquet-Cozic, Publicité foncière, 2014, Francis Lefebvre, p. 158, n° 10850.
  • 7.
    CA Colmar, 12 mars 2009, n° 07/04874.
  • 8.
    Nous soulignons.
  • 9.
    Me F. Béranger, rapporteur, congrès mouvement jeune notariat 2000, p. 136.
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