Hugo Georges : « La population doit savoir que les magistrats veulent rendre une justice de qualité » !
À 26 ans, Hugo Georges a été installé en tant que magistrat à la cour d’appel de Versailles, le 1er septembre 2022. Il exercera le poste de juge placé auprès du premier président de la cour d’appel de Versailles, Jean-François Beynel. Pour sa première mission, il occupera la fonction de juge des enfants au tribunal judiciaire de Versailles. Un accomplissement pour ce jeune magistrat entré à l’École nationale de la magistrature en février 2020.
Actu-Juridique : Vous sortez de l’École nationale de la magistrature et vous intégrez la cour d’appel de Versailles en tant que juge placé. Qu’est-ce que représente ce premier poste ?
Hugo Georges : C’est l’aboutissement de mon parcours universitaire. J’ai orienté mes études, au fur et à mesure, sur la préparation du concours de la magistrature. Aujourd’hui, c’est l’aboutissement d’une construction personnelle et professionnelle. J’ai l’impression d’arriver au bout de quelque chose. En même temps, j’ai ce sentiment de commencer un peu par un saut dans l’inconnu. Enfin, pas totalement car j’ai déjà fait des stages et la formation à l’École nationale de la magistrature, qui dure 31 mois, est complète et m’a beaucoup apporté. Mais c’est tout de même le début d’une expérience nouvelle.
Actu-Juridique : Avec cette intégration et cette nomination à cette fonction, quel est votre sentiment ?
Hugo Georges : Je suis partagé entre deux sentiments. Le premier est la fierté d’en être arrivé là, parce que je ne viens pas d’une famille où il y avait des magistrats ou des personnes qui travaillaient dans le monde de la justice ou du droit. Aussi parce que j’ai grandi dans une petite campagne éloignée de Paris, où l’on a parfois le sentiment que des métiers tels que ceux de magistrats ne nous sont pas accessibles.
Puis, je suis fier aussi d’avoir porté la robe d’audience lors de mon installation. Le second sentiment est celui du poids des responsabilités. C’est peut-être assez banal, mais il ne faut pas prendre à la légère le fait de rendre la justice. Il faut trouver un équilibre assez difficile entre la nécessité de ne pas sacraliser totalement la fonction tout en gardant toujours en tête qu’un bout de vie des personnes en face de nous dépend de nos décisions.
Actu-Juridique : En quoi consiste le poste de juge placé ?
Hugo Georges : Le poste de juge placé est un poste de magistrat. Il en existe au siège avec les juges placés et au parquet avec les substituts placés. Dans mon cas, je suis affecté auprès du premier président de la cour d’appel de Versailles. J’ai vocation à être un remplaçant, ou de manière triviale un « joker ». Temporairement, je peux prendre une fonction pour laquelle il y a un manque de personnel dans tel ou tel tribunal de la cour d’appel (Chartres, Pontoise, Versailles et Nanterre). Je vais être amené à exercer toutes les fonctions du siège de la première instance : juge des enfants, juge de l’application des peines, juge d’instruction, juge aux affaires familiales ou encore juge des contentieux de la protection. En principe, ce sont des missions de quatre mois. Aujourd’hui, je commence comme délégué à la fonction de juge des enfants au tribunal judiciaire de Versailles. Dans quatre mois, je pourrais être délégué à l’application des peines à Pontoise, par exemple. C’est vraiment un poste dans la magistrature qui permet de varier sans cesse les activités.
Actu-Juridique : Quel va être votre quotidien de juge des enfants au sein du tribunal judiciaire de Versailles ?
Hugo Georges : Le juge des enfants a une double casquette. Il est en charge de l’assistance éducative, c’est-à-dire de la protection de l’enfance en danger. Il a en second lieu une casquette de juge pénal, pour les mineurs qui commettent des infractions. Au niveau de la répartition de l’activité d’un juge des enfants, c’est environ 70 % d’assistance éducative et 30 % de droit pénal des mineurs. Pour être concret, je vais recevoir entre trois et quatre familles presque tous les matins de la semaine, dans le cadre de l’assistance éducative. Là, je vais entendre les enfants, les parents et les services éducatifs qui suivent la famille et rendre une décision en fonction des débats de l’audience. Il peut y avoir un non-lieu à assistance éducative : il n’y a pas besoin de suivre la famille car on estime que les enfants ne sont pas en danger. On peut aussi prendre une mesure d’accompagnement éducatif. Enfin, la mesure la plus grave en protection de l’enfance, c’est le placement. On extrait le mineur de son milieu familial car on estime qu’il y a un danger imminent.
Actu-Juridique : Et qu’en est-il de l’activité du juge des enfants au pénal ?
Hugo Georges : Dans le cadre de mon activité au pénal, ce sera plus dynamique. On peut être amené à entendre des mineurs en déferrement. C’est le cas pour des mineurs placés en garde à vue et déférés tout de suite devant le juge des enfants, pour une prise de décision, dans l’attente d’un procès. De même, le juge des enfants juge, lors du procès, les mineurs soupçonnés d’avoir commis une infraction, dans le cadre d’audiences collégiales du tribunal pour enfants (pour les délits les plus importants), ou d’audience à juge unique (pour les délits les moins graves). Je vais également être amené à participer aux procès d’assises concernant les mineurs, en tant qu’assesseur (pour juger des crimes qu’ils sont soupçonnés d’avoir commis).
Actu-Juridique : Vous parliez de la notion de responsabilité. Elle est bien présente car vos décisions vont impacter des vies de famille…
Hugo Georges : Tout à fait et c’est vrai que c’est un peu vertigineux. Mais, en même temps, nous ne prenons pas nos décisions sans justifications. On a souvent fait entre sept et neuf ans d’études avec 31 mois de formation. Puis notre principal guide c’est la loi, qui nous protège et sans laquelle nos décisions ne seraient pas valables. Mais c’est vrai qu’il y a toujours cette ambivalence entre le côté très humain des faits est des situations que l’on a à connaître, et la rigueur de la loi à appliquer : c’est, là encore, un équilibre parfois difficile à trouver.
Actu-Juridique : La cour d’appel de Versailles est la troisième juridiction en France. Que représente ce lieu d’exercice de votre première fonction ?
Hugo Georges : C’est un ressort que je ne connais pas du tout. Au cours de mes différents stages, j’ai peu abordé les problématiques des tribunaux du ressort, situés principalement dans des zones urbaines et je n’ai jamais touché aux réalités socio-économiques de ces territoires. Le ressort de la cour d’appel est également assez diversifié, avec un territoire plutôt rural autour de Chartres et des zones très urbanisées avec Versailles, Nanterre et Pontoise. Pour ces trois dernières villes, les tribunaux regroupent plus d’un million d’habitants ! C’est intéressant de voir comment on travaille avec un tel flux de dossiers, en se tenant surtout à rendre une justice de qualité. C’est un défi. Pour prendre un exemple, il y aura peut-être trois à quatre dossiers lors d’une audience de comparution immédiate dans une ville moyenne hors Île-de-France, durant un après-midi. Si on va à Nanterre, il doit y en avoir 10 ou 12. Ce n’est pas la même quantité et pourtant la justice doit être rendue de la même manière pour tous : comment le faire dans ces conditions est une question que l’on se pose sans cesse.
Actu-Juridique : Comment avez-vous effectué votre choix de poste à l’École nationale de la magistrature ?
Hugo Georges : Au moment du choix de poste, c’est l’aboutissement de 31 mois d’école durant lesquelles on vit des choses très intenses. À la fin du processus, on doit choisir notre premier poste. Là, j’ai eu l’impression de faire le choix de ma vie. Clairement, la fonction que j’ai choisie correspond à ma personnalité. Je suis assez curieux de nature et c’est un plaisir de me dire que dans les deux ou trois prochaines années, je vais pouvoir exercer peut-être sept fonctions différentes, dans quatre tribunaux différents, de tailles différentes, avec des personnes et des affaires différentes. C‘est ce qui me qui m’a motivé pour ce poste.
Actu-Juridique : Face à cette diversité d’activité que vous allez connaître, avez-vous néanmoins une sensibilité pour un domaine du droit en particulier ?
Hugo Georges : Mon parcours post-bac a toujours été très généraliste et j’ai toujours fait autant de droit pénal que de droit civil. Ensuite, durant la formation à l’École nationale de la magistrature, nous devons effectuer un stage probatoire durant lequel nous sommes amenés à exercer, sous l’autorité des magistrats titulaires, toutes les fonctions. C’est à cette occasion que ma préférence est allée vers les fonctions de magistrat dont l’office est dit « tutélaire ».
Ce sont les fonctions de protection, comme peut l’être le juge des tutelles, le juge aux affaires familiales, le juge des contentieux de la protection ou le juge des enfants. C’est là où je me suis senti le plus à l’aise et j’ai vraiment pris du plaisir à exercer ces fonctions. Je trouve intéressante cette image de la justice moins punitive, et plus curative ou protectrice. L’opinion publique a tendance à l’oublier car dans les médias, la justice est souvent représentée sous son aspect pénal : c’est l’image du juge d’instruction, qui est peut-être le plus connu des magistrats en France. D’ailleurs, quand je parle de la justice autour de moi, mes proches citent en premier le juge d’instruction comme étant le juge qu’il connaisse, car c’est le plus représenté. Moi-même je pense que j’avais cette approche de la justice avant de faire mes études de droit. Mais en rentrant à l’ENM et cours de nos différents stages, j’ai découvert d’autres offices tout aussi intéressants (l’office enquêteur, l’office punitif, l’office tutélaire ou encore l’office pacificateur du juge civil).
Actu-Juridique : Comment avez-vous vécu votre formation à l’École nationale de la magistrature ?
Hugo Georges : Encore une fois, la formation à l’ENM dure 31 mois. J’ai prêté serment à mon entrée en février 2020. C’est à ce moment-là que j’ai intégré le corps de la magistrature, en tant qu’auditeur de justice. Jusqu’en avril 2021, nous avons alterné entre des cours théoriques et des stages de courte durée avec des partenaires extérieurs. Par exemple, nous avons eu un stage de quinze jours en détention, durant lequel on portait l’uniforme d’un surveillant pénitentiaire. Nous avons été en totale immersion dans l’univers carcéral. Les détenus eux-mêmes ne savaient pas que nous étions des élèves-magistrats. C’était une expérience vraiment marquante, permettant de prendre conscience de ce que représente la privation de liberté. Concernant les cours à l’École, nous avons fait de la pratique sur l’exercice des fonctions juridictionnelles au quotidien. Par exemple, la rédaction d’un jugement civil, d’un jugement pénal, l’ordre pour annoncer les décisions lors d’une audience correctionnelle. Nous sommes censés avoir acquis les connaissances sur le fond du droit, la formation est donc plus axée sur la pratique. Puis, il y a dix mois de stage probatoire en tribunal. Dans mon cas, c’était d’avril 2021 à janvier 2022 au tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer. Enfin, de janvier à avril 2022, j’ai fait un stage « extérieur » lors duquel mes camarades et moi-même devons choisir une institution en dehors du monde de la justice. J’ai choisi de l’effectuer dans un hôpital psychiatrique en région lilloise.
Actu-Juridique : Aujourd’hui, les Français semblent de plus en plus critiques vis-à-vis de l’institution judiciaire. Vous avez dit plusieurs fois qu’il y a nécessité de rendre une justice de qualité. Comment procède-t-on selon vous ?
Hugo Georges : En toute humilité. Nous sommes dépositaires d’un pouvoir constitutionnellement garanti, nous sommes en démocratie et dans un État de droit : critiquer la justice est donc légitime et peut même être sein lorsque c’est fait de manière constructive. Quand je parle d’humilité, cela signifie qu’il faut savoir recevoir et entendre les critiques. Après, quand on connaît les réalités de la formation, du métier et du terrain, on a envie de convaincre et de contrecarrer certaines critiques qui sont faites autour de soi. Par exemple, je sens dans mon entourage, parfois, un regard un peu méfiant ou une défiance à l’égard de la justice. Et justement, j’ai à cœur à mon petit niveau, d’essayer de leur montrer que ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Pour conclure, il faut donc toujours se remettre en question en ayant l’envie de rendre une justice de qualité et de la meilleure manière possible.
Actu-Juridique : Par rapport aux réflexions engagées autour de l’institution judiciaire, des États généraux de la justice et du rapport Sauvé, quel est votre regard ?
Hugo Georges : Comme beaucoup de services publics ou d’institutions, nous devons travailler autour d’une réhabilitation de la place de la justice dans la société. Il faut revenir aux fondamentaux et se poser la question de l’utilité de la justice dans la société. Pourquoi a-t-on besoin de tribunaux ? Pourquoi a-t-on besoin de magistrats ? Il faut vraiment se poser ces questions car au fil des décennies, il y a eu des accumulations de réformes qui ont perdu de vue la philosophie générale de ce que doit être la justice dans une démocratie.
Les lois sont construites de manière conjoncturelle et réactionnelle, sans forcément penser philosophie de long terme. Les critiques qui émanent de la société dont vous parliez tout à l’heure doivent nous imposer de prendre un peu de recul. C’est la réflexion engagée par les États généraux de la justice et le rapport Sauvé rendu au président de la République. Ce sont des préconisations, qui vont dans un sens favorable pour renforcer l’institution judiciaire et en redéfinir ses missions et ses contours. Après, nous allons attendre de voir ce qui va en découler en termes de mesures concrètes.
Actu-Juridique : Enfin, il y a eu aussi cette tribune publiée et signée par 3 000 magistrats à la fin de l’année 2021. Comment avez-vous réagi ?
Hugo Georges : Quand cette tribune a été rédigée, j’étais encore auditeur de justice, en stage au tribunal de Boulogne-sur-Mer. Cet acte m’a marqué. Quand on est auditeur de justice, on a la chance de pouvoir intégrer l’ensemble des services du tribunal. On peut parler à tous les magistrats, toutes fonctions confondues. Le contenu de cette tribune parlait d’une réalité. Et je constatais cette réalité depuis les quatre ou cinq mois de stage à Boulogne-sur-Mer. Des choses se disaient en off entre les magistrats. Des constats sur les manques de moyen, sur l’impression d’avoir toujours plus de dossiers. Ce qui m’a le plus marqué, c’est la perte de sens ressenti par certains magistrats face à la masse de travail. C’est important de dire ce que l’on ressent et d’alerter la population, d’autant plus quand on estime qu’une justice de qualité ne peut plus être rendue. Cet événement m’a donné une envie d’agir et une volonté de bien faire. La nouvelle génération doit assurer la relève sur ces sujets et la population doit savoir que les magistrats veulent rendre une justice de qualité. Nous nous attachons à le faire au quotidien.
Référence : AJU006a6