Inscription sur les listes d’experts, la Cour de cassation reste dans le contrôle minimum
La Cour de cassation, tenue de constater que les décisions d’inscription ou de non-inscription d’experts judiciaires sur les listes sont suffisamment motivées, n’exerce souvent qu’un contrôle a minima, limité à l’erreur manifeste d’appréciation, en ce qui concerne le fonds et procède de manière identique en ce qui concerne la régularité de la procédure. La présente décision est une nouvelle application de ces principes.
Cass. 2e civ., 2 juin 2016, no 15-60308, D
Issues de la nécessité pratique pour les juridictions de disposer d’une réserve de professionnels aux compétences reconnues, les listes d’experts furent officiellement consacrées par le législateur, qui a réglementé les conditions de leur établissement, en 19711. L’inscription est devenue un moyen de sélection des experts2. Ceux-ci bénéficient d’un recours spécifique3, dont on peut penser que c’est un recours sui generis qui s’apparente au recours pour excès de pouvoirs4 effectué devant la Cour de cassation5, organisé contre les décisions prises par l’autorité chargée de l’établissement des listes d’experts judiciaires6, que celle-ci a tendance à limiter au minimum, tant en ce qui concerne le contrôle de la régularité formelle de la procédure (I) qu’en ce qui concerne le fond des décisions qui doivent être motivées mais pour lesquelles là aussi le contrôle de motivation est très limité et reste a minima (II).
L’inobservation des règles de forme prévues sera sanctionnée par l’annulation de la décision de l’assemblée générale de la juridiction qui statuait sur l’inscription ou la non-inscription des experts7. Sur le fond, l’opportunité de la réinscription est appréciée souverainement par l’organisme compétent, qui doit statuer par une décision motivée8. Comme le montre la présente décision ces contrôles se font a minima.
I – Contrôle de la régularité formelle de la procédure
La procédure d’inscription sur la liste d’experts9 prévoit que la liste des experts est dressée par chaque cour d’appel10. Pour être inscrit l’intéressé doit adresser, une demande au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel il exerce son activité professionnelle ou possède sa résidence. Après avoir instruit le dossier, le procureur de la République le transmet, au procureur général qui saisit le premier président de la cour d’appel. Le premier président de la cour d’appel désigne un ou plusieurs magistrats du ressort appartenant au siège pour exercer les fonctions de rapporteur11. La procédure d’inscription comprend une phase d’instruction préalable des dossiers par le parquet, puis une phase de décision12 qui est prise par l’assemblée générale de la cour d’appel13, en cas de violation des règles applicables, la décision de l’assemblée générale de la cour d’appel est nulle14. À l’appui de son recours, l’expert dont la demande d’inscription a été rejetée invoquait le non-respect du quorum par l’assemblée qui a statué. La Cour de cassation rejette sa demande en notant qu’il ne précise pas en quoi les dispositions de l’article 8 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatives à la composition de l’assemblée générale n’auraient pas été respectées. Comme on sait que l’assemblée générale, dont dans ce cas la composition est déterminée de manière précise en fonction de son importance15, siégeant en matière administrative, elle n’a pas à indiquer sa composition dans sa décision refusant l’inscription initiale d’un candidat sur la liste de la cour d’appel ni l’identité du président ni celle de ses membres16 une telle décision a comme conséquence que le contrôle de la régularité de la procédure sera minimum. Ce qui rejoint celui des décisions sur le fond lui aussi limité.
II – Sur le fond, exigence de motivation des décisions
Pendant longtemps, une jurisprudence constante estimait que l’assemblée générale de la juridiction et plus précisément des magistrats du siège qui statuaient sur l’inscription ou la non inscription des experts sur la liste n’avait pas à motiver sa décision17. Puis, la Cour de justice de l’Union européenne18 a estimé que l’intéressé devait pouvoir connaître les motifs de la décision prise à son égard, afin de vérifier la légalité de la décision par rapport au droit de l’UE amenant ainsi à l’obligation de motiver les décisions relatives à l’inscription sur les listes d’experts judiciaires19. Les décisions relatives à l’inscription ou non inscription sur la liste des experts doivent maintenant être motivées. La Cour de cassation annule celles qui ne le sont pas20. Cependant l’étendue du contrôle de cette motivation reste a minima21, limité à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation22, comme le montre à nouveau la décision rapportée qui en rejoint d’autres plus anciennes dans le même sens, procédant d’un contrôle si formel qu’il n’est plus très loin de l’absence de contrôle, dont on connaît des applications23, confirmée par la suite notamment par une décision qui a jugé qu’il ne saurait être reproché à l’assemblée générale de vérifier que tout candidat à l’inscription sur la liste des experts de la cour d’appel remplit les conditions légales et réglementaires lui permettant d’exercer son activité en conformité avec le droit social et le droit du travail24, ou d’une autre décision estimant que ne peut être prise en considération de l’ancienneté de cinq ans exigée pour demander son inscription sur la liste, la qualité d’expert de la Cour pénale internationale car cette juridiction n’est pas un État membre de l’Union25.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 71-498, 29 juin 1971, relative aux experts judiciaires modifiées le 29 mars 2012 : JO 30 juin 1971, p. 6300.
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2.
Wailly J.-M., « Le système français de sélection des experts », RED soc. 1/2014, p. 16.
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3.
D. n° 2004-1463, 20 déc. 2004, art. 3 : JO 23 déc. 2004, p. 22351.
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4.
Chapus R., Droit du contentieux administratif, 12e éd., 2006, Montchrestien, Précis Domat ; Long M., Weil P. et a., Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 16e éd., 2007, Dalloz, Grands arrêts.
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5.
D. n° 2004-1463, 20 déc. 2004, préc., art. 7 ; Cass. 2e civ., 21 sept. 2006, n° 06-10852 : Bull. civ. II, n° 245 ; Cass. 2e civ., 14 mai 2009, n° 09-10712.
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6.
COJ, art. R. 411-5.
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7.
Cass. 2e civ., 21 sept. 2006, n° 06-11595 ; Cass. 2e civ., 21 sept. 2006, n° 06-10053.
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8.
CJCE, 17 mars 2011, nos C-372/09 et C-373/09 ; L. n° 71-498, 29 juin 1971, relative aux experts judiciaires modifiée le 27 mars 2012, art. 2, III.
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9.
Wailly J.-M., « Le système français de sélection des experts », RED soc. 1/2014, p. 16.
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10.
COJ, art. R. 312-43 ; D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, art. 17 ; Cass. 2e civ., 3 juill. 2008, n° 08-11541 : Bull. civ. II, n° 162.
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11.
D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, art. 8, al. 5.
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12.
Olivier M., « Les listes nouvelles d’experts judiciaires » : Gaz. Pal. Rec. 1976, 1, doctr. p. 97.
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13.
D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, art. 18.
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14.
Cass. 1re civ., 14 janv. 1992, n° 91-10846 : Bull. civ. I, n° 15 ; Gaz. Pal. Rec. 1992, 1, pan. jur. p. 127.
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15.
D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, relatif aux experts judiciaires.
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16.
Cass. 1re civ., 6 mai 1981 : Gaz. Pal. Rec. 1981, pan. jur. p. 351.
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17.
Cass. 2e civ., 16 mai 2012, n° 11-161219 ; Cass. 2e civ., 16 mai 2012, n° 11-61219 : Dalloz actualités 31 mai 2012, obs. Dargent L.
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18.
CJCE, 17 mars 2011, nos C-372/09 et C-373/09.
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19.
L. n° 71-498, 29 juin 1971, préc. ; Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 12-60616 ; déjà en ce sens Cass. 2e civ., 12 juill. 2012, n° 12-60002 : LPA 18 oct. 2012, p. 5, note Dupré M. ; Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 09-10605.
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20.
Cass. 2e civ., 10 avr. 2014, n° 13-60329 ; Cass. 2e civ., 12 juill. 2012, n° 09-10605 : LPA 18 oct. 2012, p. 5, note Dupré M. ; Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 09-10605.
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21.
Cass. 2e civ., 12 juill. 2012, n° 09-10605 : LPA 18 oct. 2012, p. 5, note Dupré M.
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22.
Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 13-60067 ; Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 09-10605 ; Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 13-60004 ; Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 13-60038 ; Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 13-60042 ; Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 13-60002 ; Cass. 2e civ., 6 juin 2013, n° 13-60619 ; Cass. 2e civ., 10 avr. 2014, n° 14-60004.
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23.
Richevaux M., « Inscription sur les listes d’experts et limites de l’obligation de motivation », Gaz. Pal. 28 juin 2014, n° 184w6, p. 9.
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24.
Cass. 2e civ., 9 avr. 2015, n° 14-60786.
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25.
Cass. 2e civ., 25 juin 2015, n° 15-60140, D.