La filiation en 2018 : les notaires se joignent au débat des États généraux de la bioéthique

Publié le 19/03/2018

La Chambre des notaires de Paris et le Club du Châtelet ont organisé fin janvier une conférence-débat, sur les questions juridiques de la filiation et de la PMA (procréation médicalement assistée). La profession souhaite apporter un regard notarial dans la réflexion nationale des États généraux 2018 de la bioéthique qui se tient jusqu’en juillet prochain.

Le 18 janvier dernier, les États généraux sur la bioéthique ont été ouverts sur le thème : « Quel monde voulons-nous pour demain ? » Ceux-ci doivent durer six mois et aboutiront à une nouvelle loi sur la bioéthique à la fin de l’année 2018. L’actuelle loi de 2011 prévoit qu’elle doit faire l’objet d’une révision, précédée par une consultation publique. À l’occasion de ce grand débat sur les familles annoncé par le président, Emmanuel Macron, pour 2018, le Club du Châtelet et les notaires de Paris ont organisé une conférence-débat. Autour du sujet « Des nouvelles des enfants : la filiation en 2018 : adoption et PMA en question », la discussion portait sur les mutations de la famille et ses conséquences juridiques.

Pour la Chambre des notaires de Paris, cette question est d’importance et intéresse la profession qui est au contact direct avec les familles. Pierre Dauptain, notaire et essayiste, auteur de l’ouvrage « Et comment vont les enfants ? », aux éditions L’Harmattan, est intervenu pour parler de l’évolution de la parentalité des années 1960 à nos jours. D’après lui, ce retour dans le passé permet de mieux comprendre l’évolution des mentalités et de la législation.

Le notaire Benoît Delesalle a, quant à lui, traité de la question de l’adoption et de la PMA au sein des différentes familles. Il a rappelé la pluralité des couples dans la société de nos jours (mariés, non mariés, hétérosexuels, homosexuels, recomposés, etc.) et leurs difficultés respectives pour avoir le droit à avoir un enfant.

La conférence a suscité de nombreuses réactions et questions au sein des participants. Pour Pierre Dauptain, « Des débats douloureux ont secoué la famille depuis 50 ans. Les États généraux de la bioéthique devraient permettre d’esquisser dans des conditions apaisées des solutions pour le « droit au bonheur » des enfants à naître… ». En effet, un mauvais encadrement par la loi pourrait entraîner des dérives, comme la marchandisation du corps de la femme ou l’intérêt de l’enfant qui serait mis au second plan. Cependant, un récent sondage de l’IFOP, réalisé pour La Croix et le Forum européen de bioéthique, affirme que 60 % des sondés sont favorables à la PMA et 64 % sont favorables à la GPA (gestation pour autrui).

« La question n’est pas facile », souligne Pascal Chassaing, président de la Chambre des notaires de Paris. C’est pourquoi le débat national, organisé par le Comité consultation national d’éthique (CCNE), invite les citoyens à s’interroger ainsi que de nombreux organismes, instituts de recherche, associations et comités éthiques. D’autres thèmes seront débattus, tels que l’avancé de la recherche sur la reproduction, la protection des données de santé, l’intelligence artificielle, la procréation ou encore la fin de vie… La synthèse du CCNE, disponible en juin 2018, servira d’éclairage aux acteurs politiques qui porteront la révision de la loi de bioéthique. Pierre Dauptain, notaire et essayiste, invité de cette conférence, revient pour les Petites Affiches sur les enjeux des États généraux de la bioéthique.

LPA

Pourquoi les notaires s’intéressent-ils à la question de la filiation ?

Pierre Dauptain

Je pense que les notaires sont légitimes à explorer ces questions, car ils se situent au cœur des familles dans leur quotidien professionnel. C’est par exemple au notaire qu’il revient de recueillir un consentement à adoption. Et quand un couple veut engager une PMA avec un tiers donneur, il en fait la déclaration, soit devant un juge, soit devant un notaire.

Le but de cette conférence-débat était donc d’apporter un regard notarial sur les questions qui vont être abordées dans le cadre des États généraux de la bioéthique, notamment en matière de PMA, en essayant d’offrir une approche objective de la situation actuelle, en expliquant comment on y est arrivé et quels sont les enjeux du moment.

LPA

Qu’est-ce qui a changé avec l’évolution de la parentalité ?

P.D.

J’avais pour mission de reprendre cette évolution en partant de la loi de 1966 sur l’adoption jusqu’à la problématique d’aujourd’hui. Ce travail de rétrospective est un moyen de comprendre les distinctions actuelles que l’on peut souligner. À savoir, l’adoption n’est offerte qu’aux couples mariés alors que la PMA est ouverte à des couples non mariés. À côté de cela, l’adoption est autorisée à des couples homosexuels mariés mais pas la PMA…

La loi sur l’adoption a été bâtie dans les années 1960 pour offrir des foyers à des enfants qui n’en avaient pas. Mais avec la légalisation de la pilule puis de l’avortement, la question des enfants non voulus a trouvé des solutions et la problématique s’est alors tournée vers les couples qui avaient recours à l’adoption parce qu’ils n’arrivaient pas à avoir d’enfant. Puis, en 1994, les premières lois de bioéthique ont encadré la PMA. Et, aujourd’hui l’adoption permet parfois de contourner l’interdiction faite à deux femmes de recourir à la PMA, quand une femme adopte l’enfant de son épouse issu d’une PMA réalisée à l’étranger.

LPA

Quels sont les enjeux du débat concernant la PMA et la GPA ?

P.D.

Officiellement, il n’est pas question d’inclure la GPA dans les États généraux. La seule question est de savoir si la PMA doit être ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules. Aujourd’hui, elle est autorisée à des couples hétérosexuels qui n’arrivent pas à avoir d’enfants pour une raison pathologique. On peut concevoir que deux femmes mariées s’étonnent de ne pas pouvoir avoir recours à la PMA alors qu’elles peuvent adopter, au même titre qu’une femme seule qui, elle aussi, peut adopter, mais ne peut pas bénéficier d’une PMA. Quant à la GPA, elle est interdite en France mais une décision récente de la Cour de cassation a autorisé un homme à adopter l’enfant de son conjoint, issu d’une GPA réalisée à l’étranger. Face à un droit à l’enfant qui est en train de se dessiner, tout l’enjeu des débats qui vont s’ouvrir sera de ne pas perdre de vue le droit des enfants qui naîtront dans les années à venir à avoir une vie heureuse et équilibrée.

LPA

Durant la conférence, vous avez également parlé du droit à l’enfant à accéder à ses origines ?

P.D.

J’espère que le débat ne va pas évincer cette question qui me paraît essentielle. En 1966, avec la loi sur l’adoption, le choix a été fait que l’enfant n’ait pas accès à ses origines. Mais une fois devenus adultes, certains de ces enfants le vivent très mal. Dans les années 1990, il a également été fait le choix du secret pour la PMA avec tiers donneur. Et l’on rencontre à présent de jeunes adultes qui vivent comme un drame personnel de n’avoir aucune information sur ce tiers à qui ils doivent la vie.

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