La signification dématérialisée augmente son périmètre

Publié le 23/05/2017

Utilisée par les huissiers de justice depuis maintenant un peu plus de 5 ans, la signification dématérialisée continue d’élargir son périmètre et de faire évoluer les pratiques tout en constituant un outil juridique adapté à son époque.

En novembre 2012, c’est une petite révolution que connaissait le monde des huissiers de justice : pour la première fois en France, un acte d’huissier avait été signifié par voie électronique. Grâce aux lois n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 et au décret n° 2012-366 du 15 mars 2012, il est en effet devenu possible de signifier des actes par voie dématérialisée. Si ce nouveau mode de signification offre les mêmes garanties que celle de la remise physique, il nécessite, pour les huissiers, certains prérequis techniques et juridiques. Avec notamment l’obligation de manifester l’acceptation de ce mode de signification pour le destinataire. Concrètement, une fois qu’il a donné son consentement et ses coordonnées électroniques (dans une étude d’huissier par exemple), le destinataire peut choisir les actes qu’il recevra par voie dématérialisée (assignations, saisies de comptes bancaires, etc.). Ces derniers lui sont alors adressés par un huissier qui les déposera virtuellement dans un coffre-fort électronique. Après avoir reçu une alerte par courriel ou SMS, le destinataire pourra accéder à l’acte dans les meilleurs standards de sécurité. Cinq années après la première remise d’acte, la signification dématérialisée s’est largement développée dans les administrations et les entreprises, mais reste très peu utilisée par les particuliers. Pour les Petites Affiches, Maître Pierre-Jean Sibran dresse un bilan de cette pratique encore récente.

LPA – Quelles ont été les conditions de la naissance de la signification par voie électronique ?

Pierre-Jean Sibran – La signification dématérialisée est un projet au long cours qui s’est notamment dessiné entre 2000 et 2012. En réalité, on peut pointer cinq étapes majeures qui ont rendu possible son apparition. C’est d’abord l’écrit sous forme électronique qui a été admis comme preuve (par la réforme du Code civil en 2000), puis l’arrivée des certificats d’authentification et de signature, la parution des textes juridiques qui offrent le cadre légal de cette évolution et, évidemment, les progrès de la technologie qui ont été mis à profit avec l’arrivée, entre autres, des coffres-forts électroniques. Enfin, les huissiers de justice ont fait émerger le RPSH (Réseau privé sécurisé des huissiers de justice) qui renforce la sécurité du certificat : nous travaillons donc dans un circuit protégé. Le premier acte dématérialisé a été délivré en 2012, au profit du SIV (système d’immatriculation des véhicules) par le président de l’ADEC, Jean François Bauvin. L’une des caractéristiques principales de la signification dématérialisée est le consentement. Celui-ci est en effet un préalable obligatoire pour le destinataire de l’acte et son absence empêche la délivrance de l’acte par voie électronique. Pour les saisies attributions, c’est-à-dire les mesures d’exécution sur les comptes bancaires, les banques avec lesquelles nous travaillons ont ainsi passé une convention avec la Chambre nationale en acceptant de recevoir les actes de manière dématérialisée. Il en va de même pour les personnes physiques, il faut que le destinataire se soit préalablement rendu dans une étude d’huissier de justice ou qu’il ait donné son consentement sur internet, pour accepter de recevoir des actes dématérialisés.

LPA – Quels sont ses avantages ?

P.-J. S – La signification par voie électronique rend un service à nos clients puisque lors de la délivrance d’acte, elle offre un accès facilité à l’acte et aux informations qui sont contenues dans celui-ci. Contrairement à ce qu’on peut parfois imaginer, cette évolution du mode de signification ne « simplifie » pas la tâche pour les huissiers de justice, mais elle offre des avantages concrets au destinataire. Elle s’inscrit dans une certaine logique compte tenu de l’évolution de notre profession, il suffit de regarder de quelle manière notre compétence territoriale a été modifiée avec le temps. Initialement liée au canton, en dix ans elle a évolué au niveau du ressort de compétence du TGI, puis elle s’est encore étendue à l’échelon du département et enfin, depuis le 1er janvier, cette compétence s’étend désormais au ressort de la cour d’appel où se trouve l’étude. Pour prendre un cas pratique, on peut imaginer un client qui vient me voir à mon étude de Montrouge (92) et désire faire signifier en urgence à une personne possédant un compte à Chartres. Lorsque le lieu où l’acte doit être délivré se situe à 150 kilomètres du lieu d’étude, la saisie-attribution papier aura fort peu de chances de satisfaire le client dans des délais pressants. Si cette signification de saisie-attribution se fait de manière dématérialisée, cela permet de se rendre dans une étude qui pourra immédiatement procéder à la rédaction et à la signification de l’acte. C’est donc un service au client avant tout, les huissiers de justice doivent se l’accaparer pour rendre service au citoyen, qu’il soit une personne physique ou morale.

LPA – Justement, comment comptez-vous inciter à un usage de la signification dématérialisée par les particuliers ?

P.-J. S – La dématérialisation est un outil entre les mains des huissiers, mais on ne peut contraindre une personne à donner son consentement. Il faut cependant comprendre qu’il est tout à fait dans l’intérêt des personnes physiques d’effectuer cette démarche. Après tout, ce qui est important c’est que les destinataires de ces actes les aient entre les mains et il n’y a qu’eux qui ont à y perdre à ne pas être informés. Prenez le cas d’un débiteur qui doit plusieurs mois de loyer à son propriétaire, celui-ci vient me voir pour que je lui signifie cet acte. Mais le débiteur n’a pas donné de consentement à l’acte dématérialisé et c’est donc une procédure classique qui se met en place avec un clerc significateur qui délivre l’acte lui demandant de régler ses créances. Si le débiteur travaille dans la journée et n’est pas présent, le clerc déposera un avis de passage demandant au locataire de venir chercher en urgence son acte à mon cabinet. Avec une procédure réalisée de manière dématérialisée, le débiteur en question aurait pu s’informer beaucoup plus aisément et rapidement, ne pas perdre plusieurs jours (voire plusieurs semaines si celui-ci laisse traîner l’affaire) et agir en conséquence pour pouvoir se défendre au mieux. Avec le consentement et à l’aide d’un simple courriel, il aurait pu savoir dans la journée même ce qu’il se passe, me demander conseil ou un délai, ou même chercher un avocat qui pourra l’aider.

LPA – Quel bilan dressez-vous de cette nouvelle pratique après 5 ans ?

P.-J. S – On remarque que c’est avec les banques qu’il y a eu les évolutions les plus rapides. Elles étaient, en effet, parmi les premières à souhaiter bénéficier de cette possibilité afin que leurs relations avec les huissiers s’effectuent de manière plus efficiente. Auparavant, l’huissier devait de facto être reçu par les banques, cela nécessitait de mobiliser des ressources humaines pour un travail plutôt fastidieux. Tout ça peut désormais être fait de manière dématérialisée, ce qui bénéficie à tous. Parmi celles qui ont accepté, on compte les Caisses d’épargne, les Caisses du Crédit Agricole, les Banques Populaires, la Banque Postale, le Crédit Mutuel sud-ouest et les Caisses primaires d’assurance maladie. Le Crédit Lyonnais fait en ce moment les efforts technologiques pour y parvenir lui aussi. Au final, en 2016, nous avons délivré pas moins de 65 639 actes au SIV, et 17 857 actes de saisie-attribution pour les banques. Les perspectives pour 2017, rien qu’en saisie attribution, sont supérieures à 100 000. Cela signifie qu’après un premier temps d’adaptation et de mise en place des technologies, nous sommes désormais entrés dans une phase active. Et je note que lorsqu’elles ont passé la période de pilotage, les banques refusent la signification papier systématique, à l’exception de quelques rares cas particuliers.

LPA – La signification classique est-elle vouée à disparaître ?

P.-J. S – Pour les banques cela paraît assez clair, je pense qu’en 2018 la signification papier aura quasiment disparu de même pour le SIV. En ce qui concerne les particuliers, nous n’en sommes qu’aux débuts, mais il faut persévérer dans ce sens.

LPA – Quelles sont les perspectives d’évolutions pour la signification électronique ?

P.-J. S – Nous avons beaucoup avancé sur le plan de l’encadrement juridique de ces pratiques et sur celui des technologies utilisées. Les banques et le SIV ont déjà compris de quelle manière cela peut leur bénéficier. Je ne vois pas comment l’on pourrait faire marche arrière sur la dématérialisation. Cela fait autant de sens que d’abandonner les téléphones portables pour revenir aux cabines téléphoniques. La prochaine étape est d’expliquer aux personnes physiques comment elles peuvent y trouver leur intérêt. Je crois que les gens ont souvent eu une méfiance à l’égard des huissiers de justice avec cette idée que « moins je le vois, mieux je me porte ». C’est dommage, car cette idée préconçue ne cause pas de soucis à l’huissier, alors que de nombreuses personnes n’ont pas su comment se défendre, car elles n’étaient pas venues nous voir à temps pour s’informer des procédures à leur encontre. Il faut comprendre que l’huissier ne prend parti ni pour le créancier ni pour le débiteur. Il est, comme le juge, un professionnel indépendant qui se place entre les deux parties. La dématérialisation s’inscrit dans une évolution de la société et des usages. C’est une question de temps et de technologie et je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle sera largement utilisée dans le futur.

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