Le greffe du tribunal de commerce de Bobigny : au service de la justice du XXIe siècle
Les greffiers des tribunaux de commerce restent encore une profession assez peu connue en dehors du monde juridique. Ils sont pourtant un maillon essentiel de la justice commerciale avec une véritable mission de service public. Dernière arrivée au greffe de Bobigny, Véronique Doucède.
En prêtant serment le 4 mai dernier, Véronique Doucède devenait le quatrième membre de la fratrie à rejoindre le greffe du tribunal de commerce de Bobigny. Une nouvelle page qui s’écrit pour le greffe donc, mais également une qui se tourne puisque sa prestation de serment était l’occasion du discours de départ de son père, Marc Doucède, après trente années de carrière. Pour les Petites Affiches, Véronique Doucède a accepté de revenir sur la réalité du travail de greffier de tribunal de commerce et sur la mission de service public que cette fonction remplit.
Les Petites Affiches – Votre prestation de serment était aussi l’occasion du discours de départ de votre père, Marc Doucède, avez-vous le sentiment de lui succéder d’une certaine manière ?
Véronique Doucède – C’est pour moi un grand honneur et une fierté de succéder à mon père qui a créé ce greffe et qui s’y est investi avec rigueur pendant 30 ans. Il est vrai que je suis la quatrième de la famille à rejoindre le greffe, j’ai aussi été greffière durant dix années à Troyes. Mon père ne nous a jamais demandé d’exercer ce métier, nous y sommes venus naturellement, sans doute en voyant la passion avec laquelle il l’exerçait. Je souhaite poursuivre son œuvre d’amélioration du service public en apportant mes compétences et connaissances acquises au sein de la juridiction auboise. J’espère pouvoir apporter mon professionnalisme, mon dynamisme et mon écoute au service des juges et des justiciables. Je suis désormais en charge du service des procédures collectives, en remplacement de Maître Fraval de Coatparquet qui a su gérer le service avec une très grande rigueur pendant 17 ans, et qui a repris l’office du greffe du tribunal de commerce de Troyes le 3 mai dernier. Tous mes associés le remercient pour son excellent travail aux côtés de mon père.
LPA – Quelle formation avez-vous suivie ?
V. D. – J’ai suivi une maîtrise de gestion à Paris IX Dauphine, une maîtrise de droit des affaires et fiscalité à Saint-Quentin-en-Yvelines ainsi qu’un DESS d’audit expertise en techniques numériques à l’université Panthéon-Assas. Une fois ma formation académique complétée, j’ai effectué mon stage au greffe du tribunal de commerce de Bobigny pendant deux ans avant de passer mon examen de greffier et de commencer ma carrière au tribunal de commerce de Troyes. Il est vrai que le DESS n’est pas forcément une formation très commune chez les greffiers, mais dans un monde dématérialisé avec une informatisation croissante du service public, c’est en réalité un vrai atout. Aujourd’hui, nous sommes obligés de réinventer notre métier et de nous adapter de manière permanente aux évolutions numériques afin de simplifier l’accès au service public à tous (signature électronique, dématérialisation, acte électronique, transmission de données dématérialisées).
LPA – Le greffe de Bobigny a-t-il des spécificités ?
V. D. – Le tribunal de Bobigny est spécialisé, nous avons donc de très gros dossiers à gérer, il y a ceux de TATI ou MIM en ce moment, par exemple. Le tribunal de Bobigny a un volume très important de dossiers, on compte plus de 100 000 décisions de justice par an. Nous assumons une importante mission de service public à destination des entreprises, nous avons des interlocuteurs très divers, allant du micro entrepreneur ne parlant pas français à la multinationale hyper organisée, aussi nous nous devons de proposer le spectre le plus large du service public, un accès de proximité pour les plus démunis et une interface digitale la plus fluide et la plus moderne pour les plus en phase avec la digitalisation de l’économie. Nous nous sommes lancés avec les différents partenaires (administrateurs, mandataires de justice, avocats, TPG, parquet de Bobigny, huissiers de justice, entreprises) dans l’automatisation des dépôts de décisions de justice dans les coffres fort électroniques pour rendre immédiates leur notification et accélérer encore le processus judiciaire. Par ailleurs, notre greffe a été désigné greffe pilote par la Chancellerie pour le dépôt des copies de décisions de justice sur le coffre électronique du parquet de Bobigny, avec la précieuse collaboration du procureur adjoint de l’époque, Philibert Demory.
LPA – Le métier de greffier de tribunal de commerce reste mal connu. Quelle est la réalité de votre quotidien ?
V. D. – Le greffe est le carrefour où vont se croiser justiciables, auxiliaires de justice, cabinets des formalités, administrations, institutions consulaires, parquet de la République, police judiciaire, juges consulaires et magistrats professionnels. Concrètement, le métier de greffier comprend une partie judiciaire et une partie extrajudiciaire. Dans le domaine judiciaire, on retrouve les procédures collectives, le contentieux général, les référés et les injonctions de payer. La partie extrajudiciaire concerne quant à elle le service du registre du commerce et des sociétés (immatriculations, modifications, radiations) et le service des sûretés mobilières (nantissements, privilèges généraux mobiliers et publicités diverses…). Notre métier exige une connaissance très approfondie de la procédure civile et des règles du commerce mais aussi du droit civil et de l’organisation judiciaire.
LPA – Comment concevez-vous votre mission de service public ?
V. D. – Un greffier de tribunal de commerce doit être un bon juriste de proximité, à la foi rigoureux et chef d’entreprise avisé, un bon manager, sachant gérer ses collaborateurs et les faire évoluer au mieux pour pouvoir délivrer un service toujours plus efficace et qualitatif à destination des entrepreneurs, des justiciables, de l’environnement judiciaire, et à l’attention des administrations y gravitant. Le greffier doit également être un homme moderne et curieux, il doit savoir prendre des décisions d’investissement, se remettre en cause, et remettre en cause son organisation. Enfin, il doit s’adapter aux nouvelles technologies pour optimiser sa mission de service public et exercer ses fonctions avec exactitude et probité. C’est son statut de profession libérale qui permet à notre office d’assumer pleinement ses missions de service public, le service public n’est pas un concept, mais une réalité assumée ! Nous sommes des entrepreneurs de service public, c’est un statut qui garantit l’efficacité et la sagacité de nos missions, essentielles pour le monde économique qui n’attend que réactivité de notre part. La vie des affaires nécessite d’être constamment sur le pont. Le greffier doit avoir un sens aigu du relationnel, il doit entretenir d’excellentes relations avec tous les intervenants privés ou publics : les justiciables, auxiliaires de justice (avocats, notaires, huissiers, commissaires-priseurs, experts-comptables, experts judiciaires, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires), cabinets de formalités, administrations (préfecture, Banque de France, Urssaf, impôt, INSEE), institutions consulaires (chambres de commerce et des métiers), parquet de la République, police judiciaire, juges consulaires et magistrats professionnels.
LPA – Quel est votre rapport avec les entrepreneurs en difficulté ?
V. D. – Nous sommes présents pour leur apporter un conseil. Nous sommes bien souvent le premier interlocuteur de ces entrepreneurs, en tant qu’officier de service public nous essayons donc de nous rendre le plus disponibles pour eux. De nombreux greffes ont déjà mis en place le dispositif APESA, lequel consiste à apporter un soutien psychologique au chef d’entreprise en difficulté. Afin de favoriser le droit au rebond, nous espérons très prochainement apporter les soins offerts par ce dispositif aux chefs d’entreprises du 93.