Les avocats turcs libérés avec le soutien du barreau de Paris

Publié le 20/10/2016

Accusés de soutien au terrorisme et d’atteinte à la sécurité de l’État, les deux avocats turcs Ayse Acinikli et Ramazan Demir ont finalement été libérés le 6 septembre dernier. Au cours de leurs cinq mois de détention, ils avaient reçu un fort soutien de la part du barreau de Paris qui était présent pour leur libération.

Arrêtés le 16 mars 2016 par le pouvoir turc, les avocats défendeurs des droits de l’Homme Ayse Acinikli et Ramazan Demir étaient détenus en prison depuis le mois d’avril. Maintenus en détention avec des chefs d’inculpation tels que « soutien au terrorisme » ou « atteinte à la sécurité de l’État », Ayse Acinikli et Ramazan Demir étaient en réalité coupables d’avoir effectué leur travail d’avocat. On leur reprochait notamment d’être allés visiter leurs clients en prison ou d’avoir déposé des plaintes auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Révolté par ce qu’il considère comme une violation des droits de l’Homme et de la défense, Jacques Bouyssou a rapidement monté un groupe de défense avec trois autres avocats parisiens (Martin Pradel, Jennifer Halter et Rusen Aytac) pour alerter l’opinion publique. Avec le soutien du barreau de Paris, le groupe a organisé de nombreuses actions telles que l’envoi de cartes postales à leurs confrères emprisonnés, la mobilisation sur les réseaux sociaux, ainsi que l’organisation d’un concours de plaidoirie internationale qui a eu lieu à la Maison du barreau de Paris le 21 juillet dernier1. Présent lors du premier et du second procès, la délégation française a pu célébrer avec leurs confrères la libération des deux avocats. Le barreau reste cependant mobilisé, car le jugement du fond de l’affaire a été renvoyé au 22 novembre.

LPA – Avec qui vous êtes-vous rendus au procès d’Ayse Acinikli et Ramazan Demir le 7 septembre dernier ?

Jacques Bouyssou – Le groupe de défense initial était présent, accompagné de plusieurs autres confrères qui représentaient les barreaux de Paris, de Bordeaux et de La Roche-sur-Yon. Le contexte consécutif au coup d’État raté du 15 juillet et aux purges qui ont suivi a évidemment pesé lourdement sur l’ambiance générale. On peut imaginer que c’est ce qui a poussé les autres délégations étrangères présentes en juin (Italiens et Hollandais) à ne pas venir cette fois-ci. Même auprès des soutiens turcs il y avait moins de monde : beaucoup de personnes ont eu peur de venir en considérant que c’était trop dangereux. Notre délégation, composée de 8 avocats et de 4 membres du Consulat général de France à Istanbul, représentait donc de fait la seule présence étrangère à l’audience.

LPA – Est-ce que l’on peut parler d’une audience sous tension comme a pu l’être celle du 22 juin ?

J. B. – Le climat était très différent comparé au procès précèdent. Les soutiens d’Ayse Acinikli et Ramazan Demir s’interrogeaient beaucoup sur la manière dont allait se dérouler ce nouveau procès et son résultat. On s’attendait en effet à beaucoup de tensions, elles furent pourtant moins perceptibles que la dernière fois. Nous étions tous d’accord pour dire que le président a instruit les débats de manière assez aimable et il n’y a pas eu d’incidents au cours du procès. Au contraire du 22 juin, où nous avions un président qui aboyait littéralement sur les prévenus. En réalité, je pense que nous avons eu la chance de tomber sur un des rares magistrats encore indépendants de ce pays. Le délibéré a été assez long et s’est conclu avec une sorte de mise en scène. La porte de la salle d’audience est restée entrouverte, une greffière en est sortie et a demandé à deux jeunes avocats de l’accompagner. C’était en fait pour leur notifier le délibéré. Les deux avocats sont ressortis avec un grand sourire et la salle a explosé de joie avant même qu’ils n’aient le temps d’annoncer la nouvelle. Les « youyous » ont résonné dans tout le palais et un cortège a été organisé pour aller les chercher à leurs prisons respectives et les libérer. Cela a été une grande fête.

LPA – Que signifie ce jugement pour eux ?

J. B. – Je n’arrête pas de me poser la question. Ça relève du miracle dans le contexte de la répression qui a lieu en Turquie après le coup d’État raté et l’écrasement systématique des Kurdes. Ayse Acinikli et Ramazan Demir sont deux avocats qui défendent et sont très proches des Kurdes, c’est donc doublement étonnant de voir l’issue de ce procès, même si seule la demande de mise en liberté a été jugée et que l’audience jugeant le fond de l’affaire a été renvoyée au 22 novembre. On a certainement eu affaire à un magistrat exceptionnellement courageux qui a voulu démontrer son indépendance. Je pense que c’est une exception dans la justice turque aujourd’hui. Avec les purges qui ont eu lieu il ne doit pas y avoir beaucoup d’autres magistrats qui osent faire preuve d’indépendance. Pour vous donner un exemple du climat dans la justice turque, je suis récemment tombé sur une brochure du Conseil du barreau turc destiné aux étrangers. On y explique que le coup d’État était organisé par Fethullah Gülen, qu’il visait à renverser la démocratie, quels étaient les réseaux de Gülen et comment Recep Erdoǧan a sauvé la démocratie en arrêtant ces fameux réseaux dans l’armée, l’université et la justice. Qu’un barreau soit à ce point obligé de faire preuve d’allégeance vis-à-vis du pouvoir montre à quel point le droit est devenu peau de chagrin en Turquie.

LPA – Pensez-vous que les actions du barreau de Paris ont pu aider à la résolution favorable du dernier procès ?

J. B. – Il est toujours très difficile de mesurer l’impact de ce type d’actions, les confrères turcs nous ont néanmoins affirmé qu’elles avaient véritablement servi. L’ampleur de la mobilisation, à travers les milliers de cartes postales qui ont été envoyés à Ayse Acinikli et Ramazan Demir, a permis de faire comprendre aux autorités turques qu’il y avait une véritable mobilisation internationale, quelque chose qui dépassé le barreau de Paris. Nos amis turcs nous ont aussi signalé que l’Amicus Curiæ que nous avons rédigé s’est révélé très utile, car c’était une démonstration juridique solide. Le fait que cela ne venait pas d’avocats turcs, potentiellement suspects d’opinions partisanes, mais d’avocats étrangers neutres qui ne sont pas dans les problématiques internes a donné une crédibilité au document.

LPA – Pouvez-vous nous parler un peu plus de cet Amicus Curiæ ?

J. B. – En tant qu’avocats français nous ne pouvions évidemment pas nous exprimer en droit turc, nous nous sommes donc servis de la Convention EDH et des grands principes de La Havane pour rédiger cette démonstration. Nous avons démontré qu’Ayse Acinikli et Ramazan Demir avaient été poursuivis pour avoir défendu leurs clients, qu’ils n’avaient pas le droit à la défense, etc. L’idée était de caractériser les manquements au droit point par point. Il a fallu environ un mois de travail pour ce document avec notre groupe de défense. Il a d’ailleurs été transmis à la Cour constitutionnelle turque le 27 septembre qui devrait bientôt l’étudier. L’Amicus Curiæ est une analyse juridique d’un tiers qui vient éclairer la cour sur des questions de droit, cela peut être très pratique dans ce type de dossier international.

LPA – Comment se portent Ayse Acinikli et Ramazan Demir ?

J. B. – Ils sont libres et ils sont très courageux puisqu’ils ont immédiatement repris leur dossier, des dossiers de droits de l’Homme contre la Turquie pour Ramazan Demir et les conditions de détention des femmes en prison pour Ayse Acinikli. Les deux ont affirmé vouloir reprendre leur vie sans rien changer à leur engagement. Ayse Acinikli m’a expliqué que sa détention n’a fait que renforcer son engagement pour la cause des femmes en prison.

LPA – Allez-vous continuer à vous mobiliser par des actions ?

J. B. – Le fond de l’affaire sera jugé le 22 novembre prochain. Nous allons rester mobilisés, car il n’est pas question de les abandonner, nous retournerons avec la même détermination au prochain procès.

LPA – Quels sont les prochains dossiers internationaux que compte soutenir le barreau de Paris ?

J. B. – Ils sont très nombreux. Je peux citer par exemple la situation des avocats chinois emprisonnés en juillet 2015. La mobilisation et les actions seront évidemment très différentes en fonction du pays et de la situation. Ainsi, si l’on répliquait pour les Chinois l’action des cartes postales que nous avions organisée, les cartes n’arriveraient juste jamais à destination. Dans certains cas on sait qu’une mobilisation trop forte peut entraîner une aggravation de la situation des personnes concernées. Il y a quelques années il y avait un condamné à mort hollandais, il y a eu une grande mobilisation de soutien aux Pays-Bas, cela a poussé les Chinois à accélérer l’exécution pour se débarrasser du problème. Pour le cas chinois, on s’est rendu compte qu’il était plus efficace de passer par des instances officielles et d’amener la discussion au G20 par exemple. Nous sommes aussi mobilisés pour des confrères au Burundi qui reçoivent de fortes pressions du pouvoir politique. Égypte, Arabie saoudite… Hélas les cas sont extrêmement nombreux !

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. LPA 2 sept. 2016, n° 120c7, p. 4.
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