« Les Congrès des notaires sont traditionnellement écoutés et regardés par les pouvoirs publics »
C’est une triple thématique qui a été choisie pour ce 113e Congrès des notaires de France : Familles, Solidarités et Numérique sont les axes des trois commissions chargées de mener une réflexion juridique de fond sur ces questions contemporaines. Mais les travaux ne se sont pas limités à un aspect purement technique et Bernard Delorme, rapporteur général et notaire à Cholet, nous explique comment ce Congrès s’intéresse aussi aux nouveaux enjeux provoqués par les mutations de notre société.
Les Petites Affiches – Comment s’est déroulée la préparation de ce Congrès ?
Bernard Delorme – Pour cette édition, l’équipe fut constituée un peu plus tardivement que d’habitude ce qui nous a contraints à un délai plus restreint, mais il est vrai que le temps paraît toujours trop court lors de la préparation de ce type d’événements. Au final, les choses se sont très bien passées et nous sommes satisfaits du résultat. Ces 18 mois de travail sur les commissions et le rapport final représentent une somme de travail et d’investissement considérable pour les confrères qui rédigent ainsi que pour le directoire. Je tiens d’ailleurs à souligner que le rapporteur de synthèse s’est rendu particulièrement disponible auprès des rédacteurs lorsque ces derniers avaient besoin d’aide. À mon sens, un congrès est une aventure humaine formidable et c’est un plaisir d’être le rapporteur général de celui-ci.
LPA – Quel en sera le fil rouge ?
B. D. – Dès le départ, le souhait du président était de faire prendre conscience au grand public que les notaires sont au cœur de la vie quotidienne. À travers nos études, nous voyons plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année, cela nous permet d’avoir une sensibilité particulière aux évolutions de la société. En prenant en compte les questionnements de nos clients, trois grandes thématiques se sont dégagées pour ce Congrès : la famille, les solidarités et le numérique. Ces trois sujets, abordés dans des commissions distinctes, ont en commun de poser à la fois des problèmes juridiques et sociétaux, ce qui est le premier fil conducteur de ce Congrès. Au fur et à mesure de l’avancement de nos travaux, un autre axe commun est apparu : celui du service que le notaire et le contrat peuvent rendre à la collectivité. Sur toutes les thématiques, on observe un désengagement important de la part de l’État. C’est une occasion pour le notaire de venir épauler les pouvoirs publics en apportant de nouveaux services. Mais à travers ce Congrès nous avions aussi comme objectif d’ouvrir le notariat sur la société, en produisant une matière qui a parfois su mettre de côté la technique pour s’intéresser aux enjeux sociétaux concrets.
LPA – Les commissions Solidarités et Familles constituent des thèmes traditionnels du notariat, quelles sont vos propositions dans ces domaines ?
B. D. – Même si les thèmes Familles et Solidarités peuvent sembler des sujets traditionnels, nous avons eu une volonté forte de les aborder sous un angle contemporain. Pour les solidarités nous évoquons ainsi la « silver economy » et avons essayé de montrer en quoi les nouveaux outils numériques peuvent être utiles aux personnes vulnérables. Concernant la famille, nous avons axé notre problématique sur les familles recomposées, sur le patrimoine de l’enfant vis-à-vis de l’ex-conjoint ou encore sur les problèmes de filiation, de PMA, de GPA… Dans le détail, la première commission sur la famille a accordé une part importante aux effets de la déjudiciarisation. Nous avons fait le constat que le notaire est aujourd’hui face à des familles bien différentes du modèle « classique ». Le mariage pour tous, par exemple, est un bouleversement majeur de notre système juridique, il est temps d’en tirer quelques conséquences sur l’ordonnancement de nos différents modes de conjugalité. On retrouve toujours cette double réflexion autour du désengagement de l’État et des évolutions sociétales appliqués au droit. Avec cette question sous-jacente : la règle de droit doit-elle toujours suivre l’évolution de la société ? Sur la commission consacrée aux solidarités, nos équipes expliquent pourquoi les solidarités familiales vont devoir prendre une part croissante dans le futur : l’État ne peut plus tout faire et les juges des tutelles sont débordés. Le mandat de protection future témoigne de cette volonté du législateur de déjudiciariser la protection des personnes vulnérables. Notre rôle est d’étudier si cela fonctionne en pratique et de voir comment l’on peut améliorer ces dispositifs. L’aspect financier de la solidarité est aussi à prendre en compte, les aides publiques souffrent des contraintes budgétaires de l’État. Peut-être faudra-t-il se diriger vers des mécanismes de compléments de revenus et d’adaptation de logement afin de diminuer le coût global pour la société.
LPA – Pourquoi avoir créé une commission numérique ?
B. D. – Le choix d’une commission numérique n’est pas anodin, il y avait une volonté de se saisir pour la première fois de ce sujet et de le soumettre au regard du notariat. En abordant cette thématique, nous nous sommes rapidement rendu compte que de nombreux problèmes pouvaient être abordés sous l’angle juridique. Nous avons tous des comptes sur des services numériques et nous envoyons des données massivement sur des serveurs à l’étranger en ne connaissant parfois même pas la destination de ces données. Ces informations peuvent parfois être intimes ou personnelles, cela pose alors la question de la dévolution de ces données en cas de décès. Sur un autre sujet, la dématérialisation peut permettre aux notaires d’être en capacité d’offrir des services plus importants à l’État. C’est un mouvement que l’on observe depuis plusieurs années dans la profession et qui a déjà des applications concrètes : la communication avec le service de publicité foncière, Télé@ctes, ou Pacsen sont autant d’exemples de la dématérialisation appliquée au notariat. Nous sommes heureux de constater que ce sujet du numérique pose de vraies questions juridiques. Il n’était absolument pas question de se servir de cette commission comme d’un prétexte pour paraître plus moderne et mettre en avant les applications du notariat, nous avons réellement voulu aller plus loin et développer une vision globale.
LPA – De quelle façon le Congrès espère-t-il peser sur les décideurs publics ?
B. D. – Les Congrès des notaires sont traditionnellement écoutés et regardés par les pouvoirs publics. Cette année, nous avons d’ailleurs inséré un cahier en introduction de notre rapport qui contient l’ensemble des propositions de Congrès récents qui ont abouti à des évolutions législatives. Le mandat de protection future était ainsi un souhait du notariat : c’est le vœu d’un Congrès de 1984. Autre exemple, en 2013, nous avions proposé l’adoption de la reconnaissance du fonds de commerce sur le domaine public. Cette mesure a été actée par la loi Pinel, dans les mêmes conditions que nous le suggérions et seulement quelques mois après la publication du rapport. Il est indéniable que les Congrès des notaires contribuent à enrichir la loi grâce aux constats des blocages existant en pratique. Notre expérience sur le terrain permet de se saisir de certains problèmes juridiques et d’apporter des propositions pour simplifier ou rendre le dispositif plus efficace, voire parfois pour créer un nouveau dispositif. Les sujets que l’on aborde sont importants, la réforme du divorce sans juge par exemple comporte des difficultés et une marge d’amélioration. Nous ne sommes donc pas inquiets sur le fait que nos travaux auront un écho. En définitive, nous pouvons apporter ce regard de praticien pour faire que le législateur prenne conscience des imperfections et rendre des dispositifs bien pensés plus efficaces. C’est une fierté d’apporter notre pierre à l’édifice législatif.
LPA – Que peut-on vous souhaiter pour ce Congrès ?
B. D. – J’espère que ce Congrès sera une réussite et que nos travaux seront à même de susciter des échanges et des débats dans un climat apaisé. C’est là notre objectif, plus que l’adoption de tous nos vœux à une large majorité. Enfin, je souhaite que nos confrères prennent conscience que nous sommes des acteurs des mutations de notre société, nous les accompagnons au quotidien avec nos clients. Il ne faut donc pas avoir peur de se saisir de ces sujets.