Les défis du prochain bâtonnat parisien

Publié le 25/09/2017

Le nouveau binôme à la tête du barreau de Paris prendra officiellement ses fonctions en 2018. Marie-Aimée Peyron et Basile Ader, futurs bâtonnier et vice-bâtonnier, ont pu profiter de l’année de préparation qui suit l’élection pour se préparer aux défis qui les attendent.

Les élections ordinales ont cette particularité d’élire les bâtonniers successeurs un an avant leur entrée en fonction effective. Ainsi, si l’élection de Marie-Aimée Peyron a eu lieu en décembre 2016, son entrée en fonction effective n’aura lieu que le 1er janvier 2018. Une élection qui a eu l’abstention pour fait marquant avec seulement 36,12 % de participation, soit à peine 10 569 votants (sur les 29 264 avocats parisiens) qui se sont mobilisés. On se souviendra également qu’à la faible participation s’est ajouté un vote protestataire (615 votes blancs, soit 5,82 % des votants), qui ne peut qu’interpeller les instances dirigeantes de l’ordre. Inscrite au barreau parisien depuis 1989, Marie-Aimée Peyron, 56 ans, a notamment occupé la présidence de l’UJA (Union des jeunes avocats) et a tenu différents postes au sein du conseil de l’ordre et du Conseil national des barreaux (CNB). Elle garde d’ailleurs le titre de secrétaire du CNB jusqu’à son entrée en fonction au poste de bâtonnier où elle succédera à Frédéric Sicard. Basile Ader, avocat pénaliste, est inscrit au barreau de Paris depuis janvier 1988. Il fut secrétaire de la Conférence en 1993 et membre du conseil de l’ordre de 2010 à 2012. Pour Les Petites Affiches, ils ont accepté de nous exposer les grands dossiers qui les mobiliseront au cours de leurs deux années de mandat.

Juan Lozano pour l’Ordre des avocats de Paris

Les Petites Affiches – Comment s’est déroulée cette année de préparation ?

Marie-Aimée Peyron – En réalité, nous nous sommes mis au travail très rapidement puisque nous étions à la commission des finances dès le lendemain de l’élection. Cette année de préparation permet de prendre connaissance de l’ensemble des services de l’ordre d’une part, mais aussi de préparer les esprits aux changements que nous souhaitons apporter. Nous avons donc porté une réflexion sur la façon dont notre programme s’intégrera à l’action de l’ordre. Cette année était aussi l’occasion de prendre la mesure de la tâche qui nous attend, et elle est colossale.

Basile Ader – C’est une forme de transition qui permet la continuité du fonctionnement ordinal. Elle se fait en très bonne intelligence avec nos prédécesseurs qui nous font prendre connaissance des dossiers. Enfin, cela permet aussi de nous réorganiser au sein de nos propres cabinets et, là aussi, d’assurer une transition.

LPA – La participation aux élections ordinales de décembre 2016 a été extrêmement faible, est-ce un sujet d’inquiétude ?

M.-A. P. – L’abstention, tout comme le vote contestataire a été important au cours de ces élections. C’est un sujet important et on ne peut l’ignorer. Je pense qu’il est nécessaire, pour y remédier, d’améliorer la mise en valeur des travaux et services rendues par l’ordre. Il est nécessaire de réconcilier les avocats avec leur ordre, car il y a une méconnaissance de ce que nous apportons.

B. A. – On s’aperçoit en effet qu’un véritable gouffre s’est créé entre l’image qui est propagée par les confrères sur l’utilité de l’ordre et la réalité des services que celui-ci apporte. Un effort de promotion doit être engagé et nous moderniserons la communication en accentuant notre présence sur les réseaux sociaux.

LPA – Quels seront les grands dossiers de votre bâtonnat ?

M.-A. P. – Nous plaçons notre programme sur l’égalité et l’absence de discriminations en tête de nos préoccupations. Notre profession est désormais à 54 % féminine et nous restons néanmoins bien peu à être en charge de départements et, a fortiori, associées ou à la tête de cabinets d’affaires. Les femmes restent majoritairement collaboratrices de cabinet et l’on s’aperçoit dans les études que les rémunérations sont divisées de moitié en moyenne. Ce chiffre n’est tout simplement pas acceptable. Il est urgent d’agir pour faire évoluer les esprits sur ces sujets, parvenir à rétablir plus d’égalité dans les rémunérations et aider à l’utilisation du numérique pour valoriser le télétravail. Le numérique, justement, constitue le deuxième pan de notre programme. Nous souhaitons que les cabinets d’avocats se dotent encore davantage en matériel et en outils du numérique pour faire face à l’évolution des métiers. Le sujet du développement international des cabinets parisiens nous tient aussi à cœur, c’est une étape qu’il faut enclencher. Avec Basile Ader, nous avons décidé de nous répartir les tâches conformément à nos compétences. Je porterais donc tout particulièrement les dossiers qui concernent l’international et l’économie, le vice-bâtonnier aura, lui, la charge des affaires dans le domaine du pénal, des libertés et des droits de l’Homme.

B. A. – Je tiens d’ailleurs à souligner que la protection des droits de la défense et du secret professionnel est un combat fondamental sur lequel nous souhaitons envoyer des signaux forts. L’évolution des textes et des jurisprudences, l’état d’urgence et les nouvelles techniques d’enquête sont autant de sujets qui deviennent parfois des moyens d’attaquer les droits de la défense et le secret professionnel. Le barreau de Paris était déjà vigilant sur la question, il le restera sous notre mandat et n’hésitera pas à prendre des initiatives. L’un de nos moyens d’action sera, par exemple, de déposer plainte pour violation du secret professionnel à chaque fois que la situation le nécessitera. Nous voulons montrer que le barreau se défend et qu’il défend ses avocats.

Un dernier point de notre programme concerne une volonté d’apaisement au sein du palais : un retour de la confraternité, mais aussi un apaisement avec les magistrats. Il est néfaste pour la justice que les deux professions se retrouvent trop souvent dans des positions antagonistes. Le déménagement du tribunal sera l’occasion de créer de nouvelles habitudes. Nous avons l’oreille du président Hayat à ce sujet, qui est lui aussi convaincu de l’utilité d’échanges plus fréquents entre magistrats et avocats, ainsi que d’une formation permanente et de stages plus longs.

LPA – Le secret professionnel est-il réellement en danger aujourd’hui ?

B. A. – Il est malmené, car de plus en plus souvent, on va chercher dans les cabinets d’avocats les preuves contre les citoyens… Car c’est naturellement au sein d’un cabinet qu’un client vient se confier et livrer ses interrogations, ses soucis et ses documents. Le cabinet d’avocat doit donc rester un sanctuaire, d’autant qu’à l’inverse nous ne pouvons nous départir du secret professionnel en aucune situation, sauf pour l’exercice très strict des droits de la défense. Il n’y a donc aucune raison pour que l’on puisse venir se servir en toute impunité. À ce titre, les moyens d’écoutes actuels deviennent un vrai danger pour le secret professionnel lorsqu’ils sont placés dans un quartier de cabinets d’avocats. Je pense notamment aux IMSI-catcher, ces appareils de surveillance qui permettent d’intercepter le trafic des communications mobiles dans un rayon de plusieurs centaines de mètres. Il faut bien comprendre que nous revendiquons ce droit, non pas dans une démarche corporatiste, mais bel et bien dans l’intérêt du justiciable et du respect de la démocratie.

LPA – Le déménagement du tribunal aux Batignolles aura lieu au cours de votre mandat, quels sont les enjeux qui l’entourent ?

M.-A. P. – Oui et cela sera un chantier considérable ! Nous allons veiller à ce que la place des avocats soit respectée au sein de ce nouveau palais, notamment avec la mise en place de la future maison des avocats. En parallèle, il faudra aussi œuvrer au maintien de nos services ici, au palais de justice. Sur un plan purement logistique, les 300 m² dédiés au vestiaire du nouveau tribunal des Batignolles ne sont évidemment pas suffisants pour installer les toques des 28 000 avocats de l’ordre. De la même façon, l’acheminement du courrier ne pourra pas être entièrement transféré, c’est impossible et nos services seront contraints de rester sur l’île de la Cité. Nous souhaitons également conserver la bibliothèque de l’ordre, dont nous célébrions récemment le tricentenaire d’existence.

LPA – Vous êtes la troisième femme en plus de 500 ans d’histoire à être élue à la tête du barreau de Paris, c’est le signe d’un changement de mentalité ?

M.-A. P. – Il n’est désormais plus possible de négliger la place des femmes dans les hautes instances. J’étais déjà la quatrième femme présidente de l’Union des jeunes avocats en 1995, on trouve depuis tout à fait normal qu’une femme succède à une femme. J’espère bien qu’il en sera de même pour le bâtonnat, car il n’y a pas de raison que les femmes ne briguent pas le poste de bâtonnier tout autant que les hommes.

LPA – Est-ce aussi le rôle du barreau de préparer les avocats aux évolutions que va causer la legaltech dans les années à venir ?

M.-A. P. – Tout à fait, et c’est non seulement les avocats, mais même les élèves avocats que nous souhaitons préparer à ces évolutions. Avec les décrets et réglementations qui complexifient toujours plus la procédure, l’idée de laisser des justiciables saisir les juridictions en ligne par le biais de legaltech est une folie. C’est le meilleur moyen de saisir des juridictions incompétentes avec, à la clé, des actions prescrites ou irrecevables. À nous, avocats, d’agir en étant davantage préparés : ces legaltechs doivent être composées d’avocats dès lors qu’il s’agit de rendre des consultations en droit ou de saisir des juridictions. Faire autrement n’est pas dans l’intérêt du justiciable, on a pu le voir avec la condamnation de la société LegalUp qui faisait penser à ses clients qu’ils avaient un avocat alors que nous étions face à un braconnier du droit. Nous souhaitons évidemment que l’accès à la justice soit facilité pour le citoyen, mais il faut que l’avocat reste dans la boucle.

B. A. – Certains veulent vendre de l’avocat pas cher, mais ils oublient de préciser qu’on perd alors toutes les garanties d’un véritable avocat : la déontologie, le secret professionnel, la compétence. Il faut agir contre ces braconniers du droit tout en formant nos confrères dès l’école à prendre cette place. C’est incontournable et nous ne voulons pas être dépossédés du métier comme l’ont été les chauffeurs de taxi. C’est à nous de créer les Uber des services juridiques.

LPA – Vous avez rencontré la garde des Sceaux cet été, celle-ci reste pour l’instant assez vague sur les moyens qui seront accordés à la justice…

M.-A.P. – Nous savons tous que la faible place du budget de la justice place la France au même niveau que la Moldavie. Comment voulez-vous avoir un accès à la justice effectif dans ce contexte ? Nous en avons parlé avec la ministre, l’accès au droit des justiciables, notamment les plus démunis, semble aussi être une de ses priorités. Pour cela, le financement de l’aide juridictionnelle doit être un préalable. Notre profession contribue largement par son l’investissement et le temps qui est consacré à l’aide juridictionnelle, il est normal qu’il y ait une juste rétribution. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

LPA – Vous étiez auparavant secrétaire au CNB, votre arrivée au poste de bâtonnier est-il le signal d’un apaisement dans les relations entre ces deux institutions ?

M.-A. P. – Nous souhaitons que le barreau parisien s’investisse plus au sein du Conseil national des barreaux, c’était un de nos engagements de campagne : « Une voix pour tous les avocats ». Il faut être force de proposition au Conseil national afin qu’une meilleure collaboration se mette en place.

B. A. – En d’autres mots, ne pas laisser les pouvoirs publics profiter de ce qu’il y ait trois organes de représentation de la profession. Cela suppose de respecter le CNB dans son rôle national, mais aussi que celui-ci soit à l’écoute de nos propositions sur les sujets qui nous préoccupent.

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