Notaires et crise sanitaire : « Les outils resteront »
Depuis le premier confinement, les notaires redoublent d’inventivité pour accompagner leurs clients. Thomas Prud’Homoz, notaire associé de l’étude KL conseil, a accepté de nous expliquer de quelle manière la pratique du notariat a changé depuis le début de la crise sanitaire.
Les Petites Affiches : En quoi l’exercice de la fonction de notaire a-t-il changé depuis un an ?
Thomas Prud’Homoz : Vis-à-vis des clients, la crise a eu pour effet de développer les systèmes de signature à distance et de signature numérique. La signature à distance était une pratique embryonnaire avant la pandémie. Elle était en développement mais ne concernait qu’une petite minorité des actes. Depuis le confinement, on l’utilise dans la majorité des cas, pour éviter que les clients ne se déplacent tous chez un seul notaire comme cela se faisait auparavant. Chacun va désormais chez son notaire, où il signe l’acte de manière électronique, sur une tablette. La signature de chacun est certifiée par le notaire qui la reçoit et grâce à nos systèmes de communication entre études, les signatures sont rassemblées dans un seul et même acte.
Il est également possible de recevoir à distance des procurations authentiques sans qu’il soit même nécessaire de se déplacer chez un notaire. Pour cela, le notaire utilise le procédé de la signature numérique et de la visioconférence via un système approuvé par le Conseil supérieur du notariat afin de faire comparaître le mandant à distance. La signature numérique est un procédé de certification de signature à part entière. Il n’y a plus de signature graphique de la personne. Il revient à un organisme tiers certificateur de certifier la signature numérique de la personne qui a signé. De la même manière, la signature numérique de procurations sous seing privé est possible pour des actes non solennels, qui ne nécessitent pas que le pouvoir soit reçu en sa forme authentique. Cela évite au client d’aller chez un notaire ou en mairie pour signer sa procuration. La procuration, une fois signée, est adressée automatiquement au notaire. Tous ces outils étaient en développement et ont été boostés par le contexte invitant à favoriser les échanges en distanciel.
LPA : La vie des études notariales a-t-elle changé ?
T.P.H. : Comme partout, le télétravail s’est développé. Les collaborateurs sont équipés de systèmes informatiques pour traiter les dossiers depuis chez eux. C’est une vraie évolution de la pratique, et celle-ci sera sans doute durable, contrairement au port du masque et à l’usage systématique du gel hydroalcoolique dont on espère bien se débarrasser rapidement.
LPA : Les projets des clients ont-ils été modifiés ?
T.P.H. : Il y a eu plusieurs périodes, avec des comportements différents. En mars 2020, des projets ont été suspendus car personne ne savait comment les ventes allaient se passer. Les possibilités de remise des clés ou de déménagement étaient si floues que beaucoup ont préféré attendre. Par la suite, et jusqu’au deuxième confinement, on ne savait pas ce qui allait se passer sur le marché immobilier. Les clients ne savaient plus comment se positionner, d’où une certaine retenue dans leurs projets. L’activité a repris normalement à compter du dernier trimestre 2020. On a craint un nouveau confinement dur fin janvier dernier, qui aurait pu stopper l’élan. Il n’a pas eu lieu, et cela a sans doute beaucoup aidé. Les agences ont pu continuer à travailler. L’activité économique n’est pas tellement freinée par les mesures sanitaires prises par le gouvernement mais les dossiers sont plus longs à sortir. Avant le début de la crise, on avait un marché hyper dynamique. Les vendeurs étaient pressés de vendre, les acquéreurs savaient qu’il leur fallait aller vite pour avoir des biens. Ils achetaient toujours au prix. Ce n’est plus forcément le cas.
LPA : Leurs envies immobilières sont-elles différentes ?
T.P.H. : Mon étude est située dans le centre de Paris. La très grande majorité de mes dossiers concernent toujours des appartements parisiens. Nous notons cependant que quelques acquéreurs plus jeunes achètent des résidences secondaires. Il n’y en a pas tant que cela mais cela mérite d’être signalé car ce phénomène est directement lié au confinement. Quelques clients s’installent en province en se disant qu’ils feront du télétravail. C’est anecdotique mais cela existe. Le rapport à la banlieue a également évolué. Le mouvement des familles vers la proche banlieue existe depuis longtemps, du fait des prix de l’immobilier parisien. Les gens sont aujourd’hui tentés d’aller plus loin pour avoir une plus grande ouverture sur la nature. La banlieue est plus attractive maintenant que l’on passe du temps chez soi, que la vie parisienne n’existe plus et que les transports sont vides. Il faudra voir ce qu’il restera de cela quand la vie parisienne retrouvera son attractivité et que les trains de banlieue seront de nouveau bondés.
LPA : En dehors de l’immobilier, vos clients ont-ils des attentes différentes ?
T.P.H. : Les projets de structuration familiale sont toujours là. La peur du Covid a eu pour conséquence de pousser certains à réfléchir à la transmission. Des gens qui n’avaient rien prévu ont pris conscience que la vie était fragile. Nous avons par conséquent fait plus de consultations en droit de la famille. Il y a toujours eu un flux de transmissions, mais celles-ci ont baissé lors du premier confinement, quand on avait une impossibilité technique de se déplacer. Le flux a repris d’une manière autonome. Il n’est pas parasité par l’incertitude que l’on peut avoir par rapport aux fluctuations d’un marché économique. Sauf sur certains acquis bien précis, comme les hôtels, qui ont actuellement tendance à perdre de la valeur. Dans ce cas, la question de ce l’on transmet se pose.
LPA : Ces mutations sont-elles appelées à durer ?
T.P.H. : Je pense que les outils dont nous nous servons aujourd’hui resteront. Quand une vente fait intervenir des notaires de villes différentes, ceux qui se déplaceront pour un rendez-vous seront une minorité. Cela facilitera donc les prises de rendez-vous sur ces dossiers. Les signatures à distance devraient donc perdurer, de même que la signature numérique des procurations.
Les procurations authentiques à distance sont très intéressantes pour les personnes qui résident à l’étranger et ont besoin d’un acte authentique, pour une donation ou une prise d’hypothèque par exemple. Ils devaient auparavant soit attendre un déplacement en France pour se rendre chez un notaire français, soit aller chez un notaire consulaire, soit trouver à l’étranger un notaire en capacité d’échanger avec un notaire français. La combinaison de la visioconférence et de la signature numérique leur permet désormais de signer l’acte à distance.
La manière dont nous travaillons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de ce qui a été amorcé par les notaires depuis une quinzaine d’années. La profession a heureusement été précurseure sur le développement de nouveaux procédés de signature.