3e commission

Les recours abusifs contre les autorisations de construire –État des lieux et perspectives

Publié le 11/05/2018

Quoi qu’il en soit du mobile poursuivi par celui qui conteste une autorisation d’urbanisme, la conséquence est que le recours qu’il engage empêche de fait le plus souvent la mise en œuvre de la construction pendant le temps de la procédure contentieuse qui peut durer des années. Lorsque ces recours portent sur des projets de construction de logements dont la relance est soutenue par les pouvoirs publics, ceux-ci sont vite perçus comme abusifs en ce qu’ils contrarient grandement les intentions des promoteurs immobiliers et l’accomplissement des objectifs sociaux et économiques poursuivis. Mais il faut reconnaître que cette notion de « recours abusif » n’est pas clairement définie et que le meilleur moyen de lutter contre les effets indésirables des recours contre les autorisations de construire est sans doute à rechercher dans une meilleure rationalisation du procès administratif lui-même.

Rares sont les aspects du droit de l’urbanisme qui ont les honneurs de la presse et qui suscitent l’intérêt des journalistes. Le contentieux de l’urbanisme est parfois de ceux-là lorsqu’il se retrouve au cœur d’enjeux économiques prégnants, tels ceux attachés à la construction de logements dans une période économique difficile.

La remise au début de cette année 2018 au ministre de la Cohésion des territoires d’un rapport intitulé « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace »1 a ainsi attiré l’attention des médias et a fait l’objet d’une présentation, si ce n’est exhaustive de son contenu, en tout cas des enjeux en présence et des principales suggestions avancées par le groupe de travail.

Ainsi, le quotidien Ouest-France annonçait-il qu’« un rapport veut stopper les recours abusifs contre les permis de construire »2. Le journal Le Monde titrait pour sa part à ce même propos, « un projet de loi pour limiter les recours abusifs contre les permis de construire. Un rapport remis le 11 janvier suggère d’accélérer le traitement de ces procédures, habituellement longue de plus de 20 mois »3.

Revenait sur la scène médiatique et juridique en ce début d’année, ce qui est aujourd’hui l’arlésienne du contentieux de l’urbanisme, à savoir la lutte contre les recours dits « abusifs ».

Depuis le rapport du Conseil d’État en 1992 intitulé « L’urbanisme : pour un droit plus efficace »4, en passant par le rapport Pelletier en 20055, puis le rapport Labetoulle en 20136, revient régulièrement une réflexion sur l’efficacité du contentieux de l’urbanisme et, plus précisément encore, sur les meilleures façons de mettre un terme ou de diminuer fortement les recours contentieux dits « abusifs » contre les autorisations d’urbanisme7.

À la suite des différentes évolutions des dispositions du Code de l’urbanisme et du Code de justice administrative qui ont pu être adoptées après ces différents rapports, c’est ainsi tout un arsenal visant à permettre de juger plus rapidement et, espère-t-on, plus efficacement de la légalité des autorisations d’urbanisme qui a été progressivement mis en place dans le but, assumé comme tel, de permettre que les projets de construction soient plus rapidement sécurisés juridiquement et puissent être mis en œuvre également plus rapidement8.

Mais si l’objectif poursuivi est (quasi) unanimement loué, peu développée est la réflexion sur ce que sont réellement ces recours dits « abusifs » dont le nombre justifierait que l’on dérogeât parfois de façon assez radicale aux principes classiques du procès administratif.

Comme le présente très bien le président Labetoulle lui-même, « si la formule est devenue usuelle, elle recouvre divers cas de figure. Le premier est celui où un recours initialement introduit pour des raisons compréhensibles est ensuite mis en œuvre avec une forme d’acharnement qui ralentit la procédure. Plus choquant est le cas des recours où l’apparence d’un intérêt pour agir dissimule mal une attitude d’opposition systématique, de nature politique ou autre, parfois assortie d’une volonté de nuire. Le stade ultime du recours abusif est souvent qualifié de “mafieux” ou de “crapuleux” : introduit et mis en œuvre non pas tant pour obtenir l’annulation du permis que pour “faire chanter” le titulaire de celui-ci et “monnayer” un désistement »9.

L’expression « recours abusif » recouvre en effet des réalités très différentes et est donc particulièrement ambivalente. Quoi de commun en effet entre l’organisation d’un chantage à destination du promoteur d’un projet, qui relève d’une qualification délictuelle, et le recours engagé par le voisin d’un projet qui estime son bien dévalorisé, recours dans lequel celui-ci fait feu de tout bois procéduralement parlant ? Si le premier requérant est évidemment condamnable, moralement et juridiquement et si son action constitue un recours abusif au sens strict, le second, même s’il use de stratégies dites parfois de « guérilla » contentieuse, respecte le droit et met en œuvre des voies légales de contestation sans arrière-pensées critiquables, sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait abusé de son droit, au sens défini par les juridictions judiciaires.

Le champ d’application de l’expression « recours abusif » est assurément très difficile à cerner précisément et donc ambigu, ce qui est délicat si on songe que c’est par l’invocation de l’existence de ce type de recours que l’on justifie de façon parfois assez rapide les évolutions sensibles récentes du contentieux de l’urbanisme qui vont toutes dans le sens d’un encadrement de plus en plus strict du procès en excès de pouvoir fait aux autorisations d’urbanisme.

Et ce d’autant plus que le constat présenté le plus souvent au soutien de ces évolutions, à savoir celui d’une augmentation de ces recours abusifs, est tout simplement impossible à établir réellement, faute de données en la matière et faute bien évidemment également d’avoir une définition très précise de cette notion.

Comme cela a pu être notamment relevé à propos des contentieux dirigés contre les permis de construire, « il n’existe pas de statistique recensant le nombre de recours contentieux introduits par les tiers. Et cela est évidemment frustrant. Les statistiques juridictionnelles ne sont quant à elles pas assez précises en la matière. En effet, si les statistiques juridictionnelles révèlent une augmentation des recours, elles ne la chiffrent pas précisément »10.

Tant et si bien que c’est uniquement de façon quantitative qu’est établi le nombre de recours dirigés contre les autorisations. Si ces recours sont semble-t-il en augmentation11, ainsi que les annulations d’autorisations de construire, rien ne relie explicitement ces éléments factuels à une augmentation de recours de type abusif.

Quant aux délais de jugement de façon générale devant la juridiction administrative ils sont en constante diminution12. S’il est vrai en revanche que les délais de recours contre les permis de construire restent longs comme l’a rappelé le rapport de janvier 201813, rien ne rattache cette durée à un exercice « abusif » des recours.

Ce qui transparaît très clairement des réflexions sur cette question des recours abusifs contre les autorisations de construire, c’est d’abord que quelque mesure que l’on adopte pour essayer de rendre impossible les recours strictement abusifs, notamment en faisant porter sur le requérant une menace de sanction, l’objectif poursuivi semble assez illusoire (I), c’est finalement de façon plus rationnelle principalement une volonté de limiter les effets indirectement préjudiciables au porteur d’un projet de l’engament d’un recours par un tiers qui est privilégiée (II).

I – Empêcher les recours abusifs : un objectif illusoire

La récente réforme du contentieux de l’urbanisme engagée en 2013 et appréhendant globalement les enjeux de ce contentieux spécifique portait certes, mais de façon secondaire, sur le problème des recours abusifs.

L’ordonnance du 18 juillet 2013 a sur cet enjeu particulier inséré dans le Code de l’urbanisme une première disposition portant sur les conditions des désistements d’une action contentieuse administrative liée au versement par le défendeur d’une somme d’argent au requérant14.

À une obligation d’enregistrement de toute transaction de ce genre sur le fondement de l’article 635 du Code général des impôts, le législateur a attaché une sanction assez radicale qui consiste à prévoir que « la contrepartie prévue par une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition ».

Cette disposition a été envisagée en 2013 pour rendre transparentes les transactions intervenant entre un pétitionnaire et un contestataire de l’autorisation devant la juridiction administrative.

Mais le législateur de 2013 avait, dans le texte même du premier alinéa de ce nouvel article L. 600-8 du Code de l’urbanisme, limité cet enregistrement aux transactions intervenant à la suite de la saisine de la juridiction administrative et en visant expressément les requérants « ayant demandé au juge administratif l’annulation » d’une autorisation.

Les termes pourtant très clairs de cette disposition n’en ont pas moins fait l’objet d’une interprétation très extensive des juges judiciaires, notamment ceux de la cour d’appel de Douai qui, dans un arrêt du 16 mars 2017 a étendu cette obligation d’enregistrement aux recours gracieux engagés contre une autorisation de construire15.

Invoquant « l’esprit qui anime ce texte » de l’article L. 600-8 du Code de l’urbanisme, les juges en ont fait application à une transaction intervenue à la suite d’un recours gracieux non suivi d’un recours en excès de pouvoir.

Cette interprétation audacieuse mais explicitement contra legem trouvera peut-être néanmoins une consécration législative prochaine en ce que le rapport de Mme Maugüé remis en janvier 2018 préconise de modifier ledit article L. 600-8 du Code de l’urbanisme pour y inclure le recours gracieux dans le champ d’application de l’obligation d’enregistrement.

Cette obligation d’enregistrement créée en 2013 accompagnait une autre évolution sensible de la législation sur cette question de la limitation des recours abusifs.

L’ordonnance du 18 juillet 2013 a en effet inséré dans le Code de l’urbanisme un article L. 600-7 spécifiquement destiné à lutter contre ces recours et ce, en donnant la possibilité au juge administratif d’être saisi, dans le cadre du contentieux de l’excès de pouvoir engagé contre une autorisation d’urbanisme, d’une demande reconventionnelle en dommages et intérêts dirigée contre le requérant contre cette autorisation.

Ces nouvelles dispositions prévoient que cette demande reconventionnelle en dommages et intérêts peut être mise en œuvre « lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager » a été mis en œuvre « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis ».

Cette action reconventionnelle a tout d’abord posé la question de savoir si elle venait se substituer à l’action qui peut être engagée devant les juridictions judiciaires sur le terrain de l’abus de droit dans ce domaine des recours dirigés contre des autorisations de construire16.

La Cour de cassation admet en effet qu’une action soit engagée contre l’auteur d’un recours contentieux administratif si ce recours révèle que l’exercice du droit au recours a concrètement dégénéré en abus de ce droit.

Elle a ainsi validé la condamnation sur ce terrain par les juridictions du fond d’une société aux motifs que « le recours pour excès de pouvoir formé par la société Finaréal contre le permis de construire délivré à la SCI Mandelieu Estérel avait été inspiré non par des considérations visant à l’observation des règles d’urbanisme mais par la volonté de nuire aux droits du bénéficiaire »17.

Mais restait posée la question du caractère exclusif de la nouvelle procédure de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme.

La Cour de cassation a très récemment tranché ce point en jugeant que les juridictions judiciaires conservaient compétence pour juger de recours fondés sur une indemnisation d’un abus de droit au recours18, nonobstant l’existence de ces dispositions spécifiques du Code de l’urbanisme. Il est donc deux procédures distinctes qui permettent de faire sanctionner un recours abusif, l’une devant la juridiction administrative, l’autre devant les juridictions judiciaires.

Il est sans doute heureux que la Cour de cassation ait maintenu la possibilité de saisine des juges judiciaires sur ce fondement car le bilan de la mise en œuvre de ces dispositions de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme est pour le moins assez maigre.

Comme le relève le rapport remis par Mme Maugüé en 2018, « depuis l’entrée en vigueur de l’article L. 600-7, les conclusions reconventionnelles à fin de dommages et intérêts présentées devant les tribunaux administratifs ont quasiment toutes été rejetées. À ce jour, seuls trois jugements de tribunaux administratifs en ont fait une application positive, dont un seul pour un montant un peu significatif »19.

Les juges ont en effet une réticence patente à caractériser ces « conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis »20.

Rapidement, l’existence d’un intérêt à agir légitime et établi est venu contrecarrer l’application de la condamnation du requérant sur ce motif.

Il eût en effet été paradoxal, notamment depuis le renforcement des conditions liées à l’identification de cet intérêt à agir en 2013 dans le nouvel article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, qu’un requérant soit recevable à agir contre une autorisation d’urbanisme, car doté d’un intérêt à agir valable, mais soit néanmoins condamné au motif que cette action recevable excéderait la défense de ses intérêts légitimes.

Cette « légitimité des intérêts » de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme s’identifie nécessairement, sauf peut-être dans le cas où serait établie une réelle intention de nuire ou des manœuvres qualifiables pénalement d’escroquerie, à l’intérêt à agir légitime du requérant.

Prenant acte du constat d’échec de ce mécanisme, le rapport remis par Mme Maugüé propose la suppression de cette caractérisation du « préjudice excessif » et l’insertion dans la même disposition du Code de l’urbanisme de l’expression de « conditions qui traduisent un comportement déloyal de la part du requérant » en lieu et place des « conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » actuelles21.

On avoue avoir du mal à saisir la portée de ces modifications envisagées et à identifier très concrètement ce en quoi consisteront ces « comportements déloyaux » des requérants.

L’hypothèse qui transparaît ici semble être dans un premier temps celle soit d’un recours engagé par un requérant dont il pourrait être établi qu’il détourne l’usage de la voie de droit ouverte contre l’autorisation pour son intérêt personnel autre que celui défini à l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme (comme dans l’affaire jugée par la Cour de cassation en 2012 SCI Mandelieu qui caractérisait le cas d’un recours engagé par un concurrent commercial du bénéficiaire du permis de construire), soit celui d’un requérant dont il pourrait être démontré qu’il n’agit que pour le compte d’un tiers qui reste caché derrière lui et qui vise à obtenir le paiement d’une somme d’argent en échange de son désistement22.

Mais le rapport de janvier 2018 semble plutôt concevoir ces dispositions relativement au comportement procédural du requérant23. On peut alors imaginer que l’article L. 600-7 trouverait à s’appliquer si le requérant ne soulevait aucun moyen réellement sérieux au soutien de son recours et agirait procéduralement toujours en limite des délais fixés par la juridiction24.

Mais si c’est cette option qui doit être retenue, se pose alors la question délicate d’une potentielle atteinte au droit au recours dans ce contexte particulier. Si ce sont les modalités même de conduite de la procédure qui deviennent en premier lieu susceptibles de faire condamner le requérant à des dommages et intérêts, alors c’est une appréciation assez subjective de la qualité de cette stratégie qui est laissée au juge et qui conditionne l’exercice du recours lui-même.

Et si pèse un risque de condamnation à des dommages et intérêts (éventuellement importants) attaché à la stratégie contentieuse du requérant, alors il y a fort à parier que cela découragera par principe très fortement les potentiels requérants, même dotés d’un intérêt à agir légitime et en dehors de tout recours « mafieux » en tant que tel.

À la suite de toutes ces évolutions intervenues en cette matière et des plus récentes propositions, qui connaîtront sans doute des concrétisations législatives prochaines25, il paraît raisonnable de faire le constat aujourd’hui que pousser plus avant une politique législative visant à menacer les auteurs de recours contre les autorisations de condamnations serait assurément délicat, au regard de la garantie essentielle du droit au recours.

Mais une alternative peut être trouvée dans un ensemble de dispositions législatives et réglementaires visant à organiser un meilleur encadrement des recours, abusifs ou non, et partant un contentieux plus efficace qui permettrait que les projets urbanistiques soient plus rapidement mis en œuvre.

II – Une alternative : un meilleur encadrement général des recours dirigés contre les autorisations de construire

Plutôt en effet que de chercher à menacer le justiciable et à lui faire craindre des sanctions liées à la mise en œuvre d’un recours contre une autorisation d’urbanisme, c’est dans un esprit différent que certaines dispositions ont été insérées dans le Code de l’urbanisme, dans le but de rationaliser l’instance administrative portant sur la contestation d’une autorisation d’urbanisme. L’objectif poursuivi n’est plus ici d’empêcher l’exercice des recours, mais de donner à la procédure contentieuse un tour plus efficace, permettant ainsi que le sort des autorisations contestées soit plus rapidement fixé et que leurs bénéficiaires puissent ainsi mieux appréhender l’agenda de la réalisation de leur projet. Différents aspects procéduraux ont commencé à être mobilisés et sont toujours mobilisables à cet effet.

A – Un encadrement toujours plus strict de l’intérêt à agir du requérant

Ce fut l’élément peut-être le plus marquant de la réforme opérée par l’ordonnance de juillet 2013 que cette formulation législative de l’intérêt à agir spécifique des requérants contre une autorisation d’urbanisme.

Pour la première fois, le Code de l’urbanisme accueillait un article L. 600-1-2 qui prévoit que, pour être recevable, un recours dirigé contre une autorisation d’urbanisme26 doit justifier du fait que « la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » du bien que le requérant « détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation ».

L’intérêt à agir était évidemment déjà défini par la jurisprudence administrative bien avant l’adoption de ce texte. La recevabilité d’un recours contre une autorisation d’urbanisme était soumise à l’évaluation du caractère à la fois approprié et direct de l’intérêt invoqué par le requérant. L’intérêt à agir se définissait très largement par le critère dit du « voisinage », se caractérisant par un faisceau d’indices qui faisait varier la recevabilité d’un recours en fonction de facteurs variés tels la distance avec le projet, l’importance de celui-ci et la nature des constructions envisagées.

Si cet intérêt direct revenait en quelque sorte déjà à évaluer que la situation du voisin contestataire était « affectée » par la construction qui, par l’impact urbanistique qu’elle avait sur sa situation, justifiait qu’il puisse en contester la légalité, les dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme sont plus précises sur le point de l’établissement, par celui qui conteste une autorisation, de ce qu’il est effectivement affecté de façon directe dans les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien.

Les juges ont précisé ce nouvel intérêt à agir en déterminant le modus operandi de leur examen des conditions posées dans un arrêt du 10 juin 201527 et ont également rappelé l’intérêt « privilégié » dont bénéficiait le voisin immédiat d’un projet28.

SI l’on pouvait penser qu’un juste point d’équilibre avait été atteint, le rapport remis en janvier 2018, prenant acte de la jurisprudence précitée sur le voisin immédiat d’un projet, pousse le législateur à aller encore plus loin sur l’établissement de la preuve de cet intérêt à agir29. Le rapport de janvier 2018 propose en effet d’insérer un nouvel article L. 600-1-2-1 du Code de l’urbanisme prévoyant que tout recours devra, « à peine d’irrecevabilité, être accompagné du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation, du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien par le requérant ». Il incomberait ainsi au requérant, sous la menace d’une potentielle irrecevabilité de son recours, d’accompagner son recours, dès son introduction, des pièces nécessaires pour établir la réalité de cet intérêt à agir. Cette modification insisterait encore sur l’importance de l’examen par le juge de cette recevabilité susceptible de faire rejeter le recours par voie d’ordonnance motivée30.

B – Un procès plus efficace et plus rapide

Un point essentiel des critiques faites au contentieux des autorisations d’urbanisme porte sur les délais qui sont nécessaires pour qu’une décision définitive puisse intervenir.

Le temps nécessaire à la mise en œuvre des deux degrés de juridictions (première instance et appel) peut être en soi la cause de difficultés sérieuses mettant en jeu la viabilité du projet de construction dont l’autorisation est attaquée. En effet, l’existence même du recours, par ses conséquences potentielles en cas d’annulation de l’autorisation contestée, amène le promoteur du projet à s’interroger sérieusement sur sa réalisation avant la purge du recours. Un recours peut donc être lui-même, du simple fait qu’il est engagé, vu comme une façon abusive d’obtenir que le projet ne soit pas réalisé.

Cette question des délais de l’action contentieuse fait l’objet de réflexions et de propositions depuis fort longtemps. Ainsi, le rapport remis par M. Pelletier en janvier 2005 suggérait-il déjà d’accélérer les délais de recours en restreignant les conditions de recevabilité de recours et en permettant que l’instance soit plus strictement encadrée par la juridiction.

Le rapport du président Labetoulle de 2013 n’est pour sa part pas directement revenu sur ce thème de la célérité du procès administratif, mais plusieurs de ses propositions finalement traduites en termes législatifs et réglementaires ont permis un procès si ce n’est plus rapide mais en tout cas plus efficace.

Ainsi, le décret du 1er octobre 2013 est venu prévoir qu’à la demande motivée d’une partie, le juge peut fixer une date à partir de laquelle aucun nouveau moyen ne peut être produit devant lui. Cette possibilité ouverte au juge permet d’empêcher un usage abusif par le requérant de la durée même des échanges qui seraient susceptibles d’être prolongés par la production de nouveaux moyens en toute fin d’instruction, nouveaux moyens qui entraînent alors une prolongation des échanges dans le respect du principe du contradictoire.

Cette cristallisation, d’abord limitée au contentieux des autorisations d’urbanisme31, puis étendue par le décret Jade32 à la procédure contentieuse administrative dans son ensemble33, permet une rationalisation du procès administratif en matière d’urbanisme en mettant un terme à la pratique de la guérilla contentieuse qui prolongeait les instances parfois de façon heurtée et donc assez incertaine.

Le rapport de janvier 2018, dont l’intitulé même pointe cette question de l’enjeu de délai de jugement, propose d’aller encore plus loin en ce sens en instaurant une cristallisation automatique qui entraînerait que les parties ne pourraient plus « invoquer de moyens nouveaux passé un délai de 2 mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense »34.

De plus, pour les projets portant sur la construction de logements en zones dites « tendues »35 le rapport propose d’imposer un délai de jugement maximum de 10 mois, en première instance comme en appel et suggère même d’envisager étendre la suppression de l’appel prévue à titre expérimental en 2013 pour certains projets3637, après évaluation de la mise en œuvre de ce mécanisme. Or cette limitation de l’appel recouvrirait partiellement le champ d’application de cet article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, ce qui impliquerait que pour certains projets le jugement, déjà rendu dans les 10 mois, ne serait pas susceptible d’appel. On aurait atteint là une célérité globale de la procédure au fond assez remarquable.

Au titre de l’accélération des délais de procédure le rapport de 2018 suggère aussi de « limiter le référé suspension dans le temps, en ne l’autorisant que pendant un délai suivant la requête au fond »38, délai identique à celui portant sur la cristallisation des moyens précédemment évoquée.

Au-delà de cette volonté d’améliorer le déroulement même de la procédure, l’ordonnance de 2013 a également permis que le procès ait une fonction utile en saisissant l’occasion du contentieux mis en œuvre pour tenter de purger l’autorisation attaquée des vices dont elle serait susceptible d’être entachée.

Les dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, permettent en effet au juge, de sa propre initiative, après avoir sollicité les observations des parties, de surseoir à statuer en indiquant le vice régularisable et le délai laissé pour cette régularisation39.

Le rapport de janvier 2018 propose, tout en étendant le champ d’application à toutes les autorisations d’urbanisme40, de transformer cette possibilité en obligation pour en accentuer encore la portée et l’efficacité.

Si la plupart de ces évolutions proposées début 2018 par le rapport de Mme Maugüé venaient à être mises en œuvre prochainement, on aurait sans doute atteint le point le plus avancé possible de l’équilibre entre la préservation du droit au recours dans toutes ces modalités et la recherche légitime d’un procès rapide et efficace garant des intérêts des porteurs de projet de consécution. Il serait en effet difficilement envisageable d’aller encore plus avant dans les restrictions à accéder à la juridiction administrative et la mise en place de dispositifs contraignants pour le requérant dans le déroulement de l’instance, sauf à faire pencher la balance de façon trop radicale du côté de la protection des intérêts strictement économiques en présence. Le contentieux des autorisations d’urbanisme, toujours à la pointe des innovations en matière procédurale, connaîtrait par là également une pause bien méritée et attendue dans son évolution. La sécurité juridique n’est-elle pas, avant toute chose, d’abord garantie par la stabilité des règles et des normes ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace », Rapport remis le 11 janvier 2018 au ministre de la Cohésion des territoires par le groupe de travail présidé par Christine Maugüé. http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/2018.01.11_rapport_contentieux_des_autorisations_d_urbanisme.pdf.
  • 2.
    Ouest-France 11 janv. 2018, https://www.ouest-france.fr/societe/logement/un-rapport-veut-stopper-les-recours-abusifs-contre-les-permis-de-construire-5494318.
  • 3.
    Le Monde 12 janv. 2018.
  • 4.
    « L’urbanisme, pour un droit plus efficace », in Études et rapports du Conseil d’État, 1992, La Documentation française.
  • 5.
    « Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d’urbanisme », Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, et au ministre de l’Équipement, des Transports, de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de la Mer, présenté par le groupe de travail constitué sous la présidence de Philippe Pelletier, janv. 2005, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/054000147.pdf.
  • 6.
    « Construction et droit au recours, pour un meilleur équilibre », Rapport du groupe de travail créé par Mme Cécile Duflot, ministre de l’Égalité, des Territoires et du Logement, 25 avr. 2013, http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Labetoulle.pdf.
  • 7.
    V. Boussemart D., La sécurisation des permis de construire contre les recours abusifs, thèse, 2015, université Paris V, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01617140/document.
  • 8.
    L’introduction du rapport remis par le groupe de travail mis en place en 2013 par le président Labetoulle estimait ainsi partagé le constat « que l’épuisement des voies de recours contre une autorisation d’urbanisme puisse n’intervenir qu’au terme de plusieurs années et que cette situation ait actuellement pour effet de retarder d’autant le début de la construction », rapp. préc., p. 1.
  • 9.
    « Permis de construire et recours abusifs : aller plus loin. L’amélioration du traitement juridictionnel des recours laisse subsister le cas des “recours abusifs” », Constructif 2014, n° 39, entretien avec Labetoulle D.
  • 10.
    Boussemart D., thèse préc., p. 22.
  • 11.
    Ibid., p. 21
  • 12.
    Si « l’évolution générale de la juridiction administrative a joué dans un sens favorable. Les délais de jugement ont été très sensiblement réduits : aujourd’hui le délai moyen en premier ressort est inférieur à 1 an » (Labetoulle D., « Permis de construire et recours abusifs… », art préc.), « le délai moyen de jugement des recours contre les permis de construire s’était stabilisé à 23 mois en première instance, qu’il était de 16 à 18 mois en appel et de 14 mois en cassation. La durée moyenne des recours contre les autorisations d’occupation des sols reste donc longue ».
  • 13.
    Rapp. préc., p. 3.
  • 14.
    C. urb., art. L. 600-8.
  • 15.
    CA Douai, 1re ch., 2e sect., 16 mars 2017, n° 16/00998.
  • 16.
    La question était envisagée dès le rapport Labetoulle dans ses conclusions sur ce point.
  • 17.
    Cass. 3e civ., 5 juin 2012, n° 11-17919.
  • 18.
    Sur le fondement de C. civ., art. 1240 (C. civ., art. 1382 anc.).
  • 19.
    Rapp. préc., p. 42.
  • 20.
    Ibid., p. 42.
  • 21.
    Ibid., p. 43.
  • 22.
    Cas des recours dits « mafieux » au sens strict du terme.
  • 23.
    Rapp. préc., p. 43.
  • 24.
    Ce fût l’un des éléments retenus par le tribunal administratif de Lyon pour condamner un requérant sur le fondement de l’article L. 600-7 (TA Lyon, 17 nov. 2015, n° 1303301).
  • 25.
    L’avant-projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique (ÉLAN), tel que présenté en conseil des ministres le 4 avril 2018 annonce en effet, en l’état, de sensibles modifications du contentieux des autorisations d’urbanisme sur les points précédemment évoqués.
  • 26.
    Avec à noter l’exclusion du champ des déclarations préalables de ces dispositions.
  • 27.
    CE, 10 juin 2015, n° 386121.
  • 28.
    CE, 13 avr. 2016, n° 389798.
  • 29.
    Après avoir proposé une extension du champ d’application de cet article à toute décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol.
  • 30.
    Sur le fondement de CJA, art. R. 222-1.
  • 31.
    CJA, art. R. 600-4.
  • 32.
    D. n° 2016-1480, 2 nov. 2016, portant modification du Code de justice administrative, entré en vigueur le 1er janv. 2017.
  • 33.
    CJA, art. R 611-7-1.
  • 34.
    Rapp. préc. p. 18.
  • 35.
    « Bâtiment d’habitation collectif au sens de l’article R.111-18 du Code de la construction et de l’habitation implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du Code général des impôts et de son décret d’application ».
  • 36.
    CJA, art R. 811-1-1.
  • 37.
    À savoir ceux portants sur les bâtiments les lotissements qui sont implantés en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du Code général des impôts et son décret d’application. (Zones marquées par une forte tension en matière de loyers d’habitation).
  • 38.
    Rapp. préc., p. 13 et s.
  • 39.
    Le Conseil d’État a récemment jugé dans ce contexte que les requérants sont tenus de contester le permis de construire modificatif délivré en cours d’instance dans le cadre de cette instance initiale exclusivement, interdisant ainsi qu’une requête distincte soit engagée contre l’autorisation modificative (CE, 19 juin 2017, n° 398531, Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal).
  • 40.
    Donc en incluant les non oppositions à déclaration préalable.
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