Manquement du notaire à s’acquitter de son devoir de conseil et d’obligation d’information en matière fiscale
Le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours.
Cass. 1re civ., 20 déc. 2017, no 16-13073, FS–PB
1. La doctrine et la jurisprudence s’accordent à reconnaître que le notaire est un « collecteur d’impôt »1, d’autant plus que l’article 1705-1° du CGI dispose que « les droits des actes à enregistrer ou à soumettre à la formalité fusionnée sont acquittés par les notaires pour les actes passés devant eux (…) »2. Bien que cette fonction soit réalisée pour le compte de l’État, il n’en reste pas moins que le notaire est débiteur d’un devoir de conseil et d’une obligation d’information en matière fiscale à l’égard de son client. Tout ce qui est permis d’affirmer c’est que le notaire « ingénieur patrimonial »3, ne reste pas limité à sa mission de conseil et d’information en matière civile, mais devient un expert en matière fiscale. En l’espèce4, suivant un premier acte reçu, le 21 décembre 2007, par Me X, la société civile immobilière Stelval a acquis un terrain à bâtir afin de réaliser une opération immobilière qu’elle déclarait soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), d’abord, en qualité de redevable légal de cette taxe, puis, par une déclaration rectificative du 31 janvier 2008, consécutive à sa transformation en société à responsabilité limitée, en qualité de redevable habituel. La société civile immobilière Stelval après avoir loti ce terrain, a cédé les cinq premiers lots en vertu d’actes qui, reçus par le notaire entre les 25 juillet 2008 et 23 octobre 2009, mentionnaient, au titre des déclarations fiscales, que ces mutations entraient dans le champ d’application des droits d’enregistrement conformément à l’article 257, 7°, 1, a, alinéa 3, du Code général des impôts, comme étant effectuées au profit d’une personne physique, en vue de la construction d’un immeuble destiné à l’usage d’habitation. Cependant, l’administration fiscale, estimant que le vendeur exerçait une activité habituelle de lotisseur et relevait, par sa structure juridique, de l’impôt sur les sociétés, lui a notifié une proposition de rectification au titre de la TVA sur la marge d’une somme de 47 479 € ; que, reprochant au notaire, notamment, d’avoir manqué à son devoir d’information et de conseil sur le régime fiscal applicable à ces opérations, le vendeur l’a assigné en responsabilité et indemnisation du préjudice ayant résulté pour lui de l’impossibilité de répercuter financièrement cette taxe sur les prix de vente des terrains. Les juges du fond écartent toute responsabilité du notaire en estimant que : « toute défaillance du notaire à son obligation d’information sur la fiscalité des ventes, l’arrêt retient que les déclarations fiscales, aux termes desquelles ces mutations entraient dans le champ d’application des droits d’enregistrement, correspondent strictement à celles qu’il devait mentionner, en considération de la législation applicable à leur date ; qu’il ajoute que le vendeur ne peut tirer argument de la différence de régime fiscal déclaré dans une promesse de vente ultérieure, régie par la loi du 9 mars 2010 qui, modifiant les dispositions de l’article 257 du Code général des impôts, a assujetti à la TVA des opérations qui n’y étaient pas antérieurement soumises, telles que celles portant sur l’acquisition de terrains par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles par elles affectés à un usage d’habitation ». La haute juridiction censure les juges du fond au visa de l’article 257, 6° et 7°, du Code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finance rectificative pour 2010 et de l’article 1240 du Code civil. Pour la Cour de cassation le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets quant aux incidences fiscales de l’acte auquel il prête son concours (I). Le notaire n’étant pas comptable des manquements déclaratifs du vendeur qui, en sa qualité d’assujetti à la TVA, se devait de remplir ses déclarations fiscales CA3 tant et si bien que l’officier public a commis un manquement consécutif à une information incomplète délivrée sur la fiscalité des mutations en cause (II).
I – Manquement du notaire à s’acquitter de son devoir de conseil et d’obligation d’information en matière fiscale
2. Le contour du devoir de conseil et d’obligation du notaire en matière fiscale dû à leur client (A) donne lieu à une nouvelle décision concernant l’application l’article 257, 7°, 1, a, alinéa 3, du Code général des impôts (B).
A – Contour du devoir de conseil et d’obligation d’information du notaire en matière fiscale
3. Entre tradition et innovations juridiques, la pratique notariale a construit, de toutes pièces dans de nombreuses matières et notamment en droit de la famille, des règles originales et inédites5. Cela étant, le notaire en tant que collecteur d’impôt devient en quelque sorte l’interlocuteur unique de l’État.6 De plus, le notaire a un devoir de conseil et d’information à l’égard de ses clients tant sur les incidences médiates qu’immédiates en matière fiscale afin de permettre aux parties de choisir la solution qui leur convient7. C’est ainsi qu’en matière successorale la Cour de cassation a jugé : « Alors, d’une part, que l’existence d’une incertitude juridique ne dispense pas le notaire de son devoir de conseil ; que la cour d’appel qui constate l’existence en 1989 d’un vide juridique et donc d’une incertitude juridique portant sur les modalités d’évaluation et donc d’imposition des successions de biens immobiliers sis en Corse, ne pouvait estimer que le notaire, dès lors qu’il se conformait à la pratique de l’administration fiscale n’était tenu d’aucune information à l’égard de sa cliente alors qu’au contraire cette incertitude susceptible de remettre en cause la légalité de cette pratique justifiait qu’il l’informât des termes du débat afin de lui permettre de prendre la décision appropriée ; que la cour d’appel a ainsi méconnu la portée de ses propres énonciations et violé l’article 1137 du Code civil ; alors d’autre part qu’en préjugeant de ce qu’aurait été l’attitude de Mme V. si son notaire l’avait informé des termes de ce débat, la cour d’appel a statué par motifs hypothétiques et privé sa décision de base légale au regard de cette même disposition »8. Dans la même veine, le notaire engage sa responsabilité civile professionnelle en l’absence d’information des héritiers sur les pénalités de retard encourues en cas de déclaration de succession tardive.9. C’est ainsi que pour la Cour de cassation : « Attendu que pour rejeter cette demande l’arrêt attaqué retient que M. R., qui n’établit pas avoir permis à M. M., en lui fournissant les fonds nécessaires, de déposer la déclaration de succession, ne peut en imputer la faute au notaire qui justifie avoir effectué des démarches pour l’obtention de prorogations de délais qui ont été accordés par l’administration fiscale et que si M. R. ne l’avait été avant, il a été parfaitement renseigné sur les conséquences d’une omission de déclaration de succession par la lettre de mise en demeure que lui a adressée le 21 janvier 1987 la Direction générale des impôts qui lui impartissait un délai de 30 jours pour régulariser sa situation ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’à la date à laquelle il avait reçu la mise en demeure de l’Administration, le délai de 6 mois pour déposer la déclaration de succession était expiré sans que le notaire eût personnellement averti son client des sanctions encourues au titre de la méconnaissance de ce délai, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »10. On se rend bien compte de l’importance et de la nécessité du devoir de conseil et d’information du notaire en matière fiscale. Le devoir de conseil et d’information du notaire joue un rôle non négligeable en matière successorale mais également en matière immobilière, comme en témoigne l’arrêt rapporté.
B – L’interprétation de l’article 257, 7°, 1, a, alinéa 3, du Code général des impôts
4. Dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de la loi de finance rectificative pour 2010, l’article 257, 7°, 1, a, alinéa 3, du Code général des impôts disposait : « Sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles. Ces opérations sont imposables même lorsqu’elles revêtent un caractère civil. 1. Sont notamment visés : a) Ces dispositions ne sont pas applicables aux terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles que ces personnes affectent à un usage d’habitation (…) ». À cet égard, il était traditionnellement enseigné par M. J. L. que : « Lorsque le terrain cédé est ainsi recouvert de bâtiments édifiés par un tiers, il faut distinguer selon que la vente intervient plus ou moins 5 ans après l’achèvement de l’immeuble construit sur sol d’autrui »11. L’auteur poursuit en remarquant : « que les acquisitions par des personnes physiques de terrains qu’elles affectent à un usage d’habitation ne sont pas soumises à la TVA (CGI, art. 257-7°-1 a, al. 3). Mais cette disposition ne s’applique qu’aux ventes ayant acquis date certaine à compter du 22 octobre 1998 »12. En l’espèce, la Cour de cassation décide : « alors que lorsque l’exclusion prévue par l’article 257, 7°, 1, a, alinéa 3, du Code général des impôts n’avait pas pour effet d’exonérer de TVA les ventes de terrains à bâtir consenties par un lotisseur à un particulier en vue d’y construire un immeuble à usage d’habitation, mais seulement, en application des dispositions subsidiaires du 6° de ce texte, de les soumettre au régime de taxation sur la marge, dans les conditions prévues par l’article 268 du même code, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Au cas d’espèce, l’administration fiscale, estimant que le vendeur exerçait une activité habituelle de lotisseur et relevait, par sa structure juridique, de l’impôt sur les sociétés, lui a notifié une proposition de rectification au titre de la TVA sur la marge, qui a conduit au recouvrement d’une somme de 47 479 €.
5. À ce propos, le Bulletin officiel des impôts du 6 décembre 2007 (numéro 128), rappelle que « sous réserve de respecter l’ensemble des conditions fixées aux 6 de l’article 27 sexies 8 du CGI, relèvent du taux réduit d’une part les ventes d’immeubles qui entrent dans le champ d’application du b du 1 du 7° de l’article 257 du CGI, d’autre part les livraisons à soi-même d’immeubles au sens du c du 1 du 7° de l’article 257 du CGI. À cet égard, il est rappelé que : – les acquisitions de terrains à bâtir par des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles que ces personnes affectent à un usage d’habitation sont exclues du champ d’application du 7° de l’article 257 du CGI (CGI, art. 257, 7°, 1, a, al. 3) ».
II – Conséquences du manquement du notaire à s’acquitter de son devoir de conseil et d’obligation d’information en matière fiscale
6. En considérant que les manquements déclaratifs étaient consécutifs à une information incomplète délivrée par le notaire, la Cour de cassation s’attache aux conséquences fiscales immédiates liées à l’obligation d’information du notaire (A), mais également aux conséquences fiscales médiates liées au devoir de conseil de l’officier public (B).
A – Les conséquences fiscales immédiates liées au manquement du notaire à l’obligation d’information
7. De manière générale, on estime que les conséquences fiscales immédiates correspondent au régime fiscal de l’acte lui-même13. En l’espèce, il est soutenu que la mission de Me X n’a jamais été de tenir la compatibilité ni de remplir ou de suivre les obligations déclaratives de la SARL Stelval en matière fiscale, laquelle en qualité d’assujettie à la TVA se devait de remplir ses déclarations CA3. Or, cette analyse ne convainc pas la haute juridiction qui estime qu’en statuant ainsi, alors que ces manquements déclaratifs étaient consécutifs à une information incomplète délivrée par le notaire sur la fiscalité des mutations en cause, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
8. Le commentateur a, de la décision sus-indiquée, précisé que « dans l’espèce connue par la cour d’appel de Nancy en effet, les parties reprochaient au notaire de ne pas les avoir conseillées sur le régime fiscal directement applicable à la vente, à savoir la TVA sur le prix de vente »14. Et ce commentateur d’ajouter : « C’est ainsi pour avoir proposé un acte sans en préciser le régime fiscal immédiat que le notaire voit sa responsabilité engagée. Il semblerait d’ailleurs à ce titre qu’aurait tout simplement pu être caractérisé un manquement à une obligation d’information, plus que de conseil »15.
9. L’analyse substantielle de l’obligation d’information révèle que comme tous les professionnels du droit, le notaire est débiteur d’une obligation d’information objective16. En l’espèce, le vendeur exerçait une activité habituelle de lotisseur et relevait, par sa structure juridique, de l’impôt sur les sociétés, alors que le notaire n’avait pas appliqué ce régime fiscal à l’opération.
B – Les conséquences fiscales médiates liées au manquement du notaire pour défaut de devoir de conseil
10. On enseigne traditionnellement que des incidences médiates en matière fiscale correspondent aux implications fiscales futures de l’acte17. Il est de jurisprudence constante que le notaire, soumis à un devoir de conseil, est tenu d’éclairer les parties sur les incidences fiscales des actes qu’il reçoit. Au cas d’espèce, Me X, n’expliquant pas à la société Stelval les incidences fiscales des ventes, à savoir notamment qu’elle serait, en tant que SARL, assujettie à la TVA sur la marge des opérations en cause, a manqué à son devoir de conseil. La Cour de cassation a rendu récemment une décision en jugeant « Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. C. n’avait pas manqué à son devoir de conseil envers les acquéreurs en ne les avertissant pas de l’incertitude affectant le régime fiscal applicable à cette opération et du risque de perte des avantages fiscaux recherchés par ces derniers, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »18.
11. Il a fallu attendre ces dernières années pour voir émerger des concepts intégrés à la gestion fiscale du patrimoine. Dans un tel contexte, s’il faut admettre que si le notaire ne sait pas conseiller la voie la plus économique fiscalement, il risque d’engager sa responsabilité personnelle19. Néanmoins, il est possible de dire que, dorénavant, les techniques de gestion fiscale du patrimoine évoluent pour devenir une « science » que l’on qualifie volontiers de gestion fiscale, de stratégie fiscale, d’optimisation fiscale, de défiscalisation ou encore de tax-planning20. À l’appui de son pourvoi, le demandeur excipait qu’aucune des pièces que le notaire avait versées aux débats n’était de nature à démontrer son devoir de conseil, et le notaire produisait à l’appui de sa démonstration la proposition de redressement et les différents actes de vente dont il ne ressortait effectivement pas que la moindre information relative à l’assujettissement à la TVA sur la marge eût été donnée.
12. L’information incomplète prodiguée par le notaire entraînant des déclarations fiscales erronées ne peut se résoudre qu’en un manquement au devoir de conseil et d’obligation d’information dès lors que les erreurs procèdent de choix fiscaux erronés.
Notes de bas de pages
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1.
Muriel Suquet-Cozic M., « Le notaire collecteur d’impôt », JCP N 2008, 1334.
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2.
Becqué P., « Le notaire et la collecte de l’impôt », JCP N 2014, 1094.
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3.
Albarian A., « La responsabilité professionnelle des notaires pour manquement à leur devoir de conseil en matière fiscale. Le notaire est-il tenu d’être un “ingénieur fiscal” ? », Defrénois 15 févr. 2011, n° 39198, p. 249 et s. ; Gutmann D., « Le notaire et l’impôt », JCP N 2014, 1097.
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4.
Julie Labasse J., « Focus sur la responsabilité civile des professionnels du droit », Lamyline actualité 17 janv. 2018 ; Hacene A., « Redressement fiscal : manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil », Dalloz actualité, 15 janv. 2018 ; « Obligation d’information du notaire quant aux incidences fiscales d’une opération immobilière », Defrénois 18 janv. 2018, n° 132m0, p. 11 ; Defrénois flash 22 janv. 2018, n° 143n1, p. 14.
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5.
Niel P.-L., « Innovation juridique et pratique notariale », LPA 21 mai 2014, p. 10.
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6.
Suquet-Cozic M., « Le notaire collecteur d’impôt », JCP N 2008, 1334.
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7.
Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a., « Le devoir de conseil et l’obligation d’information », Le Lamy Droit immobilier.
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8.
Cass. 1re civ., 18 févr. 2003, n° 00-16447, arrêt n° 209.
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9.
Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a., « Le devoir de conseil et l’obligation d’information », Le Lamy Droit immobilier.
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10.
Cass. 1re civ., 26 nov. 2002, n° 99-17745, arrêt n° 1696.
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11.
Lafond J., « Construction sur terrain d’autrui et publicité foncière », JCP N 2005, 1449, n° 17.
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12.
Lafond J., « Construction sur terrain d’autrui et publicité foncière », JCP N 2005, 1449, n° 17.
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13.
Durand-Pasquier G., « Le devoir de conseil du notaire quant au régime fiscal applicable à une opération d’acquisition immobilière », JCP N 2013, 1047.
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14.
Durand-Pasquier G., « Le devoir de conseil du notaire quant au régime fiscal applicable à une opération d’acquisition immobilière », JCP N 2013, 1047, op. cit.
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15.
Durand-Pasquier G., « Le devoir de conseil du notaire quant au régime fiscal applicable à une opération d’acquisition immobilière », JCP N 2013, 1047, op. cit.
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16.
Fages B., Heinich J., Buy F. et a., « Contenu de l’obligation d’information des professionnels du droit », Le Lamy Droit du Contrat, n° 553.
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17.
Durand-Pasquier G., « Le devoir de conseil du notaire quant au régime fiscal applicable à une opération d’acquisition immobilière », JCP N 2013, 1047, op. cit.
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18.
Cass. 1re civ., 26 janv. 2012, nos 10-25741, 10-26560 et 11-14663.
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19.
Cozian M., « Éloge de l’habileté fiscale », RFP 2006, alerte 1.
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20.
Cozian M., « Éloge de l’habileté fiscale », RFP 2006, alerte 1, op. cit.