Noëlle Herrenschmidt : une aquarelliste dans les coulisses de la loi

Publié le 28/09/2016

Noëlle Herrenschmidt se définit comme reporter aquarelliste et arpente depuis près de trente ans les palais de justice. Pendant six ans, elle a suivi l’activité du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel, de l’Élysée, de Matignon… Un reportage au long cours dont elle a tiré un livre très pédagogique, Dans les coulisses de la loi, publié aux éditions de La Martinière.

LPA – Dans les coulisses de la loi est votre premier ouvrage sur le monde politique. Comment est né ce projet ?

Noëlle Herrenschmidt – En 2010, j’ai couvert le procès Clearstream. Je voyais des hommes politiques passer de l’ombre à la lumière en franchissant le seuil de la salle d’audience. Pendant cette affaire, j’ai découvert un personnage fascinant en la personne de Dominique de Villepin. Je voyais sa face sombre lors du procès, qui est forcément un lieu violent, ou l’on se met à nu. Et puis, une fois passé le sas de l’audience, ce même homme relevait les épaules et affrontait tête haute les flashes des photographes dans la salle des pas perdus. J’ai été littéralement fascinée par ce personnage au double visage. Nous sommes tous doubles, nous avons tous plusieurs visages. Mais les hommes politiques plus encore que les autres. J’ai eu envie de les approcher de plus près. De découvrir ce monde dont j’ignorais tout.

LPA – Ce carnet est le fruit d’un reportage qui a duré six ans. Pourquoi ce travail vous a-t-il pris autant de temps ?

N. H. – Il m’a fallu un certain temps pour comprendre le monde de la loi. Par ailleurs, c’est difficile de trouver un éditeur pour parler de politique, ce n’est pas un sujet vendeur. J’ai donc mis du temps, en effet. Mais cela n’a pas été du temps perdu. Cela m’a permis d’aller pas à pas, de revenir sur les lieux des différentes institutions, de m’approprier mon sujet. J’ai commencé ce travail seule, en 2010. En 2014, après avoir signé avec l’éditeur, je suis revenue sur des lieux où j’étais allée des années auparavant. Ce qui m’avait paru obscur à l’époque était évident. La première fois que j’ai dessiné la grande salle du Conseil d’État, je ne comprenais pas ce que j’avais devant les yeux. Deux ans plus tard, quand j’y suis retournée, c’était limpide.

LPA – Que connaissiez-vous de ce monde de la loi ?

N. H. – Comme tout le monde, j’avais quelques vagues images de ces institutions. Mais comme tout le monde, je n’y connaissais au fond pas grand-chose. Cela ne m’a pas gênée. En général, quand je commence un travail, je ne sais pas où je vais. Je fais confiance aux rencontres pour me dire ce que sont ces institutions que je veux raconter. Je ne me documente pas en amont, afin d’éviter les stéréotypes et les idées reçues qui sont légion ! Mon ignorance est une arme. J’apprends sur le terrain. J’ai travaillé comme cela pour mes autres reportages, que ce soit dans les palais de justice, en prison, ou encore à l’hôpital. J’ai appris en direct. Ce direct, j’y tiens beaucoup et je le revendique. Je n’invente rien, je dessine ce que je vois, ce qu’on me raconte.

LPA – Cette naïveté que vous revendiquez n’est-elle pas problématique lorsque l’on travaille avec des hommes politiques, qui sont rompus aux médias et aux méthodes de communication ?

N. H. – Au contraire, ils voient que je ne suis pas une journaliste politique. Du coup, ils me parlent d’eux, de ce qu’ils sont. Dans une certaine mesure, ça les repose : il n’y a pas de combat, pas d’armes à sortir. Ces hommes, qui sont épiés, attaqués, finissent par se construire des protections. Là, ils ont pu baisser la garde. Par ailleurs, je ne me suis pas intéressée qu’aux hommes politiques, loin de là. Mon intention était aussi de mettre en lumière tous les agents de l’État, ceux qu’on ne connaît pas, qu’on ne voit pas à la télévision. Tout part de l’échange entre ces gens qui vivent les institutions au quotidien et moi, reporter aquarelliste. Le lecteur peut entrer par la petite porte, par le témoignage de ceux que je rencontre. Ces agents sont souvent des personnes très humbles. Qui sait, par exemple, qu’il existe un secrétaire général du Gouvernement, personnage très discret dont le rôle politique est pourtant décisif ? Je donne la parole, dans ce livre, à ces hommes de l’ombre qui travaillent énormément. Je voulais casser l’image du « tous pourris » qui colle à la peau des hommes politiques. Beaucoup de gens travaillent dans nos institutions. Malheureusement, ce ne sont pas ceux que l’on voit le plus.

LPA – Comment avez-vous été accueillie ?

N. H. – L’aquarelle est un outil formidable pour nouer un contact. Je m’assieds dans la salle, j’ai mon badge, j’ai mon gilet avec mes crayons et mes pinceaux… immédiatement, les gens viennent voir ce que je fabrique. Je dessine sur le vif, et je fais tout en direct, y compris la mise en couleur. Cette façon de faire déverrouille même les milieux les plus fermés, comme le Vatican, où j’ai travaillé dernièrement. Voir quelqu’un travailler en direct est rassurant. Il n’y a pas d’arnaque possible. Le dessin ne ment pas, et ne fait pas peur.

LPA – Vous avez commencé ce travail au moment de la réforme des retraites…

N. H. – J’ai eu la chance d’arriver, en 2010, à un moment extraordinaire de la vie politique. La réforme des retraites était en chantier, les parlementaires travaillaient jour et nuit ! J’ai été avec eux pendant des mois, j’allais partout où on m’autorisait à venir, jusqu’à faire partie des murs. J’ai découvert ce qu’était le travail en commission, au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Et je peux vous dire qu’on travaille, à l’Assemblée nationale ! Le travail de nuit est particulièrement intéressant. On est fatigué ensemble, les façades tombent, on ne fait pas semblant. Trois ans plus tard, j’ai assisté aux débats sur le mariage pour tous. Là encore, c’était passionnant, et plus violent que les débats pourtant déjà houleux sur la réforme des retraites…

LPA – Votre livre est un beau livre, qui fait découvrir des lieux magnifiques, une pompe digne de l’Ancien Régime…

N. H. – Oui, ces lieux sont très beau, et si mon dessin le montre, tant mieux ! Je ne traite jamais de sujets légers et ne cherche pas uniquement à faire de beaux dessins. Mais si un dessin, par son esthétique, permet de prendre le lecteur par la main et de l’emmener vers des textes plus techniques, alors le pari est réussi. Pendant ces mois de reportage, j’ai découvert des lieux très personnels au sein même de nos institutions. J’ai ainsi passé beaucoup de temps à la buvette de l’Assemblée nationale : c’est un lieu de détente, intime et préservé. J’y ai mené un certain nombre d’interviews avec des députés, cela crée tout de suite un échange différent. J’ai même dessiné dans le jardin de la buvette de l’Assemblée nationale. C’est un endroit magique, protégé. On est au cœur de Paris, on entend les bruits de la ville, et on se sent pourtant en dehors de tout cela, comme dans une bulle. Je dois dire que j’ai largement profité de cet endroit !

LPA – Quel a été le rôle joué par Antoine Garapon, qui signe la préface de l’ouvrage ?

N. H. – Je l’ai rencontré au moment où j’ai fait le livre sur le palais de justice de Paris. Depuis 1995, il accompagne mon travail. C’est lui qui m’a ouvert des portes clés, au Sénat, à l’Assemblée nationale, au Conseil constitutionnel, à l’Élysée. Il nous sert de caution morale, nous évite les faux pas. C’est quelqu’un d’une grande clairvoyance, avec qui l’on peut discuter de tout.

LPA – Avant ce livre, vous avez beaucoup dessiné les palais de justice…

N. H. – J’ai commencé à dessiner dans les palais de justice en 1987. J’approchais de la cinquantaine, et cela a été une révélation, le début d’une deuxième vie. Avant cela, je travaillais comme illustratrice pour des livres jeunesse édités par Bayard. Après un reportage à Calcutta – une expérience décisive, qui m’a sortie de mon petit monde protégé –, j’ai voulu sortir de l’illustration et j’ai commencé à aller faire des croquis dans des salles d’audience. J’ai montré mon travail à la rédaction du journal La Croix, qui appartient au groupe Bayard. Cela a plu à la rédaction, et on m’a envoyé couvrir le procès Klaus Barbie, à Lyon. Pierre Truche, ancien premier président de la Cour de cassation, était procureur lors de ce procès. Il a été mon premier professeur de droit, et quel professeur ! Je l’ai retrouvé à Paris et il m’a aidé à réaliser les différents ouvrages que j’ai fait paraître sur la justice : Mémoires de justice, sur les procès Barbie, Touvier et Papon, (Seuil, 2009) ; Carnets du Palais, sur le palais de justice de Paris (Albin Michel, 2000) ; ou encore Que sais-tu de la Justice ? (Édition Ministère de la Justice, 2002).

LPA – Pourquoi ce monde de la justice et de la loi vous fascine-t-il tant ?

N. H. – Un procès est un lieu souvent violent, mais où il se passe toujours quelque chose. Quand on aime l’humain, comme moi, c’est très riche. Et l’on ne peut pas prévoir ce qui va se passer. Lorsqu’un témoin prend la parole dans un procès, on ne sait jamais s’il va parler trois minutes ou trois heures. Il faut être adaptable, accessible à la parole de l’autre… Je suis alors au cœur du métier de reporter, dans cet état de liberté totale qui fait que l’on s’oublie avec bonheur pour aller vers l’autre.

L’Assemblée nationale

Noëlle Herrenschmidt

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