Pauvre justice de galériens !

Publié le 25/09/2020

La proposition de nommer une avocat à la tête de l’Ecole nationale de la magistrature a déclenché la colère chez les magistrats et ravivé la tension avec les professionnels de la défense. Michèle Bauer, avocate au Barreau de Bordeaux, lance un appel : la justice se meurt, il n’est plus temps de se quereller.

Pauvre justice de galériens !
Photo : ©AdobeSTock/Muratart

 

« Le concours à l’ENM est très sélectif », « les avocats passent un examen » a déclaré une Procureure de la République lors d’une rentrée solennelle.

Quelle condescendance !

La nomination de Nathalie Roret à la tête de la prestigieuse école de la magistrature ne plait pas à certains magistrats.

Une avocate, vous n’y pensez pas !

les avocats sont régulièrement associés à la formation des futurs magistrats, mais pour les choses plus sérieuses, qu’ils restent chez eux dans leur médiocre école.  

Comment en est-on arrivé là ?

 Les avocats et les magistrats ne sont pas des ennemis, ces deux professions contribuent à l’œuvre de justice.

 « Certes, mais on ne mélange pas les torchons et les serviettes » , parions que les serviettes brodées sont les magistrats, les torchons sales, les avocats.

 Quant à la justice, elle est dans de beaux draps !

Depuis de nombreuses années, avocats et magistrats dénoncent le manque de moyens. La crise sanitaire a révélé au grand jour cette indigence, les tribunaux sont fermés durant le confinement, les discours s’enchainent sans même parler de la justice, la préférence est donnée aux restaurants et aux bars. Aujourd’hui, le Ministre de la Justice est un « ancien » avocat, le Premier Ministre ne cesse de faire des annonces d’augmentation du budget de la justice sans dire vraiment si ce budget sera affecté à la justice ou au pénitentiaire. Beaucoup de paroles, peu d’actes qui se ressentent sur « le terrain » où les acteurs continuent de souffrir de cette « clochardisation » de la Justice.

Nous sommes dans la même galère, magistrats et avocats et quelle galère !

Les Tribunaux et les Cours d’appel croulent sous les dossiers. Les conseillers à la Cour d’appel bénissent le décret Magendie qui leur permet de déclarer d’un coup de RPVA l’appel caduc ou les conclusions irrecevables. Les juges n’ont plus le temps d’écouter les avocats plaider et d’écouter par la même les justiciables qui attendent beaucoup de leur procès, souvent le seul dans leur vie. Ils doivent enchainer les audiences pour « sortir » les dossiers, les décisions.

Les avocats doivent digérer les réformes successives de la procédure civile ou des conseils de prud’hommes qui restreignent de plus en plus l’accès au juge. Ils doivent expliquer aux salariés dont l’ancienneté est faible qu’il ne sert à rien de saisir le juge,  qu’ils obtiendront presque rien en dommages et intérêts. Ils rassurent leurs clients frustrés de ne pas avoir été entendus lors de l’audience : « Mais c’est quoi cette Justice, Maître, le juge n’a rien écouté, il baillait et discutait avec son collègue ?  ». Les avocats doivent aussi expliquer à leurs clients les jugements défavorables en l’absence de motivation, car les juges n’ont plus le temps de détailler leur décision.

Pour une formation commune

Pauvre Justice de galériens !

Pourquoi alors lancer ces pics et se chamailler ?

Pourquoi a-t-on sentiment que le fossé entre magistrats et avocats se creuse au fur et à mesure que le budget de la justice s’amaigrit ?

Le ministre de la justice aurait-il raison ? L’ENM rendrait-elle les futurs magistrats allergiques aux avocats ?

La question peut se poser.

Une formation commune permettrait aux magistrats et aux avocats, à défaut de devenir amis, de se comprendre. Le stage des magistrats dans des cabinets d’avocats est insuffisant pour comprendre notre métier, tout comme notre propre stage en juridiction est insuffisant pour comprendre le métier de magistrat. Avant de devenir avocat, j’ai exercé en qualité d’assistante de justice durant quatre années. Cette expérience m’a permis de cerner les exigences des magistrats, les difficultés qu’ils rencontraient pour statuer. J’ai assisté aux audiences et bénéficié de l’œil critique des juges sur les plaidoiries à rallonge de certains, frustrantes des autres quand par exemple l’avocat ne montre pas les photos d’un dégât des eaux pourtant objet du litige. La profession d’avocat peut s’enrichir de celle de magistrat, et vice-versa. Les magistrats et avocats pourraient devenir confrères de ce nouveau monde de l’après dont on ne cesse de nous annoncer l’avénement.

Au mois de mai 2020, le CNB a organisé une rencontre avec les magistrats pour recréer ce lien qui s’est perdu on ne sait pourquoi… la crise sanitaire en a décidé autrement et a laissé la place à une division qui doit plaire à certains car, pendant ce temps, la Justice se meurt en silence dans ses beaux draps.