Réforme territoriale, spécialisation, conseil : les grands dossiers de l’ordre des experts-comptables

Publié le 19/04/2017

Charles-René Tandé a été nommé le 14 mars dernier à la présidence de l’ordre des experts-comptables. Outre la représentation des 20 000 experts-comptables de France, il devra continuer d’accompagner le virage de la profession vers le conseil et mener à bien la réforme territoriale de son ordre.

Pas de temps à perdre pour Charles-René Tandé. En succédant à Philippe Arraou, le nouveau président de l’ordre des experts-comptables n’a qu’un mandat de deux ans pour accomplir ses objectifs. Lors de sa prise de fonctions le 14 mars dernier, à la suite de sa désignation par les élus du Conseil supérieur, Charles-René Tandé a souhaité mettre un accent particulier sur la croissance des cabinets et l’apport des experts-comptables à l’économie nationale. C’était d’ailleurs un des grands axes de sa campagne avec une liste intitulée : « Croissance ensemble ». Autre dossier crucial pour le président : la réforme territoriale de son ordre. En décembre 2015, les pouvoirs publics avaient chargé l’ordre de s’aligner sur la nouvelle carte des régions administratives, en fixant la date limite du 31 décembre 2018. L’ordre des experts-comptables, organisé autour d’implantations régionales, va ainsi passer de 22 à 13 conseils régionaux (le nouveau nombre de régions définies par la réforme territoriale). Pour préserver le maillage territorial ordinal et la proximité entre élus et experts-comptables, le nouveau président envisage donc la création de comités territoriaux. À la tête d’une institution qui rassemble 20 000 professionnels, 130 000 collaborateurs et 6 000 experts-comptables stagiaires, Charles-René Tandé aura aussi vocation à définir les normes et à publier des recommandations pour l’exercice des fonctions d’expert-comptable.

Les Petites Affiches – Pouvez-vous nous présenter les grands axes de votre mandat ?

Charles-René Tandé – Tout d’abord, il faut noter que ce mandat à la présidence de l’ordre sera assez court. Compte tenu de la réforme territoriale, nous l’avons fixé de façon exceptionnelle à deux ans (au lieu des quatre habituels). Cette durée limitée nécessite d’agir rapidement et d’être efficace afin de faire évoluer un certain nombre de textes. L’une des priorités de ce mandat est de continuer le virage qu’a entamé la profession vers le conseil. Un point auquel mon prédécesseur, Philippe Arraou, était aussi particulièrement attaché. Depuis toujours, l’expert-comptable est en effet affiché comme un généraliste, mais pour pouvoir être reconnu par le marché comme conseil d’entreprise, il est temps d’aller vers la reconnaissance des spécialités. Dans les cabinets, on observe depuis plusieurs années une tendance à être absorbé par les tâches « déclaratives », que cela soit en matière sociale ou fiscale, et il est absolument nécessaire de se recentrer sur le Conseil. C’est là le premier axe de la mandature : accompagner l’évolution de la profession et reconnaître les spécialités. Il faudra ensuite réaliser un travail d’influence important. Au cours des dernières années, nous avons pu regretter un certain nombre de positions politiques que l’on peut qualifier de défavorables à notre profession. Il est grand temps d’être à nouveau reconnus : nous sommes au service de l’économie et constituons une pièce essentielle dans l’assurance de la base fiscale. C’est même sur ce principe que repose notre statut de profession réglementée et j’aimerais qu’à ce titre notre pouvoir politique ait pour nous une meilleure considération. Enfin, le troisième axe de la mandature concerne la réforme territoriale. Bien sûr, nous allons déjà attendre les élections présidentielles et législatives afin de s’assurer que celle-ci reste bien d’actualité. Le cas échéant, nous organiserons notre ordre en gardant à l’esprit cette proximité nécessaire entre élus et confrères.

LPA – Quels sont les enjeux de cette réforme et comment comptez-vous procéder ?

C.-R. T – Cette réforme pose la question de la proximité. C’est d’ailleurs pour cela que nous avions souhaité du temps pour envisager la mise en œuvre de cette réforme. La création de comités territoriaux me paraît nécessaire, on ne peut gérer l’ordre sur des grandes régions en maintenant une qualité de service pour nos confrères si l’on supprime des implantations. Lorsque vous éloignez les élus qui gèrent ces fonctions des experts-comptables, cela signifie que vous ne connaissez plus les personnes et ce travail est bien moins efficace. Il faut garder cette proximité et ce lien. D’où l’idée de créer des comités territoriaux là où on trouve les sièges des conseils régionaux. Voire, pourquoi pas, ajouter un ou deux comités territoriaux complémentaires. C’est aux régions de définir en fonction des évolutions économiques des territoires là où une telle création serait judicieuse. Cela est nécessaire, car avec des régions de 500 ou 600 kilomètres de longueur, même l’organisation de réunions peut devenir problématique ! Ne pas oublier que les élus sont des bénévoles… si l’on ne résout pas ce genre de difficultés, il va devenir de plus en plus difficile de trouver des vocations. Quant à la solution de remplacer les élus par des permanents, ce n’en est pas une : cela coûtera plus cher à l’institution, ce n’est pas l’objectif de la réforme territoriale.

LPA – Concernant ces futurs comités territoriaux, quel périmètre envisagez-vous ?

C.-R. T – Nous devons encore travailler sur ce périmètre, mais, dans mon esprit, les comités territoriaux seront en charge des fonctions régaliennes de l’ordre, c’est-à-dire : le tableau, le stage, la formation et le contrôle qualité. Les comités territoriaux entretiendront toutes les opérations de communication et de présence de l’ordre auprès des chambres de commerce, URSSAF, etc. C’est un rôle d’information et de relais en sachant que le comité territorial vient en complément du conseil régional qui sera l’organe décisionnaire en dernier ressort. Mais en ce qui concerne l’analyse, l’étude des dossiers, elle, se ferait, a priori, au niveau du comité territorial.

LPA – Pouvez-vous nous expliquer le concept de « croissance ensemble » que vous défendez ?

C.-R. T – Nous sommes partis d’un constat : la France est en panne de croissance et les entreprises ne progressent pas suffisamment. Il se trouve que l’expert-comptable est le conseil le plus répandu dans les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME). Et c’est justement à lui que revient le souci permanent de faire que son client gagne des points de croissance supplémentaires. L’organisation de l’entreprise, la transition numérique, la stratégie à développer : tout cela relève de la compétence de l’expert-comptable. Je suis convaincu qu’à partir du moment où l’expert-comptable, par le biais de ses spécialités, met au service de l’entreprise, ses compétences, nous retrouvons un peu plus de croissance dans notre économie. Les TPE et PME ont également besoin de conseils pour accompagner leur mutation. Et qui dit économie en croissance, dit profession comptable et cabinets en croissance. C’est là un cercle vertueux que je souhaite mettre en place.

LPA – Quel impact souhaitez-vous avoir sur les décideurs publics ?

C.-R. T – L’objectif est d’améliorer notre influence et d’être présents en amont lors de l’élaboration de nouveaux textes. Il n’y a pas si longtemps, les experts-comptables étaient consultés sur la mise en place des dispositifs, il serait sain de remettre au goût du jour ces pratiques. Nous avons un regard concret et pragmatique et nous pouvons permettre d’éviter l’installation d’usines à gaz législatives. C’est un travail de mise en place de relations avec les pouvoirs publics, pour être en capacité d’apporter notre éclairage au moment de l’élaboration même de la loi. Mais il n’y a pas que la France, il y a l’Europe également. Notre action doit donc se faire au niveau européen puisque la commission s’intéresse de près aux professions réglementées.

LPA – La formation des experts-comptables est-elle une priorité pour vous ?

C.-R. T – Oui, la formation est un enjeu majeur, et elle est aussi importante sur le plan de la formation des futurs jeunes experts-comptables que sur celui de la formation continue avec des professionnels déjà établis. Nous avons déjà des formations spécialisées dans le conseil patrimonial ou l’évaluation par exemple, de nombreux experts ont suivi des formations qualifiantes dans ces domaines. Il faut étendre l’esprit de ces formations à d’autres spécialités, l’idée est de conclure des partenariats avec des universités, des écoles de management pour élargir le nombre de formations adaptées aux experts-comptables. Mais rien n’empêche non plus, de faire évoluer notre diplôme et d’envisager des spécialisations dans des domaines qui sont aujourd’hui devenus incontournables tels que les systèmes d’informations. Dans tous les cas, la formation continue et l’intégration de mesures dans les formations initiales ne sont pas incompatibles. Le problème est que la modification du contenu du diplôme en passant par l’éducation nationale demande un certain délai. Comme nous ne pouvons attendre des années sur ce sujet, nous allons entamer le processus via la formation continue.

LPA – Comment la profession aborde-t-elle les évolutions causées par le numérique ?

C.-R. T – L’automatisation, qui prend une part grandissante dans notre métier, va inévitablement causer une perte de valeur en ce qui concerne l’écriture comptable. La réponse logique à cette problématique est d’apporter de la valeur ajoutée au conseil. Ce mouvement est en marche depuis un certain temps : de nombreuses écritures arrivent automatiquement. Nous avons la récupération de données bancaires depuis un certain temps, c’est maintenant au tour des factures qui vont être soit entièrement dématérialisées, soit scannées avec un meilleur taux de reconnaissance. À terme, le travail de l’expert-comptable sera dans l’exploitation des données plus que dans la saisie comptable. La saisie de la donnée comptable n’est qu’une étape dans un processus plus large, c’est pour cela que je parle de système d’information : nous devons nous occuper de l’information dès le départ lors de la prise de commandes ou des devis, vient ensuite l’écriture comptable et enfin le recouvrement auprès du client. Au final ce sont ces données de gestion qui vont permettre à l’entreprise d’améliorer ses performances. Pour apporter le meilleur service à l’entreprise, l’expert-comptable doit être présent à chaque étape.

LPA – Passer à une activité quasi exclusive de conseil signifie aussi se mettre en concurrence avec de nouveaux acteurs…

C.-R. T – Cela reste en effet un marché non réglementé, nous avons donc des concurrents potentiels. Mais si vous observez le marché des TPE et PME, vous réaliserez qu’il n’y a pas beaucoup d’intervenants spécialisés. Souvent l’expert-comptable est l’interlocuteur unique de l’entreprise et s’il ne se met pas sur ces marchés, l’entreprise restera seule et ne sera pas toujours en capacité de réaliser les adaptations nécessaires à son développement. Le cas des grandes entreprises reste bien sûr à part, car celles-ci savent comment trouver les prestataires. Au final l’idée pour la profession est moins d’aller conquérir de nouvelles parts de marché au détriment d’autres acteurs que d’occuper un terrain déjà existant, mais sur lequel il n’y a pas d’intervenant aujourd’hui. Peut-être que nous rencontrerons de la concurrence, mais cela sera au marché de décider s’il préfère un expert-comptable qui possède l’assurance de la fiabilité, de la rigueur et de la déontologie, ou un autre professionnel.

LPA – Les experts-comptables abordent-ils toutes ces mutations sereinement ?

C.-R. T – Je ne pense pas que le terme serein soit complètement approprié… Nous avons en ce moment des sujets majeurs de préoccupations, notamment celui du système des déclarations sociales nominatives (DSN), qui est en pleine transformation, en prévision de la mise en place du prélèvement à la source. Le pouvoir politique explique que tout marche très bien et que 90 % des DSN sont envoyés. Mais si vous interrogez les patrons de cabinets d’expertise comptable, vous entendrez un tout autre son de cloche. Nos équipes en social sont écœurées par ce qu’il se passe et sont même, pour certaines, proches du burn-out. Tout le monde n’était pas prêt, les organismes de prévoyance, par exemple, si bien que l’on va demander à nos équipes de gestionnaires de paie de faire un double travail en gérant, à la fois, le dématérialisé avec les DSN, et les déclarations papier. De notre côté, nous étions prêts, nos équipes subissent donc l’impréparation des autres organismes.

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