Sale temps pour les avocats

Publié le 21/09/2021

Accumulation de réformes, institution de la prise de date, refus de sanctionner dans l’affaire Sollacaro, projet de la Chancellerie d’encadrer davantage les conclusions, autant d’événements qui alimentent jour après jour une colère grandissante chez les avocats. Me Georges Teboul dénonce le « traitement de défaveur « réservé à la profession depuis que l’un des siens a été nommé garde des sceaux. Ce n’est à ses yeux que par la modération et le dialogue que l’on résoudra les maux de la justice qui sont aussi ceux de l’époque. 

Sale temps pour les avocats
Photo : ©AdobeStock/Ivan Kurmyshov

Le Barreau de Paris a lancé une consultation auprès des avocats pour préparer un colloque sous le titre « Les assises des relations avocats, magistrats, greffiers et personnels de justice : un dialogue renoué » qui aura lieu dans deux mois environ.

En même temps, la profession d’avocat apprenait avec une certaine consternation que notre Premier Ministre venait de prendre la décision de n’engager aucune poursuite contre le magistrat qui avait fait expulser manu militari de la salle d’audience notre confrère Sollacaro, ce qui n’était malheureusement pas une première. Nous venons de prendre connaissance du rapport qui reporte la responsabilité sur les grèves des avocats et ne prend pas en compte l’usage du recours au Bâtonnier, même si une réforme est proposée en ce sens. Faut-il croire qu’un avocat indocile doit être considéré comme un « assistant » ? Que deviennent les immunités de la parole de l’avocat ?

La plaidoirie inopportune, voire intempestive…

Nombreux sont les exemples d’une considération moindre à l’égard des avocats et la liste en serait sans doute fastidieuse. Donnons à titre d’exemple le texte émanant de la Direction des affaires civiles et du sceau daté du 27 août 2021 qui impose de nombreuses obligations supplémentaires aux avocats pour « structurer » leurs écritures,

*en indiquant que le tribunal ne statuera que sur des prétentions énoncées au dispositif,

*en imposant une synthèse des moyens avant le dispositif au sein des conclusions,

*en précisant qu’elle ne peut excéder 10 % des écritures dans la limite de 1.000 mots,

*et que les moyens doivent être récapitulés dans l’ordre des prétentions et sous la forme d’une liste numérotée comprenant mention des pièces afférentes …

Il serait en outre prévu que le tribunal ne puisse être valablement saisi que des moyens développés dans la discussion et récapitulés dans la synthèse, en créant un dossier unique de pièces … Ces nouvelles propositions font suite à de très nombreuses réformes du code de procédure civile qui ne se sont pas spécialement signalées par leur clarté, ce qui est une source de contentieux et d’insécurité juridique.

Nous renverrons ici nos lecteurs aux nombreux articles qui ont été rédigés sur la matière et qui montrent que rien n’est moins clair que ces réformes qui s’empilent depuis plusieurs années à présent et qui ont souvent pour objectif avoué ou non, de restreindre le droit à la parole de l’avocat dont la plaidoirie est jugée, le plus souvent, inopportune, voire intempestive.

Encore tout récemment, la volonté de réduire le secret professionnel de l’avocat dans le projet de texte sur « la confiance » a provoqué une réaction vive du Conseil national des Barreaux le 17 septembre.

Tout cela est bien connu et permet légitimement de se poser plusieurs questions.

Un traitement de défaveur

Manifestement, le fait que le Garde des sceaux soit un avocat vaut à la profession  un traitement de défaveur, comme s’il s’agissait d’une compensation à cette nomination, certes prestigieuse.

Par hasard ou par volonté, le ministre de la justice, pour des motivations de conflits d’intérêts a été placé dans une situation où il est impuissant sur de nombreux sujets. L’affaire Sollacaro dans laquelle notre garde des sceaux aurait pu statuer a été transférée au Premier Ministre … Sa profession d’avocat passée aboutit à le dessaisir, en gros, de ce qui les concerne, et il est facile de démontrer qu’il connaissait tel ou tel … Ses nombreux prédécesseurs avocats n’ont pas connu ce genre de traitement de défaveur.

On a assez peu parlé de la réforme du disciplinaire qui a notamment pour objet de faire présider la formation disciplinaire par un juge professionnel, qui encadrera ainsi le pouvoir de sanctionner les avocats. L’affaire Nioré laisse imaginer ce qui pourrait se passer dans un contexte où la défense du secret peut devenir conflictuelle.

L’administration de notre justice se défie de l’avocat (1). Nous l’avons notamment constaté à l’occasion de la construction du tribunal judiciaire de Paris, les avocats n’ayant qu’un accès très limité au bâtiment, les juges cultivant l’entre-soi et l’impossibilité d’accéder auprès d’eux, au motif que le contact avec les avocats les dérangerait dans leur travail, il est vrai bien alourdi.

Certes, il est désagréable d’être dérangé pendant son travail par des personnes qui passent pour poser des questions sur des sujets qui ne sont pas nécessairement en lien avec le sujet d’étude du moment. Certains peuvent y voir cependant un signe des temps car, d’une manière générale, le dialogue a tendance à se restreindre et il est de moins bonne qualité.

D’une manière plus générale, les avocats ne sont plus respectés comme ils le devraient, certains ayant fait l’objet d’écoutes alors qu’ils discutaient avec leur bâtonnier, ce qui aurait pu paraître impensable jadis.

Il ne s’agit évidemment pas de jeter un anathème sur les magistrats qui n’ont pas de volonté collective de nuire aux avocats, ce qui serait d’ailleurs stupide, une collaboration étant indispensable entre les professions judiciaires ainsi qu’une bonne entente, ce que le plus grand nombre souhaite.

Il serait encore inexact d’affirmer que par principe, notre administration est hostile aux avocats, de nombreux exemples démontrant le contraire. Pour autant, il semble que le climat de compréhension ait tendance à s’estomper et il faut le signaler avec vigilance pour que chacun puisse faire une introspection et comprendre que le dialogue est réellement indispensable.

Préservons une justice qui a fait ses preuves

Ce n’est pas en compliquant à l’infini la procédure, en laissant planer l’idée que l’avocat peut être incompétent ou trop verbeux, ce qui arrive parfois mais ne représente par la règle, ce n’est pas en restreignant les libertés sous quelque prétexte que ce soit, ce n’est pas en évitant les lieux et les occasions de dialogue que nous pourrons trouver des solutions au véritable problème qui est celui des mutations induites par notre époque, l’évolution des mentalités en lien avec l’influence des nouvelles technologies dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences, dans un contexte budgétaire tendu qui surcharge les juges de travail au point de créer parfois des situations de souffrance intolérables (que le gouvernement semble plutôt enclin à imputer à des grèves d’avocats malgré les effectifs insuffisants et les surcharges de travail).

Face à une justice prédictive qui s’annonce et qui aura peut-être tendance à balayer les avocats, les juges et notre système judiciaire actuel, chacun doit comprendre qu’il lui faut contribuer au contraire à préserver une justice qui a fait ses preuves et qui doit continuer à donner toute garantie d’indépendance, de dialogue de qualité et de bonne écoute des justiciables.

C’est par la modération et surtout par ce dialogue constructif que nous pourrons sans doute rechercher une solution aux maux qui dominent notre époque. C’est sur ce message d’espoir qu’il paraît préférable d’en terminer.

C’est par la compréhension mutuelle que des solutions seront trouvées au-delà des invectives, des solutions de force, de mépris ou d’exclusion.

Notre justice vaut mieux que cela.

 

(1) Lire notamment à ce sujet « La justice en voie de déshumanisation », par Olivia Dufour. Lextenso 2021

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