Marie-Anne Frison-Roche : « L’interdiction de la GPA posée par le Code civil n’existe plus »

Publié le 26/11/2024

Un simple arrêt de section rendu par la première civile de la Cour de cassation le 14 novembre 2024 peut-il donner plein effet à une « pure convention de GPA » ? Telle est la question que l’on peut se poser à la suite de cette décision. Éléments de réponse avec le professeur Marie-Anne Frison-Roche. 

Marie-Anne Frison-Roche : "L'interdiction de la GPA posée par le Code civil n'existe plus"
Photo : ©AdobeStock/Alex Smith

 

Actu-Juridique : Un arrêt de section de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 14 novembre dernier en matière de gestation pour autrui (GPA) a suscité l’émotion. Est-il exact de dire qu’en pratique, suite à cette décision, la prohibition en France de la GPA n’existe plus ?

Marie-Anne Frison-Roche : Oui. C’est bien cela. Avant cette décision, l’interdiction posée par le Code civil de la GPA était effective, avec, comme pour toute norme juridique, une part d’inapplication, de violation et de pratiques contraires. Par cet arrêt que l’on pourrait dire « sensationnel », l’interdiction n’existe plus.

Désormais, par la solution retenue par cet arrêt, le droit français va accueillir des filiations établies par contrat du seul fait qu’un juge étranger l’aura admis.

Oui, l’interdiction de la GPA posée par l’article 16-7 au nom de la dignité de la personne et du respect des êtres humains n’existe plus.

AJ : Quels étaient les faits de l’espèce et en quoi diffèrent-ils des autres affaires ?

 MAFR : La GPA est une pratique. Pour produire une filiation reconnue dans le droit français, elle supposait toujours un lien de filiation biologique à l’égard de l’un des adultes qui désire l’enfant. En pratique, l’enfant est porté par une femme, la mère-porteuse (ou « gestatrice »). A la naissance ou avant celle-ci, celui ou celle qui a un lien biologique reconnaît l’enfant. A la naissance, la mère-porteuse accouche sous X et abandonne l’enfant ou abandonne tous ses « droits parentaux » avant même la naissance de celui-ci. Le second lien de filiation est donc disponible. Le conjoint ou la conjointe de celui ou celle qui est déjà parent de l’enfant peut utiliser un cas spécial d’adoption : il adopte l’enfant de son conjoint.

Voilà comment les entreprises intermédiaires organisent cette pratique, car le droit français refuse qu’il puisse y avoir une filiation établie par pur contrat, sans lien biologique, ou une adoption dans laquelle (hors le cas précité qui suppose un lien biologique établi) des adultes pourraient choisir l’enfant.

Or, dans le cas qui a donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2024, la pratique a consisté à avoir recours à une mère-porteuse qui a reçu un ovocyte d’une donneuse et un gamète d’un donneur. L’adulte ayant un « projet parental » n’avait aucun lien biologique avec l’enfant. En l’état du droit français, il n’était donc pas possible de donner effet à cette GPA réalisée à l’étranger, même si, dans le pays où elle a été réalisée, elle était considérée comme licite.

Ceux qui organisent les contacts entre les adultes, les divers donneurs, et les femmes qui portent les enfants pour autrui en abandonnant tous leurs droits, ne pouvaient donc pas utiliser le droit français pour donner effet à cette convention de mère-porteuse que l’on pourrait dire « pure », puisque la pratique ne repose ici plus que sur la « volonté » des parties : les donneurs, la porteuse, ceux qui veulent un enfant, cause et objet de la convention.

Cette « pure convention de GPA » réalisée à l’étranger ne pouvait pas être reconnue en droit français, faute d’un lien biologique justifiant, éventuellement, ensuite une adoption par le conjoint.

L’arrêt est « extraordinaire » car il a renversé cela : il a admis en droit français l’efficacité de ce que l’on peut appeler une « pure convention de GPA », uniquement basée sur la volonté des uns et le consentement des autres.

AJ : En quoi la technique juridique utilisée pour faire reconnaître cette GPA en France était-elle différente de ce que l’on connait usuellement ?

MAFR : Elle était différente en raison de cette exigence du droit français d’un lien de filiation biologique, impliquant ensuite une procédure spéciale d’adoption par le conjoint. L’idée a été alors de tenter de passer simplement par le droit commun du droit international privé. C’est parfois les idées les plus audacieuses qui peuvent fonctionner et je pense que personne ne pouvait imaginer que cela pourrait fonctionner, tant la fraude était évidente !

Demande fût faite au juge canadien de reconnaître le lien de filiation. Ce pays avait été sans doute choisi pour pratiquer la GPA parce qu’un tel jugement y est possible, comme il l’est en Californie et dans d’autres pays. Il y fût obtenu. Puis, revenu en France et muni d’un tel jugement étranger, demande fût faite aux juges du fond de donner l’exequatur au jugement étranger. Il n’était même plus besoin d’aller faire transcrire sur l’état civil une filiation biologique. L’exequatur fût accordée. Le ministère public forma un pourvoi. En effet, il s’agit d’une question de droit civil mais c’est l’ordre public international qui est en jeu et le Parquet doit le défendre, affirmant que le recours à l’exequatur est en lui-même une atteinte à l’ordre public international.

AJ : Quelle est la portée de cet arrêt ?

 MAFR : Elle est considérable. Une telle portée est très étonnante pour un arrêt rendu par une section de la Première chambre civile. Tant qu’à changer le droit, il conviendrait que cela résulte d’un arrêt rendu par l’Assemblée plénière, les juges mesurant que, si la Cour de cassation affirmant toute entière cette solution, l’article 16-7 du Code civil n’aurait donc plus aucun effet.

La portée explicite tout d’abord.

L’arrêt pose que « l’ordre public international français ne saurait faire obstacle à l’exequatur d’une décision établissant la filiation d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’un processus de gestation pour autrui à l’égard d’un parent qui n’aurait pas de lien biologique avec l’enfant ».  Si l’Assemblée plénière ne venait pas contredire cette affirmation, la seule condition requise pour obtenir un lien de filiation dont l’on pourrait se prévaloir dans l’ordre juridique français serait un jugement avalisant une convention de mère-porteuse. Il suffirait donc, si on a un « projet parental » de trouver le pays dans lequel existent des juridictions qui établissent ce lien de filiation à partir de ce type de convention : ce sont les mêmes dans lesquels la pratique massive des mères-porteuses est admise. Soit par idéologie, en ce que tout ce qui est désirable peut être obtenu. Soit par nécessité, en raison de la pauvreté de la population, les femmes offrant leur capacité procréatrice aux demandeurs étrangers.

La portée implicite ensuite.

Elle porte un double bouleversement. C’est la première fois qu’une décision pose qu’une filiation basée sur la seule volonté (de ceux qui ont un projet parental) et le seul consentement (de ceux qui donnent le « matériel génétique » et de celle qui porte l’enfant désiré) suffit à faire naître une filiation.

Si l’on reste dans le droit des contrats, l’on sait que le « consentement » de ceux qui servent est une fable et que les véritables maîtres de ce marché mondial des femmes et des enfants sont les intermédiaires qui, installés dans le numérique, offrent sans se cacher les enfants à naître aux personnes qui souffrent de n’avoir pas d’enfants, les prix augmentant si une filiation solide peut accompagner la livraison. Il est étonnant qu’à une époque où l’on se soucie à juste titre des violences faites aux femmes et où l’on comprend que le « consentement » n’est le plus souvent qu’une soumission à beaucoup plus fort que soi – ici les agences procréatrices –, l’on ne croit plus au « consentement » donné par les femmes dans les cas qui nous sont proches et l’on croit au « consentement » des porteuses.

De toutes les façons, placer l’analyse sur le terrain des consentements, des volontés et du contrat, c’est opérer un second bouleversement : celui du droit de la filiation. En effet, la filiation ne doit pas pouvoir naître d’un contrat. La filiation est une institution. L’on ne doit pas laisser des personnes créer une filiation par contrat, en choisissant l’enfant sur plan. Cela est moralement scandaleux et c’est le « marché total » qui met la main sur une richesse jusqu’ici protégée : la capacité d’engendrement des femmes et la non-cessibilité des personnes.

AJ : Qu’en est-il du rapport avec l’adoption ?

MAFR : Précisément, l’arrêt pose que la déclaration par le jugement canadien comme quoi il vaut adoption plénière, qui avait aussi passé la rampe de l’exequatur, est invalidé, ce qui entraîne la cassation partielle. Mais le principe majeur établi par cet arrêt de section selon lequel une exequatur peut faire entrer dans le droit français une filiation entre des personnes qui n’ont aucun rapport biologique entre elles parce que c’est une hypothèse qui existe déjà est un sophisme.

En effet, l’adoption est une filiation établie par l’État qui porte sur des enfants nés et en situation de détresse pour les confier à des adultes, l’État instituant ceux-ci parents de l’enfant après un jugement qui contrôle leurs aptitudes et adéquations.

La GPA n’a rien à voir avec cela, elle est même l’opposé de l’adoption, puisqu’elle a pour objet de faire naître un enfant qui n’est pas encore là pour établir selon les termes d’un contrat un lien de filiation que l’on veut institutionnaliser par la suite : c’est le système juridique qui est aussi cédé dans le contrat. Par cet arrêt, si sa solution devait être maintenue, un pas décisif aurait été obtenu par les agences de GPA.

AJ : Le rapporteur n’a-t-il pas évoqué une possibilité de déguiser une adoption illicite à l’étranger sous une GPA ?

 MAFR. Oui ! Comme c’est étonnant. Lors de la journée sur le Droit international privé, qui s’est tenue à la Cour de cassation le 18 novembre 2024, le rapporteur a exprimé la crainte que l’on déguise en fraude des adoptions en GPA. Cela signifierait que la GPA est devenue si facile, un mécanisme juridique si facile à monter, avec un contrat, des consentements par des signatures apposées, un jugement validant la convention et une exequatur accordée, que le risque serait donc que plutôt que subir encore les contraintes de l’adoption internationale, la « fraude » consisterait aujourd’hui à adopter un enfant, à faire une fausse convention de GPA, à faire signer une fausse mère-porteuse, à obtenir le jugement et l’exequatur.

En effet, la filiation basée sur le seul contrat est devenue le 14 novembre 2024 le moyen le plus simple et le plus efficace d’avoir des enfants.

Le droit et le souci de protéger les femmes et les enfants requièrent absolument que la solution et la motivation de cet arrêt soient reconsidérées.

 

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