Parcours de soins : priorité aux territoires à l’heure des réformes structurelles

Publié le 14/01/2020

La loi du 24 juillet 2019 porte l’ambition d’une refonte du système de soins pour faire face aux défis actuels auxquels il est confronté : résorber les déserts médicaux, coordonner les parcours de soins complexes, intégrer des outils numériques. La restructuration de l’offre de soins, globale et territoriale, doit ainsi permettre de tendre vers des soins de qualité.

Les réformes structurelles sont longues et laborieuses. La complexité du système de santé français renforce immanquablement ce constat. S’ajoutent d’autres facteurs tels que les pathologies chroniques, le vieillissement de la population, l’inégalité d’accès aux soins sur le territoire. Face à la situation, le système de santé est sous pression. Aussi, le texte adopté cet été promet-il d’apporter des réponses. À cet égard, l’intitulé de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé1, particulièrement évocateur, exprime dès l’abord les objectifs ambitieux du texte : organiser et transformer le système de santé. Tant d’enjeux résumés sous deux mots seulement ! Car les craintes que suscite le système de santé sont pour le moins manifestes. Sans doute la plus ancienne est-elle, d’abord, d’ordre économique car les dépenses de santé sont en constante augmentation. Ensuite, ces inquiétudes sont encore d’ordre politique puisque la lutte contre les déserts médicaux, sujet brûlant s’il en est, laisse augurer le risque d’une « santé à deux vitesses ». Enfin, une dernière considération, d’ordre démographique cette fois, révèle des conséquences sanitaires d’importance. Il est fait allusion notamment à l’allongement de l’espérance de vie, qui, combinée aux progrès de la médecine moderne, accroît mécaniquement les pathologies du grand âge. Ces craintes sont bien réelles et ont conduit, depuis 10 ans, les pouvoirs publics à s’emparer du sujet. Le texte dit OTTS – organisation et transformation du système de santé – s’inscrit dès lors comme une étape du long processus législatif entamé dès 2009 et poursuivi jusqu’en 2016. En tout état de cause, la tendance reste aujourd’hui au dépassement de « l’hospitalocentrisme » chère au professeur Debré2 si bien que, la pensée qui gouverne depuis quelques années tient en une vision globale du système de santé3. Cela prend notamment l’apparence d’un cadre plus régional et d’une intégration des acteurs du secteur médico-social. C’est ainsi que sont par exemple nés les parcours de santé sur lesquels il sera bon de faire quelques digressions. Pour s’en tenir à la présente loi et remonter le fil de son parcours, si l’on ose dire, elle apparaît comme l’aboutissement de la stratégie Ma santé 2022 présentée le 18 septembre 2018 par le président Macron. Ce plan national constitue ainsi une réponse au constat d’un système de santé peu pertinent et devenu au fil des années peu adapté. Pourtant, ainsi que l’on a pu le préciser, le législateur s’était déjà attelé à maintes reprises à cette tâche. En effet, il est fait allusion à la loi du 4 mars 20024 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, à la loi du 30 décembre 20025 relative à la responsabilité civile médicale, à la loi du 9 août 20046, relative à la politique de santé publique, à celle du 21 juillet 20097, dite HPST, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires et enfin à la loi du 26 janvier 20168, de modernisation de notre système de santé.

Cependant, une refonte d’ampleur du système de santé est aujourd’hui inéluctable pour qui souhaiterait développer une organisation des soins coopérative, décloisonnée et coordonnée, ou pour qui prétendrait davantage replacer le patient au cœur du système et lutter contre les déserts médicaux. À ce titre, les propositions issues du plan Ma santé 2022 ont par la suite été intégrées dans un texte, présenté en conseil des ministres en février 2019, voté par l’Assemblée nationale le 10 juillet et par le Sénat le 16 juillet. La loi du 24 juillet 2009, qui se compose de cinq titres, est ainsi le fruit d’un processus législatif diligent et sans ambages. Elle s’articule autour de trois axes majeurs qui concernent d’abord les professionnels, le maillage territorial des soins ensuite et le numérique enfin. D’application immédiate, le texte nécessite toutefois un certain nombre de décrets d’application et partant, un peu de patience encore de la part des professionnels. L’objet de cette étude est d’exposer les principaux axes de la loi du 24 juillet 2019 en insistant tout particulièrement sur les parcours de soins. Les territoires apparaissent en effet comme le socle commun de cette refonte qu’il s’agisse de décloisonner les parcours de formation (I), de structurer l’offre de soins dans les territoires (II) ou encore de développer l’ambition numérique (III).

I – Décloisonner les parcours de formation

La suppression du numerus clausus. La transformation annoncée ne peut s’opérer sans tenir compte des soignants, de leur formation. Ces derniers sont confrontés à des problématiques singulières liées au contexte dans lequel ils exercent, des solutions concrètes doivent maintenant y être apportées. Mesure tant médiatique qu’emblématique, la suppression du numerus clausus apparaît dès lors, dans l’esprit du législateur, comme le remède à de nombreux maux. Crée en 1971, il avait pour objectif une sélection extrêmement rigoureuse pour l’accès en deuxième année. Toutefois, au fil du temps, force est de constater que la source des médecins s’est tarie, si bien que les besoins du territoire ne sont désormais plus comblés, ce qui cause des tensions. En témoignent, notamment dans les petites communes, les difficultés de trouver un successeur à un médecin parti à la retraite. Pour pallier cette pénurie et répondre à ce problème structurel, il convient d’attirer les candidats. Un des leviers d’action évident tient à la réforme de la formation des médecins. Concrètement, la suppression du numerus clausus ne produira ses effets qu’à l’issue d’une période de 8 ans, temps nécessaire à la formation. C’est ainsi que les effectifs, la capacité d’accueil, seront fixés par les universités après avis conforme des ARS au regard des capacités du territoire. Si la première année commune aux étudiants en santé (PACES) sera supprimée dès la rentrée 2020, la répartition des étudiants se fera à l’aune des besoins territoriaux9 tout en maintenant un haut niveau de compétences.

La raréfaction des déserts médicaux. Par ailleurs, l’État devra établir des « objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former »10. Du reste, 6 mois de stage seront réalisés par les futurs médecins généralistes dans les zones désertifiées. Toujours dans la perspective de lutter contre les déserts médicaux, une autre mesure consiste à étendre le statut de « médecin adjoint » actuellement limité aux zones connaissant un afflux saisonnier, à des territoires en manque de praticiens. Au-delà de la question, cruciale, de l’installation des professionnels, il s’agit surtout de faire en sorte que les territoires reprennent la main et structurent l’offre de soins.

Parcours de soins : priorité aux territoires à l’heure des réformes structurelles
Ursule / AdobeStock

II – Structurer de l’offre de soins dans les territoires

L’offre de soins territoriale. Il n’est pas vain de rappeler que, dans la loi du 24 juillet 2019, l’approche de l’offre de soins est résolument territoriale. À cet égard, l’article 17 du texte reconnaît le rôle des collectivités territoriales en matière de politique de santé et fait de la « promotion de la santé » une compétence partagée entre l’État et les collectivités11. Dans la nouvelle physionomie, les hôpitaux de proximité12 font figure de premier niveau de gradation afin d’orienter les patients vers des établissements adaptés à leurs besoins. Il conviendra cependant d’attendre qu’une ordonnance vienne déterminer les modalités d’organisation de ces hôpitaux. Toutefois, l’édifice ne serait pas complet sans les dispositifs d’appui à la coordination appelés de leurs vœux par nombre de professionnels du secteur.

Les parcours de soins complexes. Le diagnostic territorial actuel doit donner lieu à un projet territorial de santé. Avec les « PTS », les projets territoriaux de santé, il s’agit pour les professionnels de santé de se regrouper afin de créer un « collectif de soins au service des patients et de mieux structurer l’offre de soins dans les territoires »13. En somme, décloisonner les secteurs publics, privés, ceux du médical et médico-social pour tendre vers davantage de coordination. En effet, depuis la loi du 26 janvier 201614, les dispositifs existants sur le territoire ont pour but d’éviter les ruptures de parcours. Ils œuvrent, par exemple, en faveur du maintien à domicile des personnes âgées et permettent d’éviter des hospitalisations superfétatoires. Dans le cadre du « virage ambulatoire », l’objectif est ainsi d’appuyer l’organisation des parcours pour soutenir les professionnels dans leur mission d’accompagnement de patients aux parcours de soins complexes grâce à des plates-formes territoriales d’appui (PTA) 15. Que la complexité de leur parcours tienne à leur état de santé ou à leur situation sociale, ces facteurs, cumulés ou non, nécessitent une coordination des acteurs des services de l’État, des médecins, des hôpitaux, des pharmaciens, des établissements sociaux et médico-sociaux ainsi que des acteurs de la perte d’autonomie. En effet, la multitude des acteurs du secteur engendre un manque de lisibilité de l’offre d’appui à la coordination et semble perdre de son efficacité originelle.

Pour parvenir à une meilleure articulation du dialogue et des actions entre ces différents acteurs et faire que les parcours de soins ne soient plus des parcours d’obstacles, la loi du 28 décembre 201516 a été d’un grand secours. En effet, des moyens de lutte contre la fragmentation liée à la diversité des acteurs de l’accompagnement dans le champ de l’autonomie17 ont vu le jour. Il est fait allusion aux MAIA18, qui constituent une méthode d’intégration des services existants sur un territoire et assurent la promotion d’un accompagnement global de la personne. À cet égard, les gestionnaires de cas ou « case manager » issus des MAIA, fédèrent les différents acteurs de l’accompagnement et restent des référents pour les personnes en perte d’autonomie dont le parcours de soins demeure complexe.

Les dispositifs d’appui à la coordination. Toutefois, il convient d’aller plus loin dans la coordination et tendre vers davantage d’intégration. Pour cette raison, l’article 23 de la loi du 24 juillet 2019 prévoit de remplacer les réseaux, les PTA et les MAIA, par des dispositifs d’appui à la coordination. L’idée qui gouverne la réforme est de simplifier encore l’existant, d’offrir une solution globale aux demandes d’appui pour apporter de meilleures réponses aux besoins des personnes concernées et de leurs aidants ; le tout sur fond de coordination de l’action territoriale des parcours de santé. Ainsi, les dispositifs d’appui à la coordination tels que prévus par l’article 23 de la loi du 24 juillet 2019 ont vocation à se substituer aux réseaux de santé19, aux PTA, aux MAIA20. La loi précitée ayant intégré ces dispositifs d’appui aux articles L.6327-2 et L. 6327-3 du Code de la santé publique (CSP), ces derniers devront être effectifs dans un délai maximal de 3 ans à compter de l’entrée en vigueur du texte, soit au 27 juillet 2022.

La confiance dans les acteurs du territoire. Or la coordination des parcours complexes ne peut être optimale qu’en tenant compte à la fois des spécificités territoriales mais encore des besoins de la population et des professionnels. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) prévues par la loi du 24 juillet 2019 ont ainsi pour objet d’offrir aux professionnels et à la population un cadre simplifié. À ce titre, la loi crée la notion « d’équipe de soins spécialisés »21. Il s’agit d’un « ensemble de professionnels de santé constitués autour de médecins spécialistes d’une ou de plusieurs spécialistes, hors médecine générale, choisissant d’assurer leurs activités de soins de façon coordonnée avec l’ensemble des acteurs d’un territoire, dont les équipes de soins primaires, sur la base d’un projet de santé qu’ils élaborent entre eux ». Cette équipe de soins spécialisés « contribue à la structuration des parcours de santé ». Les professionnels devront définir eux-mêmes les modalités d’organisation du dispositif d’appui à la coordination des parcours. Cela prendra la forme d’un diagnostic territorial partagé prévu par l’article L. 1434-10 du CSP aux termes duquel les professionnels devront définir les besoins (sanitaires, sociaux, médico-sociaux) de la population en tenant compte des caractéristiques géographiques et saisonnières et identifier les insuffisances. Ce diagnostic donnera lieu à des projets territoriaux de santé. Le projet de coordination sera ensuite transmis au directeur de l’ARS pour validation et sera réputé validé sauf opposition dans les 2 mois. À ce titre, il est permis de préciser qu’un projet ne respectant pas les objectifs fixés et mentionnés à l’article L. 1434-1 du CSP pourra se voir opposer un rejet.

Pour l’heure, la loi demeure assez générale dans l’attente des décrets d’application. Le report de l’entrée en vigueur de ces dispositifs d’appui à la coordination, prévue pour 2022, semble opportun puisqu’il reste nécessaire de tenir compte des avancées issues de la concertation Grand âge autonomie. Cette concertation ayant donné lieu au rapport Libault, lequel devrait servir de socle de référence en vue de l’adoption d’un grand texte annoncé par la ministre des Solidarités et de la Santé pour la fin de l’année. Ce document prévoit notamment la mise en œuvre d’un guichet unique et de « maison des aînés et des aidants ». Du reste, un délai de 3 ans est apparu également judicieux afin de permettre aux professionnels du secteur médical et médico-social de coordonner habilement leurs actions.

III – Développer l’ambition numérique

La santé en ligne. Les maladies chroniques combinées à la volonté des personnes d’être maintenues à leur domicile engendrent des problématiques d’organisation certaines. Le droit se saisit de ces questions et offre un cadre juridique prometteur autorisant, par là même, le système de santé français à prendre le « virage numérique ». Pour ce faire, il s’agira dans un premier temps de remplacer l’institut national des données de santé22 (INDS) par une plate-forme numérique des données de santé (Health data hub). C’est ainsi qu’au 1er janvier 2022, tout patient usager disposera d’un espace numérique santé23. Cet espace contiendra un double volet. D’une part, l’accès au dossier médical personnel qui sera, du reste, ouvert de manière automatique24 à toute personne née à partir du 1er juillet 2021. D’autre part, tout patient aura accès à ses données administratives mais encore à ses données dites « constantes de santé » qui peuvent, notamment, être collectées via les services destinés à la coordination des parcours de santé ou les objets connectés.

L’abolition des distances. Par ailleurs, les pratiques médicales à distance seront généralisées grâce au télésoin25 qui bénéficie d’une définition juridique. Cette pratique de soins à distance permet la mise en relation par vidéotransmission du patient avec les professionnels de santé tels que les pharmaciens, infirmiers et auxiliaires médicaux. Dès lors, couplé à la télémédecine réservée aux professions médicales, les télésoins renforcent la coordination des parcours de soins. La collaboration entre professionnels reste très certainement un des leviers de l’organisation et de la transformation du système de santé. S’il est évident que la technologie bouleverse considérablement l’organisation des soins, il est heureux que le droit s’en saisisse. Toutefois, pour parfaire l’édifice, il faudra encore patienter jusqu’à l’adoption de la loi bioéthique et de la loi Grand âge.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2019-774, 24 juill. 2019, relative à l’organisation et à la transformation du système de santé : JO n° 1072, 26 juill. 2019.
  • 2.
    Ord. n° 58-1373, 30 déc. 1958, relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, la réforme de l’enseignement médical et au développement de la recherche médicale.
  • 3.
    L’expression « système de santé » est d’ailleurs employée pour la première fois dans la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner.
  • 4.
    L. n° 2002-303, 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
  • 5.
    L. n° 2002-1577, 30 déc. 2002, relative à la responsabilité civile médicale.
  • 6.
    L. n° 2004-806, 9 août 2004, relative à la politique de santé publique.
  • 7.
    L. n° 2009-879, 21 juill. 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite HPST.
  • 8.
    L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, de modernisation de notre système de santé.
  • 9.
    L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, de modernisation de notre système de santé.
  • 10.
    C. éduc., art. 631-1.
  • 11.
    CGCT, art. L. 1111-2.
  • 12.
    CSP, art. L. 6111-3-1.
  • 13.
    L. n° 2019-774, 24 juill. 2019, relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, titre II : JO n° 1072, 26 juill. 2019.
  • 14.
    L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, de modernisation de notre système de santé.
  • 15.
    CSP, art. L. 6327-1 ; CSP, art. L. 6327-2 et CSP, art. L. 6327-3.
  • 16.
    L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
  • 17.
    Raoul-Cormeil G., « Accompagnement et protection des intérêts patrimoniaux », Dr. famille 2017, dossier 23.
  • 18.
    Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie, définition codifiée à l’article L. 113-3 du Code de l’action sociale et des familles : « Les institutions et les professionnels de santé intervenant dans le secteur social, médico-social et sanitaire, sur un même territoire, auprès des personnes âgées en perte d’autonomie coordonnent leurs activités en suivant la méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie ».
  • 19.
    CSP, art. L. 6321-1 et CSP, art. L. 6321-2.
  • 20.
    Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie, définition codifiée à l’article L. 113-3 du Code de l’action sociale et des familles : « Les institutions et les professionnels de santé intervenant dans le secteur social, médico-social et sanitaire, sur un même territoire, auprès des personnes âgées en perte d’autonomie coordonnent leurs activités en suivant la méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie ».
  • 21.
    CSP, art. L. 1411-11-1.
  • 22.
    CSP, art. L. 1462-1.
  • 23.
    CSP, art. L. 1110-4-1.
  • 24.
    CSP, art. L. 1111-13.
  • 25.
    CSP, art. L. 6316-2.
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