Résiliation unilatérale d’une convention d’exploitation ou d’exercice entre un professionnel de santé ou une société professionnelle et un établissement de santé : la faute grave se définit principalement par ses effets
Une faute grave, par son importance, rend impossible le maintien d’un contrat d’exploitation ou d’exercice conclu entre un professionnel de santé ou une société professionnelle et un établissement de santé pendant la durée même limitée du préavis. Elle ne peut, dès lors, être retenue que si la résiliation a été prononcée avec un effet immédiat.
Cass. 1re civ., 14 nov. 2018, nos 17-23135
Les engagements et les rapports respectifs entre des professionnels de santé ou des sociétés professionnelles et des établissements de santé sont définis et régis par des contrats d’exploitation ou d’exercice libéral1. Même s’ils doivent respecter les principes inhérents à l’exercice d’une activité médicale – notamment l’indépendance du professionnel de santé –, ces contrats sont soumis au droit commun des contrats. Une des parties peut ainsi mettre fin unilatéralement au contrat, sous réserve de respecter un préavis raisonnable et les clauses contractuelles qui ont pu être prévues en pareille hypothèse. Pour autant, un cocontractant peut toujours, en considération de la gravité du comportement de l’autre partie, mettre fin au contrat de façon unilatérale et à ses risques et périls2, sans avoir à justifier de l’accomplissement des formalités de résiliation contractuellement prévues3.
En fait, la société clinique de l’Alma a été autorisée le 17 décembre 2009 à installer un scanographe à usage médical. Elle a conclu le 21 décembre 2010 une convention pour l’exploitation de cet appareil avec un radiologue. Cette convention prévoyait notamment que chacune des parties pourrait y mettre fin en respectant un préavis de 6 mois, que la résiliation du contrat par la clinique entraînerait au bénéfice du praticien le paiement d’une indemnité correspondant à une année de chiffre d’affaires et que la clinique pourrait résilier le contrat, sans indemnité ni préavis, dans le cas où le praticien commettrait une faute grave. Le 24 août 2011, par avenant à cette convention, la société clinique de l’Alma a, d’une part, autorisé la transmission de la convention à la SELAS Alma scanner, dont le radiologue était l’unique associé. Il était aussi prévu la possibilité pour celui-ci de faire intervenir d’autres praticiens préalablement agréés et précisé que deux autres praticiens étaient d’ores et déjà agréés. Elle a, d’autre part, conclu des contrats d’exercice avec ces praticiens, dans lesquels elle reconnaissait être avisée du projet destiné à les transférer à la société et déclarait l’accepter. Par contrat du 15 septembre 2011, le transfert irrévocable de ces contrats d’exercice a été organisé, à titre gracieux et à effet du 24 août 2011, au profit de la société représentée par le radiologue. Par lettre du 25 juillet 2014, la société clinique de l’Alma a résilié la convention à effet du 31 janvier 2015, en énonçant un certain nombre de griefs à l’égard du radiologue et en s’opposant au versement d’une indemnité de résiliation à la SELAS Alma scanner. Cette dernière l’a assignée notamment en paiement de cette indemnité. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 juin 2017, a écarté l’existence d’une faute grave et condamné la société clinique de l’Alma à payer l’indemnité de résiliation à la SELAS Alma Scanner.
Dans son arrêt du 14 novembre 2018, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué mais uniquement sur le montant de l’indemnité de résiliation fixé. Surtout, elle rejette, par substitution d’un motif de pur droit à ceux critiqués, le premier moyen du pourvoi principal pris en sa troisième branche et relatif aux conditions de résiliation unilatérale d’un contrat d’exercice ou d’exploitation pour faute grave. Elle juge qu’une « faute grave, par son importance, rend impossible le maintien d’un contrat d’exploitation ou d’exercice conclu entre un professionnel de santé ou une société professionnelle et un établissement de santé pendant la durée même limitée du préavis » et « qu’elle ne peut, dès lors, être retenue que si la résiliation a été prononcée avec un effet immédiat ». En effet, puisque la cour d’appel a relevé que la clinique avait résilié le contrat en accordant à la société un préavis de 6 mois, la qualification de faute grave ne pouvait qu’être écartée. La caractérisation d’une faute grave (I) rend donc, par son importance, impossible le maintien du lien contractuel même pendant la durée limitée du préavis (II).
I – Éléments d’appréciation de la faute grave à l’origine de la résiliation unilatérale
Il appartient aux juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, d’apprécier si les griefs invoqués par un cocontractant sont constitutifs d’une faute grave justifiant la résiliation unilatérale du contrat. Pour être admise, la faute doit présenter un caractère important de gravité au regard du comportement du débiteur, de l’intérêt du contrat ou du caractère essentiel du manquement reproché. Cependant, les juges du fond ne peuvent pas s’en tenir uniquement à la gravité des faits pour caractériser ou exclure la faute grave. Ils doivent également examiner les circonstances de leur commission et leurs conséquences. La faute grave peut en outre procéder d’une attitude générale, d’un fait isolé ou de l’accumulation de plusieurs faits de moindre gravité, de sorte que les griefs invoqués à l’appui d’une résiliation unilatérale pour faute grave peuvent être divers. Elle s’apprécie in concreto au regard du contexte concret propre à chaque espèce.
Dans l’hypothèse d’un contrat d’exploitation ou d’exercice conclu entre des professionnels de santé ou une société professionnelle et un établissement de santé, ces griefs auront le plus souvent trait au comportement du praticien à l’égard de l’établissement de santé ou de son personnel, mais aussi à l’égard des patients lorsque des soins sont réalisés dans l’établissement de santé. En pratique, les principaux cas de fautes graves justifiant la résiliation des contrats sont celles commises par le praticien à l’égard des patients. Les professionnels de santé exerçant à titre libéral dans l’établissement de santé participent en effet à la qualité des soins dispensés auprès des patients, qui sont pris en charge tant par eux que par la clinique et son personnel médical et paramédical. Ils contribuent aussi à l’image de l’établissement de santé et à la confiance des patients en celui-ci.
Par exemple, une faute grave a tout d’abord été retenue à l’encontre d’un médecin anesthésiste faisant notamment preuve d’énervement et de brutalité à l’égard des patients et compromettant leur santé4. Un médecin anesthésiste commet ensuite une faute grave lorsqu’il persiste à réclamer directement le dépassement de l’honoraire conventionnel au malade dans sa chambre, contrevient à son engagement à l’égard de la clinique et adopte ainsi un comportement préjudiciable à la réputation de la clinique auprès de la clientèle5. Enfin, commet une faute grave un médecin, ayant au minimum sous-estimé la gravité de la situation par manque de connaissances médicales et au maximum commis une succession de négligences et d’erreurs de jugement dans la prise en charge d’un enfant, ces éléments constituant à eux seuls un facteur démontré des risques que la clinique faisait courir à ses patients quand ils étaient confiés à ce praticien6. Le comportement adopté par le praticien dans ses relations avec les patients semble donc permettre fréquemment la démonstration de la faute grave à l’origine de la résiliation unilatérale de la convention d’exercice ou d’exploitation par l’établissement de santé. Dans sa troisième branche du premier moyen du pourvoi principal, la clinique reprochait justement à la cour d’appel d’avoir retenu que le comportement personnel du praticien, qui pourrait être constitutif de fautes professionnelles à l’égard de ses patients, ne pouvait entrer en compte dans l’appréciation de la légitimité de la rupture unilatérale du contrat d’exploitation du scanner faute de lien avec ce contrat.
Il n’existe en définitive pas de catalogue de fautes qui seraient par nature des fautes graves. Pour la Cour de cassation, elles doivent seulement revêtir une importance rendant impossible le maintien de la convention d’exercice ou d’exploitation pendant la durée même du préavis. C’est dès lors dire que la faute grave se définit pour l’essentiel par ses effets.
II – Maintien impossible du lien contractuel pendant la durée même limitée du préavis
En principe, l’existence d’une faute grave implique la cessation immédiate de toutes relations contractuelles. L’importance des faits reprochés et imputés à l’une des parties par l’autre ne permet pas de maintenir le lien contractuel et de différer les effets de la résiliation le temps d’un préavis, même limité. La première chambre civile de la Cour de cassation avait néanmoins antérieurement admis, dans le cas d’une rupture d’un contrat d’exercice d’un médecin, que la faute grave n’était pas nécessairement exclusive d’un délai de préavis7. Il importait par ailleurs peu que le contrat soit à durée déterminée ou non8. Cette solution est abandonnée par l’arrêt du 14 novembre 2018 : la faute grave, par son importance, rend impossible le maintien du contrat d’exploitation ou d’exercice pendant la durée même limitée du préavis, de sorte qu’elle ne peut être retenue que si la résiliation a été prononcée par la clinique avec un effet immédiat.
Si la comparaison avec le droit du travail n’était pas totalement possible jusqu’à cet arrêt du 14 novembre 20189, l’analogie est désormais permise. La chambre sociale de la Cour de cassation définit la faute grave du salarié comme « un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis »10. Elle a depuis modifié sa définition. Est une faute grave « celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée même limitée du préavis »11. Depuis 2007, la référence au préavis a disparu. La faute grave se définit comme celle qui « rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise »12. La faute grave en droit du travail implique que le salarié quitte immédiatement l’entreprise et soit privé de son droit à un préavis. Autrement dit, si l’employeur laisse son salarié exécuter le préavis, il se prive du droit d’invoquer sa faute grave13. La même solution est adoptée en l’espèce. Puisque la clinique a résilié le contrat d’exploitation en accordant à la société un préavis de 6 mois, elle a nécessairement renoncé à se prévaloir à l’encontre de son cocontractant d’une faute grave, laquelle ne pouvait en conséquence qu’être écartée comme le souligne la Cour de cassation.
Ce faisant, la solution adoptée par la Cour de cassation en 2018 montre non seulement la porosité existante entre les différentes branches du droit et leurs influences réciproques, mais elle contribue surtout à l’affirmation d’un droit commun de la résiliation unilatérale. Une règle propre au droit du travail est effectivement transposée en droit commun des contrats. De surcroît, le législateur14 a fait de la résolution par « notification »15 un mode habituel et autonome de rupture unilatérale du contrat en cas d’inexécution suffisamment grave du débiteur16. L’article 1224 du Code civil liste les hypothèses de résolution parmi lesquelles y figure – outre l’application d’une clause résolutoire et la décision de justice – la « notification », tandis que l’article 1226 du même code organise ce mécanisme de résolution unilatérale par « notification » issu de la généralisation de nombreuses règles éparses17 et de la position jurisprudentielle suivie par la Cour de cassation depuis 199818.
Notes de bas de pages
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1.
V. Dupont M. et Bergoignan-Esper C., Droit hospitalier, 10e éd., 2017, Dalloz, p. 238 et s., nos 306 et s. et p. 478 à 486, nos 570 à 580.
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2.
Lachièze C., « La rupture unilatérale pour comportement grave, évolution ou révolution ? », JCP G 2004, II 10108 ; Adde Atias C., « Les “risques et périls” de l’exception d’inexécution [limites de la description normative] », D. 2003, p. 1103.
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3.
Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485 : Bull. civ. I, n° 300 ; D. 1999, p. 197, note Jamin C. ; RTD civ. 1999, p. 294, obs. Mestre J. – Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n° 97-12964 : Bull. civ. I, n° 38.
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4.
Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485 : Bull. civ. I, n° 300 ; D. 1999, p. 197, note Jamin C. ; RTD civ. 1999, p. 294, obs. Mestre J.
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5.
Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n° 97-12964 : Bull. civ. I, n° 38.
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6.
Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-16366.
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7.
Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485 : Bull. civ. I, n° 300 ; D. 1999, p. 197, note Jamin C. ; RTD civ. 1999, p. 294, obs. Mestre J.
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8.
Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 99-15170 : Bull. civ. I, n° 40 – Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-03662 : Bull. civ. I, n° 211.
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9.
Jamin C., « Vers la résolution unilatérale du contrat », note sous Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485, D. 1998, p. 1997.
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10.
Cass. soc., 26 févr. 1991, n° 88-44908 : Bull. civ. V, n° 97.
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11.
Cass. soc., 2 févr. 2005, n° 02-45748 : Bull. civ. V, n° 42.
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12.
Cass. soc., 27 sept. 2007, n° 06-43867 : Bull. civ. V, n° 146 ; RDT 2007, p. 650, note Auzero G. – Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44247.
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13.
Cass. soc., 15 mai 1991, n° 87-42473 : Bull. civ. V, n° 237 – Cass. soc., 21 nov. 2000, n° 98-45609 : Bull. civ. V, n° 385 – Cass. soc., 12 juill. 2005, n° 03-41536 : Bull. civ. V, n° 245.
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14.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO, 11 févr. 2016 – L. n° 2018-287, 20 avr. 2018 ratifiant ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO, 21 avr. 2018.
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15.
C. civ., art. 1226.
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16.
LatinaM. et Chantepie G., Le nouveau droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., 2018, Dalloz, p. 603 et s., spéc. n° 653 ; Chénédé F., Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2e éd., 2018, Dalloz, p. 156 et s., spéc. n° 128.91.
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17.
V. C. civ., art. 1657 ; C. civ., art. 2004 ; C. com., art. L. 442-6, I, 5° ; CPI, art. L. 132-17 ; L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 12, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de L. n° 86-1290, 23 déc. 1986.
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18.
Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485 : Bull. civ. I, n° 300 ; D. 1999, p. 197, note Jamin C. ; RTD civ. 1999, p. 294, obs. Mestre J. – Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n° 97-12964 : Bull. civ. I, n° 38 – Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 99-15170 : Bull. civ. I, n° 40 – Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-03662 : Bull. civ. I, n° 211 – Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-16366.