Employeur : faut-il mettre en place des entretiens annuels d’évaluation et comment ?

Publié le 24/11/2023
Employeur : faut-il mettre en place des entretiens annuels d’évaluation et comment ?
Nuthawut/AdobeStock

Contrairement aux idées reçues et sauf dispositions conventionnelles contraires, l’entretien annuel d’évaluation est facultatif. Toutefois si l’employeur décide de le mettre en place il doit le faire pour tous les salariés. Cet entretien permet de faire le bilan de l’année écoulée et de fixer les objectifs de l’année à venir. Quels sont les avantages de mettre en place les entretiens annuels ? Y a-t-il un formalisme à respecter ? Quels sont les effets de l’entretien annuel ? Mathilde Peslerbe et Estelle Damilano, juristes en droit social, groupe SVP, nous éclairent sur ces questions.

Actu-Juridique : L’entretien annuel d’évaluation est-il obligatoire ?

Mathilde Peslerbe : Le Code du travail ne prévoit pas l’obligation d’organiser des entretiens annuels d’évaluation, cela relève du pouvoir de direction de l’employeur. Attention toutefois, de nombreuses conventions collectives l’imposent.

AJ : Quelle est la différence avec l’entretien professionnel ?

Estelle Damilano : Depuis le 7 mars 2014, tout salarié doit bénéficier obligatoirement tous les deux ans d’un entretien professionnel consacré à ses perspectives d’évolution en termes de qualification et d’emploi, et aux actions à mettre en œuvre pour maintenir son employabilité. Tous les six ans, l’employeur doit dresser un état des lieux récapitulant le parcours professionnel du salarié. Ainsi l’entretien professionnel est bien distinct de l’entretien annuel d’évaluation tant dans sa forme que dans son contenu.

La jurisprudence a néanmoins reconnu dans un arrêt du 5 juillet 2023 que l’employeur pouvait organiser les deux entretiens le même jour, sous réserve de bien distinguer l’un de l’autre.

AJ : Qui doit mener l’entretien annuel ?

Mathilde Peslerbe : Il n’existe pas de disposition légale précisant qui doit mener l’entretien annuel d’évaluation du salarié. Pour autant, il est nécessaire que ce soit le responsable hiérarchique du salarié ou son manager qui l’organise car ce sont eux qui sont en mesure d’évaluer le travail du salarié.

AJ : Quels points aborder lors d’un entretien annuel avec son salarié ?

Mathilde Peslerbe : Là encore, le Code du travail ne précise pas quel doit être le contenu de l’entretien annuel d’évaluation. Il conviendra, au cours de l’entretien, que le salarié et son responsable :

  • évaluent les compétences du salarié ;

  • fassent le bilan de l’activité de l’année écoulée ;

  • discutent des objectifs fixés et de ceux à venir ;

  • fassent le point sur les besoins d’amélioration des compétences du salarié ;

  • échangent au sujet de la fonction occupée par le salarié et de ses envies d’évolution de carrière…

AJ : Quelle est l’importance de cet entretien annuel pour l’employeur ? Pour le salarié ?

Mathilde Peslerbe : Même si l’entretien annuel d’évaluation n’est pas obligatoire, son organisation par l’employeur peut être opportune pour lui permettre d’avoir des éléments objectifs sur lesquels s’appuyer pour justifier ses décisions en matière de promotion, de rémunération ou encore de différences de traitement entre salariés. De plus, cela permet aussi d’avoir un moment privilégié d’échange avec ses salariés pouvant permettre de déceler des situations de charge excessive de travail, de baisse de la motivation etc. C’est aussi l’occasion de féliciter et de reconnaître le travail des salariés.

En ce qui concerne le salarié, l’entretien annuel d’évaluation est aussi important. Ce moment d’échange peut lui permettre de bien comprendre les objectifs fixés, de s’attarder sur les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre mais aussi de proposer des nouvelles pistes de réflexion. C’est aussi durant cet entretien que le salarié pourra évoquer ses envies d’évolution, ses besoins de montée en compétences mais aussi les difficultés qu’il a pu rencontrer au cours de l’année passée.

AJ : Un compte rendu de l’entretien est-il obligatoire ?

Mathilde Peslerbe : Il n’existe pas d’obligation légale de rédiger un compte rendu de l’entretien. Une convention collective peut l’imposer. Même si ce n’est pas obligatoire, il est préférable pour garder une preuve et une trace des échanges de rédiger un compte rendu écrit signé par le salarié et son supérieur hiérarchique.

AJ : Si l’entreprise décide de faire un compte rendu doit-elle respecter un formalisme particulier ?

Estelle Damilano : Aucun formalisme n’est exigé pour l’entretien d’évaluation. Cependant l’évaluation fait en principe l’objet d’un compte rendu écrit.

De plus, il est d’usage de remettre un exemplaire du compte rendu à chaque participant. Les entretiens peuvent également se tenir sur des supports informatiques, il existe désormais des logiciels dédiés permettant de faire un entretien d’évaluation à distance.

Chaque salarié évalué peut accéder à ses propres données d’évaluation sur simple demande et en obtenir une copie. Ces résultats sont confidentiels à l’égard des tiers.

Les supérieurs hiérarchiques peuvent accéder aux données d’évaluation des salariés dont ils sont responsables, ainsi que les personnes chargées de la gestion du personnel. Ils restent cependant soumis à une obligation de confidentialité.

AJ : Y a-t-il une période durant laquelle il faut faire passer les entretiens annuels ?

Estelle Damilano : L’entretien d’évaluation n’étant pas une obligation légale, aucune périodicité n’est imposée à l’entreprise. L’employeur peut librement décider de la période à laquelle il souhaite mener des entretiens d’évaluation. Il est cependant d’usage de faire un entretien par an avant la période des augmentations individuelles souvent dénommée “revue salariale” dans les entreprises.

Il est à noter que les nouvelles formes d’évaluation peuvent prévoir plusieurs rendez-vous par an. À titre d’exemple la société Undiz, filiale du groupe Etam, a remplacé ce face-à-face annuel par 4 à 6 entretiens « pour coller au rythme projet » de la société.

AJ : Comment mesurer les objectifs fixés pour l’année suivante ?

Estelle Damilano : Conformément à l’article L. 1222-2 du Code du travail, les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’évaluation de ses aptitudes.

L’employeur peut fixer unilatéralement des objectifs au salarié à condition qu’ils soient sérieux, préalables, déterminables et vérifiables.

Le fait pour l’employeur de fixer des objectifs irréalisables peut être considéré comme une exécution déloyale du contrat de travail.

Il existe de nombreuses méthodes de mesure des objectifs fixés au salarié, comme par exemple la technique du « ranking » (l’attribution d’une note de 1 à 10) ou la technique du « benchmark » (comparaison des résultats).

De nouvelles méthodes apparaissent également. Outre la mesure de la performance du collaborateur, c’est-à-dire l’atteinte ou non de ses objectifs, celles-ci mesurent également l’investissement du salarié à son poste de travail. C’est le cas, par exemple, du système d’évaluation dit « à 360° » intégrant les soft skills et la valorisation des niveaux de maîtrise des compétences métiers requis pour remplir les missions.

AJ : Le salarié peut-il refuser de signer le compte rendu de l’entretien annuel ?

Estelle Damilano : Il est important de formaliser l’entretien par écrit, dans un compte rendu qui devra être daté et signé par les deux parties.

Le salarié a le droit de refuser de signer le compte rendu de l’entretien annuel. Il peut également exprimer son désaccord dans un espace dédié sur le document.

En tout état de cause, l’employeur ne peut pas sanctionner le salarié qui refuse de signer le compte rendu de l’entretien (CA Chambéry, 19 janv. 2010, n° 09/01180).

Ni le refus ni le désaccord ne constituent une faute. Face au refus du salarié de signer le compte-rendu, l’entreprise peut prévoir des recours internes afin que le salarié puisse s’expliquer, comme par exemple un entretien avec le N+2 ou le DRH.

Le compte rendu a également une force probatoire et joue un rôle important dans les contentieux relatifs aux discriminations. Ainsi la jurisprudence exige que les modes d’évaluation démontrent de façon claire que le salarié a connu une évolution de carrière en rapport avec ses qualités professionnelles, en comparaison avec les autres salariés placés dans la même situation. Dans ce type de contentieux, les juges exigent de l’employeur qu’il puisse apporter des éléments objectifs à travers des documents écrits.

Le compte rendu de l’entretien d’évaluation est également un élément de preuve lorsque les qualités professionnelles sont discutées au titre des critères d’ordre des licenciements dans le cadre d’une procédure de licenciements économiques, ou en en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle.

AJ : Quelles sont les conséquences de l’entretien annuel ?

Estelle Damilano : L’entretien annuel d’évaluation est destiné à faire le bilan de l’année écoulée et à fixer les objectifs de l’année suivante.

Il arrive fréquemment que l’entretien annuel soit le support à l’appui d’une augmentation de salaire. L’employeur doit prendre soin de motiver le salarié à progresser dans certains domaines ou le récompenser pour ses réussites. Il peut également souligner les points restant à améliorer.

L’entretien annuel peut être déconnecté de la rémunération, et être uniquement un espace d’échange des compétences et performances du salarié ainsi qu’une source de motivation.

Si l’entretien annuel reste un moment privilégié pour faire le point et est souvent l’occasion d’émettre des points d’alerte et suggestions d’amélioration, il faut faire attention aux éventuels reproches faits au salarié à cette occasion. En effet l’entretien d’évaluation ne doit pas se confondre avec un entretien disciplinaire. L’employeur doit être vigilant à ce que la formulation des reproches ne puisse conduire à qualifier le document de sanction disciplinaire, tel que l’a reconnu la Cour de cassation dans un arrêt du 2 février 2022 (Cass. soc., 2 févr. 2022, n° 20-13833).

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