« Face à la crise sanitaire, l’économie sociale et solidaire a démontré sa performance et sa résilience »

Publié le 13/09/2021

Avec plus de 30 000 structures et près de 400 000 emplois, l’Île-de-France est la première région française dans le domaine de l’économie sociale et solidaire (ESS). Associations, coopératives, entreprises, mutuelles ou fondations, ce modèle économique prend différentes formes et a une définition depuis la loi relative à l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014. Face à la crise sanitaire, ce domaine a su résister même si les plus petits organismes, notamment les associations, ont plus souffert. L’ESS a sur certains points mieux résister que l’économie classique, dans certains territoires franciliens. Actu-Juridique fait le point avec Sébastien Chaillou, directeur général de la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire (Cress) d’Île-de-France.

Actu-Juridique : Pour éclairer le sujet, pouvez-vous rappeler concrètement ce que recouvre l’économie sociale et solidaire ?

Sébastien Chaillou : L’économie sociale et solidaire n’est pas un secteur d’activité. C’est une manière de faire de l’économie. Vous trouvez de l’ESS dans l’intégralité des secteurs. Évidemment, elle est très présente dans certains comme l’action sociale par exemple. Ce sont les deux tiers de l’activité. Elle est plus faible dans d’autres comme l’industrie, en dessous de 1 %. Mais il y a des formes d’entreprises sociales et solidaires qui se retrouvent partout. En termes de formes juridiques, ce sont majoritairement des associations (90 %). Ensuite, ce peut-être des entreprises commerciales, en majorité des coopératives mais aussi des structures commerciales qui ont inscrit leurs statuts dans une démarche d’économie sociale et solidaire. Puis vous retrouvez les mutuelles et les fondations. L’ESS a d’ailleurs créé de l’emploi en 2020 et 2021 dans l’action sociale notamment avec les mutuelles et les fondations. Des activités mises à contribution pendant la crise et qui ont eu besoin de recruter.

« L’Ile-de-France représente un tiers de l’économie sociale et solidaire française »

AJ : Existe-t-il une particularité de l’économie sociale et solidaire francilienne ?

S. C. : Souvent, on dit que l’ESS au niveau national c’est entre 12 % et 14 % de l’emploi et près de 10 % du PIB national. L’Île-de-France représente un tiers de l’ESS française. Comme sur tout le reste de l’économie, nous retrouvons dans l’ESS un effet de siège. Vous avez beaucoup de mutuelles, de grandes banques coopératives qui ont leur siège en Île-de-France. C’est une particularité. Nous avons plus de structures importantes par rapport aux autres régions. Mais, nous avons aussi beaucoup plus de petites entités. La région parisienne est densément peuplée et il y a notamment des petites associations de proximité. Il y a près de 400 000 emplois dans l’économie sociale et solidaire en Île-de-France pour plus de 30 000 établissements. C’est beaucoup plus que dans d’autres territoires. Il y a aussi une activité plus importante des fondations en Île-de-France par rapport aux autres régions. Ce sont des organismes autour de grandes entreprises et de la finance solidaire. Vous avez aussi de nombreuses structures de taille intermédiaire entre 50 et 250 salariés. Là où en région, vous aurez quelques grosses entités et quelques petites. Enfin, en termes de secteurs, au niveau du pourcentage d’activité, c’est à peu près la même chose. Mais au niveau du nombre d’emploi, la culture est plus développée en Île-de-France.

AJ : Et quand on regarde dans les départements franciliens, certains territoires sont-ils plus avancés sur l’ESS ?

S. C. : Nous constatons des différences notamment dans les villes et les agglomérations, qui ont de vraies politiques de soutien à l’ESS. Par exemple, historiquement, la ville de Paris, les établissements publics territoriaux « Est Ensemble » autour de Montreuil, de « Plaine commune » avec Saint-Denis ou de « Grand Orly Seine Bièvre » sont en pointe sur ce sujet. Il y a des appels à projet sur ces territoires à destination de porteurs de projet de l’ESS, depuis plusieurs années. Vous avez des chargés de missions pour certains en poste depuis 10 ans. Du coup, ils connaissent très bien le tissu local. Ils sont capables de rapidement intervenir en cas de difficulté ou de lancement d’une activité dans l’ESS.

Une diminution de 0,7  % de l’emploi dans l’ESS francilienne

AJ : Quelle est la situation actuelle du domaine de l’ESS en Île-de-France ?

S. C. : L’ESS a été impactée durement par la crise sanitaire et les confinements à répétition. Mais, à l’image des crises précédentes comme celle de 2008, l’ESS a mieux résisté, en étant plus résiliente par rapport au reste de l’économie. En 2020, l’emploi dans le secteur privé classique baisse de 1,9 % alors que l’ESS a perdu 0,7 %, en Île-de-France. Elle est peu exposé à la finance, avec davantage de fonds propres, moins de dettes et plus dense en emploi. Avec les aides de l’État, ce modèle a mieux résisté que l’économie en général. En revanche, si on regarde l’évolution du nombre d’établissements, l’ESS a connu une baisse plus importante (2,8 %) par rapport au secteur privé qui a enregistré une légère augmentation de 0,7 %. À noter aussi que l’ESS est plus lente à redémarrer. C’est logique, la plupart des dispositifs de l’État ou de la région sont des prêts. Or, elle est moins tournée vers des mesures d’endettement et a moins recours à ces aides comme on a pu le voir.

AJ : En quoi les acteurs de l’ESS ont été essentiels durant la crise sanitaire ?

S. C. : Dès lors que vous avez des structures, qui ne sont pas des entreprises avec un fondateur et des actionnaires, vous avez des organismes dits de personnes. Quand vous avez une crise, comme celle que nous vivons, c’est plus facile pour des personnes de réagir que pour des chefs d’entreprise classiques, même quand ils le veulent. Ils ont des impératifs et moins d’imagination pour réagir. Je peux vous donner des exemples. En Île-de-France, il existe des tiers-lieux et des espaces de coworking qui ont été fermés à cause du confinement. Certains ont réfléchi à ce qu’ils pouvaient faire pour leur territoire. Les tiers-lieux ont pris contact avec les réseaux de récupération de gaspillage alimentaire pour créer, en quelques jours un réseau de distribution de nourriture à destination des étudiants. C’étaient par exemple les longues files d’attente à Paris dans le XIIIe arrondissement. En fonction des sites, vous aviez entre 2 000 et 3 000 étudiants par jour qui venaient chercher des paniers de nourriture. Ensuite, les pouvoirs publics ont accompagné ce mouvement comme la mairie de Paris. Mais à la base de cette initiative ce sont des associations qui ont l’habitude d’être utiles sur leur territoire. Elles ne faisaient plus leur métier de base. Malgré tout, avec les aides de l’État, notamment le chômage partiel, leurs emplois étaient sauvegardés. Elles avaient donc du temps libre bénévole pour réaliser ces actions.

« Face à la crise sanitaire, l’économie sociale et solidaire a démontré sa performance et sa résilience »
Jérôme Rommé / AdobeStock

AJ : Qu’est-ce que le plan de relance va permettre de faire au niveau de l’économie sociale et solidaire ?

S. C. : Nous avons une cellule de veille, créée à l’initiative de la Cress, en lien direct avec la sous-préfète à la relance en Île-de-France, Myriam Abassi. Nous sommes informés en direct. Nous faisons du ciblage. Dès qu’un appel à projet sort, nous identifions les types de structure ou de réseau qui peuvent le relayer. Nous leur transmettons ensuite les informations. Mais pour 95 % des structures de l’ESS, c’est très compliqué de répondre à ces appels à projet du plan de relance car les dossiers sont très gros. Ils demandent des expertises que beaucoup de structures n’ont pas. Par conséquent, ces appels à projet sont pilotés par des réseaux avec plusieurs organismes. Ensuite, nous faisons aussi un suivi des difficultés individuelles pour leur permettre d’accéder aux aides de l’État ou aux mesures d’accompagnement des différents échelons territoriaux. C’est le cas de la Seine-Saint-Denis, qui avait mis en place un appel à projet « Seine-Saint-Denis solidaire » avec 50 M€ sur 3 ans. Ce budget a permis de faire redémarrer les acteurs locaux de l’ESS. La ville de Paris a mis un place un système de prêt à taux zéro. Ces dispositifs sont à l’initiative de collectivités locales qui connaissent bien les acteurs de l’ESS.

« La Seine-Saint-Denis a mis en place Seine-Saint-Denis solidaire avec 50 M€ sur 3 ans »

Il y a beaucoup de projets de territoire qui sont en train de se monter. L’État a lancé un appel à projet autour des PTCE : les pôles territoriaux de coopération économique. Pendant la crise sanitaire, des réseaux de l’ESS ont appris à travailler sur de nouvelles dynamiques. Nous espérons que ces expériences vont donner de nouveaux projets territoriaux et de coopération. Dans certains secteurs d’activité, nous avons montré que notre modèle économique était plus performant et résiliant. Nous avons constaté que les EPADH ou les sites destinés aux personnes âgées, gérés par des non-lucratifs, ont eu un comportement et des conditions d’accueil de bien meilleure qualité que les grands groupes privés classiques. À un moment, des personnes ont dit qu’il fallait privilégier le milieu non-lucratif et être tourné plus vers l’humain. Mais ce n’est pas ce qu’on voit dans les plans de relance. Il faudrait flécher l’argent mis dans ces programmes.

AJ : On peut entendre que « l’ESS est un domaine non rentable, dopé aux subventions publiques ». Que répondez-vous quand vous entendez cela ?

S. C. : C’est totalement faux. L’ESS dégage des excédents. En revanche ce sont des structures volontairement non lucratives. Souvent, ceux qui disent que ce n’est pas rentable, ce sont les financiers, des personnes qui demandent des taux de rendement et qui veulent placer leur argent. L’ESS n’a pas vocation à rémunérer des placements. Elle s’investit pour l’humain. Concernant par exemple le médico-social, il y a des structures capitalistiques qui arrivent à avoir des taux de rendement de 14 % à 15 %. Cette extraction des richesses est effectuée au détriment de la qualité de l’accueil et du service rendu. Les modèles économiques sont différents. Sur la question des subventions publiques, nous sommes dans l’ordre du mythe absolu. Quand on regarde la dépendance de l’économie classique aux subventions, elle est beaucoup plus importante. L’économie sociale et solidaire a des missions d’intérêt général et considère en soi que pour certaines de ses missions, elle doit avoir recours à des subventions pour avoir un complément économique et ne pas faire payer l’utilisateur.

AJ : Avec la crise sanitaire, croyez-vous à une évolution des mentalités et une augmentation des acteurs de l’ESS ?

S. C. : Je pense que la quête de sens dans les entreprises est réelle. La crise a révélé encore plus ce phénomène. Vous avez de plus en plus de personnes qui ne sont pas à la recherche du zéro supplémentaire sur le carnet de chèque. Mais, elles veulent faire une activité professionnelle pour une bonne raison. C’est extrêmement précieux comme état d’esprit et c’est une évolution de fond. Ensuite, au moment des élections régionales et départementales, la Cress Île-de-France a fait un travail important d’interpellation sur le changement de mentalité. Les élections se sont déroulées. Aujourd’hui, il y a une vice-présidente à l’économie sociale et solidaire à la région Île-de-France, Sylvie Mariaud. C’est une nouveauté. Entre le mois de septembre et décembre 2021, la région va adopter son schéma régional de développement économique. Ce document fixe pour sept ans les politiques de développement économique. Nous avons l’engagement de la présidente de région Valérie Pécresse, que dans ce schéma, il y aura un volet avec des objectifs ambitieux pour l’économie sociale et solidaire et une stratégie régionale. Nous rentrons donc dans une phase de négociation et d’amendement de ce schéma de développement économique, jusqu’en décembre 2021.

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