Philippe Pouzet : « La réforme des ruptures conventionnelles serait clairement une complexification du Code du travail et un retour en arrière »

Publié le 07/12/2023

Face à un taux de chômage qui ne descend plus et qui aurait même tendance au cours des derniers mois à repartir à la hausse, le gouvernement a le projet de réformer le dispositif des ruptures conventionnelles. Est-ce une bonne idée ? Le point avec Philippe Pouzet, avocat au barreau de Saumur, Oratio Avocats.

Actu-Juridique : Pourquoi le gouvernement souhaite réformer le régime des ruptures conventionnelles ?

Philippe Pouzet : Le président de la République a annoncé qu’il entendait arriver au plein emploi d’ici à la fin de son mandat. Le plein emploi peut être considéré comme atteint lorsque le taux de chômage avoisine les 5 %. Or, selon les derniers chiffres de l’INSEE pour le 3e trimestre 2023, le taux de chômage se situe à 7,4 %.

Ce taux ne baisse plus et a même tendance à repartir à la hausse puisqu’il s’agit du 2e trimestre consécutif au cours duquel il est enregistré une légère hausse du chômage.

Or le gouvernement fait le constat que la rupture conventionnelle constitue l’un des principaux points d’entrée à Pôle Emploi.

AJ : Quel est l’état des lieux du recours aux ruptures conventionnelles en France ces dernières années ?

Philippe Pouzet : Le dispositif des ruptures conventionnelles a été introduit par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail.

Il s’agit d’un réel plébiscite de la part des employeurs et des salariés qui ne cessent d’utiliser ce dispositif de plus en plus fréquemment.

En 2009, première année pleine du dispositif, il était comptabilisé quelque 220 000 ruptures conventionnelles au cours de l’année.

Ce chiffre n’a cessé de progresser au fil des ans : 285 000 en 2012, puis 421 000 en 2017 pour atteindre un record de 500 000 en 2022.

AJ : Quels sont actuellement les avantages pour l’employeur et le salarié de recourir à une rupture conventionnelle ?

Philippe Pouzet : Pour l’employeur, la rupture conventionnelle présente l’avantage de pouvoir se séparer rapidement et en toute sécurité d’un salarié en CDI.

La procédure est relativement rapide puisque le salarié n’effectue pas son préavis. La rupture a lieu dès homologation de l’inspection du travail.

Surtout, la procédure offre une sécurité juridique importante. En effet, le seul autre moyen de rompre un CDI pour l’employeur réside dans le licenciement.

Un licenciement nécessite de disposer d’un motif sérieux et de respecter une procédure tortueuse et complexe avec de nombreux chausse-trappes.

Enfin, comme chacun sait, le salarié mécontent de son licenciement peut le contester devant le conseil de prud’hommes.

Dans le cadre de la rupture conventionnelle, la procédure est consensuelle, limitant ainsi très fortement le risque de contentieux. Le litige peut porter uniquement sur la nullité de la rupture en raison d’un consentement vicié ou en raison d’une fraude.

Pour le salarié, la rupture conventionnelle présente un double avantage par rapport à une démission. D’une part, cela ouvre droit aux allocations chômage. D’autre part, cela donne droit à une indemnité de départ (équivalente à celle perçue en cas de licenciement).

Cela permet également au salarié de bénéficier d’un maintien de sa mutuelle et de sa prévoyance, à titre gratuit, pendant une période pouvant aller jusqu’à 12 mois suivant son départ de l’entreprise.

Enfin, un salarié qui aurait le choix entre rupture conventionnelle et licenciement a plutôt intérêt à privilégier la rupture amiable. Premièrement, il apparaît plus satisfaisant d’annoncer que l’on a trouvé un accord pour mettre fin à son contrat plutôt que d’annoncer être licencié. Surtout, la rupture conventionnelle présente les mêmes avantages qu’un licenciement en termes de durée d’indemnisation Pôle Emploi et de montant d’indemnisation (sauf en cas de licenciement économique).

AJ : Quelles seraient les conséquences juridiques d’une restriction de ce dispositif pour les salariés ? Pour les employeurs ?

Philippe Pouzet : Si la rupture conventionnelle devient impossible, ou trop complexe, il ne restera que deux solutions. La démission ou le licenciement.

Avant 2008 et l’avènement de la rupture conventionnelle, le salarié et l’employeur pouvaient « négocier » un licenciement, soit en se mettant d’accord sur une faute à réaliser pour le salarié soit en procédant à un licenciement et en concluant ensuite une transaction afin d’éviter tout contentieux pour l’employeur et pour indemnisation pour le salarié.

Ces procédures étaient beaucoup plus complexes pour les parties et sujet à incertitude et contestation.

AJ : Quel(s) type(s) de salariés seraient le plus concernés par cette réforme ?

Philippe Pouzet : Cette réforme concernerait tout type de salarié en CDI. Cependant, il est vrai que le gouvernement souhaite également réduire la durée d’indemnisation Pôle Emploi des salariés de plus de 55 ans, qui bénéficient actuellement d’une durée de chômage plus longue que les autres salariés.

Dès lors, il est légitime de penser que la réforme viserait plus particulièrement les salariés de plus de 55 ans afin qu’ils continuent à travailler jusqu’à l’âge de la retraite.

AJ : Quelles sont les pistes envisageables par le gouvernement à ce stade ?

Philippe Pouzet : Pour le moment, aucune piste n’a été annoncé par le gouvernement.

Il faudra voir si le gouvernement prend le parti de « durcir » la rupture conventionnelle pour les entreprises ou les salariés.

Du côté des entreprises et pour limiter les ruptures, la sanction pourrait consister à taxer davantage les ruptures conventionnelles qui sont actuellement soumises à une contribution patronale de 30 %. Le gouvernement pourrait simplement alourdir la contribution pour l’ensemble des ruptures ou pour une partie seulement des salariés, notamment ceux qui se rapprochent de l’âge de la retraite.

Du côté des salariés, la sanction pourrait être de réduire les allocations chômage en termes de durée, ou de montant d’indemnisation. Il pourrait par exemple être envisagé une dégressivité des allocations chômage ; comme c’est déjà le cas pour les chômeurs aux hauts revenus après 6 mois de chômage.

Enfin, le gouvernement pourrait fiscaliser l’indemnité de départ, actuellement exonérée d’impôt sur le revenu, afin de percevoir de nouvelles recettes.

AJ : Une restriction du recours au régime des ruptures conventionnelles ne risque-t-il pas d’engorger les tribunaux déjà actuellement saturés ?

Philippe Pouzet : Évidemment, le nombre de contentieux risque de s’accroître si la seule solution pour rompre un CDI réside à nouveau dans le licenciement.

Surtout, à défaut de rupture conventionnelle, les employeurs et les salariés vont à nouveau devoir recourir à des licenciements « arrangés ».

Cette procédure est néanmoins beaucoup plus lourde qu’une rupture conventionnelle et risquée.

Ce serait clairement une complexification du Code du travail et un retour en arrière.

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