Précisions relatives à la retenue de la prime d’un salarié absent pour participation à une grève
Si l’employeur peut tenir compte des absences, mêmes motivées, pour le paiement d’une prime, c’est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution.
Cass. soc., 7 nov. 2018, no 17-15833
1. La rémunération constitue, au même titre que la prestation de travail et le lien de subordination, un élément caractéristique du contrat de travail1. C’est un élément essentiel du contrat de travail2 puisqu’elle est la contrepartie de la prestation de travail fournie par le salarié. En tant que telle, elle peut être pécuniaire ou extrapécuniaire, fixe ou variable. La rémunération se structure alors du salaire proprement dit, des compléments3 et des accessoires, notamment les primes. Force est de constater qu’aux termes de l’accomplissement4 de sa mission de travail, le salarié est en droit de percevoir son salaire et les accessoires y afférents. De son côté, l’employeur est dans l’obligation de les lui verser. Cette obligation est notoire même si le salarié a été absent de son poste pour cause de grève. Les juges de la chambre sociale l’ont rappelé dans l’arrêt rendu le 7 novembre 20185. Les faits ayant donné lieu à cet arrêt suivent. M. Y est employé auprès de la société E. depuis le 1er octobre 1989. Il travaille selon un rythme bien défini (3×8). Au mois de mai 2012, pour un travail de 138,64 heures, il a perçu une rémunération brute de 3 027,56 € ainsi que la prime d’ancienneté, la prime de quart et une prime mensuelle. Au courant du mois d’avril 2012, il a été gréviste durant 4 jours, soit 32 heures d’absence. Il a constaté une retenue sur son salaire. Ce qui le conduit avec le syndicat C. de Haute-Normandie à saisir en date du 17 septembre 2014 le conseil des prud’hommes compétent. Il conteste la retenue pratiquée et sollicite la réparation du préjudice moral subi. Le litige est porté devant la cour d’appel de Rouen. Par arrêt rendu le 7 février 2017, la juridiction d’appel condamne la société E. à payer au salarié une somme au titre de la retenue pour grève exercée en avril 2012. Pour la cour d’appel de Rouen, la retenue sur salaire a un caractère discriminatoire. La société E. forme un pourvoi devant la chambre sociale de la Cour de cassation. D’après cette société, il ne saurait y avoir discrimination. L’abattement sur les primes du salarié Y est justifié par ses jours d’absence pour grève alors que le non-abattement des primes concernant les salariés absents pour maladie non professionnelle est fondé sur le règlement amiable Esso raffinage SAF et le guide administratif du personnel posté en 3×8. Au regard de ce qui précède, se pose la problématique de la retenue d’accessoires de salaire sur fond de discrimination. Très concrètement, un employeur peut-il procéder à la retenue des accessoires de salaire d’un employé du fait de sa participation à un mouvement de grève ? La chambre sociale de la Cour de cassation répond par la négative en soulignant que « si l’employeur peut tenir compte des absences, mêmes motivées, pour le paiement d’une prime, c’est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution ». Elle approuve les juges d’appel en ces termes, « (…) s’agissant de périodes d’absence qui ne sont pas légalement assimilées à un temps de travail effectif, que l’abattement des primes d’ancienneté, de quart et mensuelle, auquel l’employeur a procédé pour calculer la retenue relative aux jours d’absence du salarié pour fait de grève, présentait un caractère discriminatoire ». Cette décision de la Cour de cassation proscrit la retenue des accessoires de salaire du fait de la participation du salarié à un mouvement de grève (I). Cette position de la Cour de cassation est fondée sur le principe de non-discrimination (II).
I – L’interdiction de la retenue des accessoires de salaire du fait de l’absence de l’employé pour grève
2. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 7 novembre 2018 sont notables. Un salarié a participé à un mouvement de grève pendant quatre jours. Il a, par conséquent, été absent de son poste de travail. Ce qui a conduit son employeur à procéder à une retenue sur plusieurs de ses primes alors que d’autres salariés absents pour des raisons non professionnelles n’ont guère subi de retenue de primes. Une telle attitude de l’employeur n’est-elle pas subjective ? Autrement dit, la retenue des primes de salaire pratiquée par l’employeur vis-à-vis du salarié gréviste n’est-elle pas fondée sur la discrimination à l’égard de ce dernier ? Si l’on part du postulat suivant lequel l’organisation des missions au sein de cette entreprise préconise que la présence du salarié soit consubstantielle au paiement de ses primes, il relève de l’évidence que l’absence d’un salarié à son poste de travail conduira à la retenue (totale ou partielle) de ses primes. Cela étant, la retenue pratiquée par la société E. sur la prime d’ancienneté, la prime de quart et une prime mensuelle de M. Y est proratisée sur les quatre (4) jours de grève, soit 123 heures d’absence. De prime abord, cette retenue nous semble non discriminatoire. Toutefois, une analyse approfondie de l’arrêt nous permet d’affirmer que dès l’instant où les autres salariés de la société E. absents pour maladies non professionnelles ont reçu l’intégralité de leur prime, la discrimination apparaît manifeste. La Cour de cassation le relève amplement. En rejetant le pourvoi formé par la société E., la haute juridiction adopte le raisonnement des juges d’appel suivant lequel il existe une différence de traitement des salariés placés dans des situations identiques. Ainsi, elle note que si tous les salariés sont absents pour des raisons non professionnelles – non légalement assimilées à un temps de travail effectif –, l’abattement des primes de tous les absents devrait être identique. Force est de constater, au vu de ce qui précède, que cela n’a pas été le cas puisque le salarié gréviste a vu ses primes réduites. Au regard du principe de non-discrimination, cette retenue est illégale. La haute juridiction pose donc l’interdiction de retenir les accessoires du salaire d’un employé du fait de son absence pour grève.
3. Dans son pourvoi, la société E. soutient clairement que cette retenue des primes n’est point fondée sur la discrimination entre salariés absents. En effet, le règlement maladie Esso raffinage SAF et le guide administratif du personnel posté en 3×8 continu prévoient le paiement des primes des salariés ayant plus d’une année d’ancienneté absents pour maladies non professionnelles. Cet argument a-t-il été opérant ? Aucunement. D’après la juridiction d’appel de Rouen, faire une faveur à des salariés au détriment des grévistes constitue une violation flagrante de l’article L. 2511-1 du Code de travail. L’alinéa 2 de ce texte dispose que « son exercice (droit de grève) ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2[6], notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux ». La Cour de cassation s’érige contre la sanction infligée au salarié absent pour grève en proscrivant la retenue de ses accessoires de salaire. Cette position est conforme à la législation sociale, notamment au principe de non-discrimination.
II – Une position conforme au principe de non-discrimination en matière sociale
4. Sur la base de deux moyens de droit, la chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé la contre l’arrêt de Rouen. À la question de savoir s’il est légal de retenir les accessoires de salaire d’un employé absent pour grève, la haute juridiction répond par la négative. Le fondement de la position de la haute juridiction repose sur la non-discrimination. Il est nécessaire de s’interroger sur cette dernière. Au-delà d’être un principe général de droit, le principe de non-discrimination est une règle du droit du travail. Il est le corollaire du principe de l’égalité garanti par plusieurs instruments juridiques. Ainsi, d’après la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, « les hommes naissent libres et égaux en droits ». Et d’après l’article 27 de la constitution française de 1958, l’égalité constitue une valeur de la république. Tout comme l’égalité, le principe de non-discrimination récuse le traitement différent des personnes physiques ou morales placées dans des situations identiques. À titre illustratif, l’on citera l’égalité devant l’impôt. Pour Favennec-Héry et Verkindt8, le respect du principe d’égalité et l’interdiction des discriminations peuvent être abordés comme les deux versants d’une règle tendant à prohiber toute différence de traitement entre des personnes.
5. Dans le cadre du litige porté devant la Cour de cassation, l’on observe une organisation de la discrimination au sein de la société E. En d’autres termes, la différence de traitement des salaires est institutionnalisée au regard du règlement maladie Esso raffinage SAF et du guide administratif du personnel posté en 3×8. Ces règlements prévoient le paiement des accessoires de salaire des employés qui sont absents pour des raisons non assimilables à des temps légaux de travail. Or, dans le cas de figure d’absence pour grève, raison également non assimilable à des temps légaux de travail, les accessoires de salaires sont retenus en fonction du nombre d’heures d’absence. Cette différence de traitement est anormale et justifie la condamnation de son auteur. Condamner la société E. peut être analysé comme le refus de discriminer des salariés absents pour grève. Or la grève est un droit constitutionnellement reconnu et garanti à tous salariés. Bien plus, le Code du travail est explicite sur la question lorsqu’il mentionne à son article L. 2511-1 que « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit ».
6. C’est un truisme d’affirmer que les termes de l’arrêt du 7 novembre 2018 de la Cour de cassation s’inscrivent dans la même mouvance que ceux rendus par la même juridiction le 23 juin 20099. Dans cette affaire, un accord d’entreprise prévoyait le versement d’une prime mensuelle d’assiduité sauf en cas d’absence du salarié durant le mois de référence. L’employeur avait refusé le versement de la prime à 10 salariés pour le mois au cours duquel ils avaient participé à des journées de grève. Selon les salariés grévistes, il y a eu discrimination fondée sur l’accord entre les absences, excluant le versement de la prime, et celui ouvrant le paiement d’autres primes. Saisie de la question, la chambre sociale de la Cour de cassation avait alors relevé : « Attendu cependant que si l’employeur peut tenir compte des absences, même motivées par la grève, pour le paiement d’une prime, c’est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution ».
7. En conclusion, il convient d’indiquer que cette décision de la chambre sociale de la Cour de cassation est doublement opportune pour le salarié. D’une part, elle protège le droit de grève et, d’autre part, elle met en lumière un principe de non-discrimination requis lors de la mise en œuvre du pouvoir normatif d’un employeur.
Notes de bas de pages
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1.
Couturier G., « La rémunération élément de contrat de travail », Dr. soc. 1998, p. 523.
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2.
Cœuret A., Gauriau B. et Miné M., Droit du travail, 3e éd., 2013, Sirey, n° 842.
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3.
Il s’agit des prestations de sécurité sociale.
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4.
Cet accomplissement peut être journalier, hebdomadaire, mensuel, trimestriel, semestriel ou annuel.
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5.
Corrigan-Carsin D., « Absence pour fait de grève et caractère discriminatoire de la retenue sur primes », JCP G 2018, 1240.
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6.
L’article 1132-2 du Code civil dispose : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L. 1132-1 en raison de l’exercice normal du droit de grève ».
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7.
Article 2, alinéa 4, constitution de 1958, la devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
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8.
Favennec-Héry F. et Verkindt P.-Y., Droit du travail, 6e éd., 2018, LGDJ, n° 296.
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9.
Cass. soc., 7 nov. 2009, n° 08-42154.