Suppression du droit aux allocations en cas d’abandon de poste : une fausse bonne idée

Publié le 29/09/2022

Mardi, le ministre du travail Olivier Dussopt a déclaré devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’assurance chômage »Il y a une faille : un salarié qui procède à un abandon de poste a accès à des conditions d’indemnisation plus favorables qu’un salarié qui démissionne », et d’ajouter « nous sommes ouverts à ce que ces conditions soient alignées ». C’est une « fausse bonne idée », estime Me Michèle Bauer, voici pourquoi.

Suppression du droit aux allocations en cas d’abandon de poste : une fausse bonne idée
Olivier Le Moal / AdobeStock

 

Monsieur Olivier DUSSOPT, Ministre du travail a déclaré qu’il souhaitait durcir les conditions d’accès aux allocations chômage pour les vilains salariés qui sont licenciés pour abandon de poste.

C’est bien connu les salariés profitent du système, ils aiment abandonner leur poste, puis attendre avec angoisse leur lettre de licenciement et l’attestation UNEDIC leur permettant de percevoir le chômage.

Avec ces allocations, ils pourront se la couler douce durant plusieurs mois aux frais des gentils citoyens entrepreneurs et créateurs d’emploi.

Arrêtons la caricature et réfléchissons.

Le Ministère du travail prétend qu’il y aurait une faille dans la loi puisque le salarié démissionnaire serait moins bien traité que celui qui décide d’abandonner son poste et qui espère être licencié pour cette raison.

Il n’existe pas de « faille »

Or, il n’existe pas de faille, si le salarié licencié pour abandon de poste a droit aux allocations chômage c’est parce qu’il a été privé d’emploi par son employeur.

Lorsqu’il démissionne, le salarié se prive volontairement de son contrat de travail.

Olivier Dussopt prétend rétablir une certaine égalité entre ces deux situations qui ne sont pas les mêmes.

Il soutient l’amendement du groupe Les Républicains qui propose de supprimer purement et simplement la possibilité d’indemniser le licenciement pour abandon de poste en considérant que ce licenciement ne serait pas une privation involontaire d’emploi.

Si une telle loi était votée et le Conseil constitutionnel saisi, il serait difficile pour lui de valider une telle disposition qui ne repose que sur une affirmation.

Qu’est-ce que le licenciement pour abandon de poste décidé par l’employeur si ce n’est une privation involontaire du salarié de son emploi ?

Comment justifier une inégalité de « traitement » entre les salariés licenciés pour abandon de poste et pour faute grave et les autres (fautes graves pour retards répétés ou insubordination par exemple) ?

Par ailleurs, il faut savoir qu’en pratique, le licenciement pour abandon de poste n’est pas toujours un abandon de poste décidé par le salarié qui souhaite son attestation Pôle emploi soit parce qu’il est à bout, soit simplement parce qu’il entend faire valoir ses droits.

Un abandon souvent négocié avec l’employeur

L’abandon de poste c’est aussi une solution négociée avec l’employeur.

Parfois, il s’agit d’une petite entreprise qui ne peut pas faire face au paiement d’une indemnité de licenciement.

Cette petite structure pourra proposer à un salarié bénéficiant d’une importante ancienneté un tel licenciement pour faute grave et pour abandon de poste.

Elle n’aura pas à régler l’indemnité de licenciement et sera sécurisé, il est en effet impossible de contester un abandon de poste.

Le salarié, quant à lui, y trouvera son compte, son attestation Pôle emploi lui permettra de percevoir des allocations chômage puisqu’il a été privé involontairement d’emploi.

L’employeur peut être aussi une grande entreprise qui refuse par principe la rupture conventionnelle de crainte d’ouvrir une brèche dans laquelle viendraient s’engouffrer tous les salariés lassés de leur emploi.

Accepter la rupture conventionnelle pour l’un des salariés de l’entreprise est risqué, d’autres pourraient suivre et le coût du poste rupture conventionnelle deviendrait alors très important.

Ces grandes entreprises peuvent tout d’abord dire au salarié démotivé : « Vous pouvez démissionner si le job ne vous plaît plus », si le salarié insiste un peu et n’est plus aussi productif, il peut espérer une proposition de « licenciement pour abandon de poste négocié ».

Il n’existe aucune statistique sur ces licenciements pour abandon de poste, seule une étude sur la démission a été publiée (lire à ce sujet notre tribune du 23 août  « la Grande Démission ») et a mis en exergue l’augmentation des démissions.

Cette étude n’a pas fait mention des licenciements pour abandon de poste qui pourraient être considérés comme une sorte de renonciation à travailler, une démission « involontaire ».

En conclusion, cette pratique des licenciements pour abandon de poste négocié ou pas interroge sur le droit aux allocations chômage en cas de démission.

Rappelons qu’une des propositions phare du candidat Emmanuel Macron en 2017 était l’indemnisation chômage des salariés démissionnaires.

Depuis 2019, certains salariés démissionnaires peuvent percevoir des allocations chômage, mais les conditions sont strictes, si strictes que les salariés ont toujours recours à l’abandon de poste pour pouvoir percevoir leurs indemnités chômage.

 

Un amendement du 28 septembre introduit la notion de « démission présumée »

Mise à jour du 4 octobre 2022 à 12h23

L’amendement des LR n°AS 1116 du 22 septembre 2022 dont il est question dans ce billet a été retiré.

Un deuxième amendement a été déposé le 28 septembre 2022 (amendement n° 393) dans le même esprit. Il introduit la notion de « démission présumée ».

Il est proposé de compléter l’article L1237-1-1 : « Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire. Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil des prud’hommes.  L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.  Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’exécution du présent article. »

Cet article est contraire à la définition même de la démission qui doit être claire et non équivoque et qui ne se présume pas (jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1987 : Cour de cassation du 7 mai 1987, Cass. soc. n° 84-42.203).

À noter :

*Aucune étude d’impact n’a été diligentée ; en outre les statistiques en matière d’abandon de poste n’existent pas. Présenter un tel amendement sans aucun chiffre est bien téméraire. C’est par ailleurs peu rigoureux. L’exposé des motifs du premier amendement ne fait qu’affirmer qu’il y aurait « un phénomène palpable » dans les milieux professionnels et un recours massif à l’abandon de poste. Lundi 3 octobre, le député LR qui présente cet amendement à l’Assemblée nationale, Jean-Louis Thiérot,  a affirmé que les abandons de poste seraient fréquents chez les chauffeurs de bus scolaires, ce qui mettrait  les écoliers dans l’embarras, suggérant même que ces abandons seraient quotidiens. Si tel était le cas, la presse n’aurait pas manqué d’en parler. Aussi, les arguments pour justifier de cet amendement sont à la fois non étayés et en plus d’une rare pauvreté.

*Il est question d’instaurer une présomption de démission pour les abandons de poste et non pour les absences injustifiées. L’employeur pourrait alors continuer de licencier pour ces absences injustifiées qui sont finalement le véritable motif juridique du licenciement communément appelé licenciement pour abandon de poste. En effet, le terme abandon de poste est impropre mais suffisamment stigmatisant pour alimenter les débats actuels qui sont du niveau du « café du commerce ».

*C’est au salarié d’agir, de saisir le conseil de prud’hommes pour que ce dernier donne l’exacte définition de sa rupture. Que se passera-t-il si le salarié ne saisit pas le conseil de prud’hommes tout simplement car il aura trouvé un emploi et ne souhaite pas s’inscrire au Pôle emploi ? L’employeur pourra-t-il le licencier ? Cette absence de saisine placera l’employeur dans une situation délicate puisque le salarié fera toujours partie des effectifs de l’entreprise. De plus, cette disposition est une immixtion critiquable dans la gestion de l’entreprise.

*Le salarié qui n’a pas transmis son arrêt de travail dans un délai de 24 heures et ne se présente pas à son poste sera-t-il considéré comme un présumé démissionnaire, devra-t-il saisir les prud’hommes pour justifier de son arrêt de travail et contester sa présumée démission ?

Une disposition est cocasse : l’employeur peut remettre, en main propre, la lettre de mise en demeure de regagner le travail à un salarié qui n’est plus à son poste.

Le conseil de prud’hommes doit statuer dans un délai d’un mois suivant la saisine. Il est évident que ce délai ne sera jamais respecté, particulièrement en région parisienne où les dates sont si lointaines que l’on croit souvent être face à une erreur matérielle. Par ailleurs, le salarié qui n’a pas été licencié et qui est présumé avoir démissionné risque de ne bénéficier d’aucun revenu durant plusieurs mois en attendant le jugement du conseil de prud’hommes.

Une véritable usine à gaz sera mise en place si cet amendement est voté, usine à gaz qui fera sans doute le bonheur des avocats tellement la rédaction du texte est maladroite et peu rigoureuse juridiquement.

Le but de cet amendement, celui affiché, est de préserver le budget de l’assurance chômage. Le but réel est uniquement politique, voire populiste : il consiste à flatter la partie de l’opinion qui considère que les salariés abandonnant leur poste sont des fraudeurs fainéants qui abusent du système.

Or, comme je l’ai précisé dans mon billet, rien n’est simple en matière « d’abandon de poste ».

Pour lire les tribunes de Me Michèle Bauer sur l’actualité du droit du travail, c’est par ici