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En cas d’allégation de faux documents par l’une des parties, le juge doit mener l’enquête

Publié le 16/09/2022
Quitus, gestion, document
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Par un arrêt du 19 mai 2022, la Cour de cassation est venue rappeler les règles applicables en cas de doute sur l’authenticité d’un document produit en justice.

Cass. soc., 19 mai 2022, no 21-10385

En l’espèce, un salarié avait été engagé en contrat à durée indéterminée (CDI) par une société de sécurité. La société a mis fin au contrat au cours de la période d’essai. Quelques mois plus tard, le salarié a été réembauché par la même société en CDI.

Faisant valoir que la société ne lui fournissait plus de travail et qu’une indemnisation lui était refusée par Pôle emploi en raison d’une démission au titre de ce second contrat, le salarié saisissait le juge pour contester cette rupture.

L’employeur justifiait d’une lettre de démission de son salarié.

Le salarié remettait en cause l’authenticité de sa lettre de démission en affirmant ne pas en être l’auteur.

Le salarié sollicitait en justice que la démission soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur le plan indemnitaire, cela devait lui ouvrir droit à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts pour irrégularité de procédure et les indemnités subséquentes à la rupture : indemnité compensatrice de préavis et indemnité de licenciement le cas échéant.

La cour d’appel a rejeté l’appel du salarié, considérant que ce dernier n’apportait pas un commencement de preuve de ce que la lettre de démission était falsifiée. La cour notait que la simple dénégation de l’écrit n’était pas suffisante pour remettre en cause la démission qui semblait claire et non équivoque.

La haute juridiction casse l’arrêt au motif qu’il n’appartient pas au salarié de prouver ou même d’apporter un commencement de preuve. La cour d’appel a inversé la charge de la preuve.

En cas d’allégation de falsification de document, il appartient au juge de procéder à une vérification d’écriture dans les conditions prévues par les articles 287 et suivants du Code de procédure civile.

Autrement dit, le juge doit mener l’enquête pour pouvoir se prononcer, afin de dire s’il s’agit d’un vrai ou d’un faux document.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence aura donc à rejuger le dossier pour déterminer si la lettre de démission est falsifiée ou non.

Le salarié a vu son premier contrat de travail rompu au cours de la période d’essai. Dans quel cadre met-on un terme à une période d’essai ?

La période d’essai a pour but d’évaluer les compétences professionnelles du salarié et pour le salarié de savoir si le poste correspond à ses perspectives. Chaque partie a donc la faculté de mettre fin à la période d’essai dès lors que cela ne correspond pas à ses attentes.

La fin de la période d’essai n’exige pas de respecter une procédure particulière. La décision est discrétionnaire. Il n’est donc pas utile de motiver la rupture d’essai. Au contraire, il est même dangereux de formuler des reproches dans la lettre de rupture d’essai puisque celle-ci peut alors être assimilée à un licenciement disciplinaire.

Dans un tel cas, l’employeur devra utiliser la procédure disciplinaire prévue par le Code du travail avec convocation à entretien, afin de permettre au salarié de se défendre et notification de la sanction.

En résumé, pour rompre la période d’essai, l’employeur doit se limiter à faire le constat que les compétences professionnelles du salarié ne correspondent pas au poste et à ses attentes.

À cet égard, il est évident que la rupture d’essai ne peut intervenir que pour un motif inhérent au salarié. Tout autre motif qui serait utilisé serait illégal (conjoncture économique, suppression du poste).

De même, l’employeur devra éviter de tirer des conclusions trop hâtives et mettre fin dans les premières heures ou les premiers jours à la période d’essai. Cette précipitation a en effet été jugée abusive à diverses reprises par la jurisprudence. Il convient de laisser sa chance au salarié en lui accordant suffisamment de temps pour faire ses preuves.

À l’inverse, il convient d’éviter la rupture de la période d’essai au dernier jour de celle-ci, l’employeur étant tenu de respecter un délai de prévenance. La durée du délai de prévenance est prévue à l’article L. 1221-25 du Code du travail :

• 24 heures en deçà de 8 jours de présence ;

• 48 heures entre 8 jours et 1 mois de présence ;

• 2 semaines après 1 mois de présence ;

• 1 mois après 3 mois de présence.

L’application du délai de prévenance ne peut pas avoir pour effet de repousser la fin de la période d’essai. En cas d’impossibilité d’exécuter le délai de prévenance en raison de la fin de la période d’essai, le salarié doit percevoir une indemnité compensatrice correspondant au délai de prévenance non exécuté.

Sur la forme, l’employeur rédigera la rupture d’essai et la remettra en main propre contre décharge, ou l’enverra par lettre recommandée pour lui donner date certaine.

Comment établir l’authenticité d’une lettre de démission ?

Pour former sa conviction, le juge dispose de plusieurs possibilités prévues par les articles 287 et suivants du Code de procédure civile :

• le juge peut faire procéder, sous sa dictée, à des échantillons d’écriture (CPP, art. 288, al. 1) ;

• le juge peut se faire remettre par des tiers, d’office et sous astreinte, tout document permettant la comparaison avec le document litigieux (CPP, art. 290, al. 1) ;

• le juge peut entendre l’auteur du document et se faire assister par un consultant (CPP, art. 291) ;

• le juge peut appeler des témoins qui ont vu écrire ou signer le document litigieux (CPP, art. 293) ;

• le juge peut faire appel à un technicien (graphologue notamment) pour vérifier les documents (CPP, art. 292).

Les possibilités sont donc nombreuses afin que le juge puisse décider en pleine connaissance de cause.

Le juge doit-il vérifier l’authenticité lorsque l’employé conteste en être l’auteur ?

Comme le rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mai 2022, le juge n’a pas le choix. Il doit absolument vérifier le document pour en garantir l’authenticité ou le déclarer faux, conformément aux articles 287 et suivants du Code de procédure civile.

Le juge ne peut rejeter la charge de la preuve sur l’une ou l’autre des parties. Cela implique de la part du juge un travail de recherche afin d’établir la vérité concernant le document litigieux.

Quelles sont les sanctions possibles s’il est prouvé que la lettre de démission est en réalité un montage ?

Le menteur, qu’il soit employeur ou salarié, risque une lourde sanction. S’il est établi que l’employeur a fait un faux, les conséquences seront de deux ordres.

Tout d’abord, sur le plan du droit du travail, la rupture sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié pourra alors obtenir des dommages et intérêts au regard de son ancienneté et des effectifs de l’entreprise (selon les barèmes prévus à l’article L. 1235-3 du Code du travail) outre le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement.

Ensuite, sur le plan pénal, le magistrat ou le salarié pourraient déclencher l’action publique pour deux infractions au moins : l’infraction de faux et usage de faux qui est punie de 3 ans de prison et 45 000 € d’amende (C. pén., art. 441-1). Il s’agit également d’une tentative d’escroquerie au jugement, punie de 5 ans de prison et de 375 000 € d’amende (C. pén., art. 313-1).

En revanche, le salarié doit également avoir à l’esprit que l’allégation que l’employeur a produit un faux document peut se retourner contre lui. Si le juge considère que le document a bien été écrit et signé par le salarié, celui-ci s’est rendu coupable d’une fausse dénonciation.

L’article 295 du Code de procédure civile prévoit que « s’il est jugé que la pièce a été écrite ou signée par la personne qui l’a déniée, celle-ci est condamnée à une amende civile d’un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés. » En outre, la partie perdante aura à sa charge les dépens qui pourront comprendre les frais des consultants que le juge aura pu faire intervenir.

Les parties ont ainsi tout intérêt à bien réfléchir en terme procédural avant de produire ou de dénoncer la production d’un faux document.

Comment la démission d’un salarié doit-elle être formalisée ?

Pour que la démission soit valable, le salarié doit exprimer de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat de travail. Le Code du travail ne prévoit pas de formalisme particulier. Par conséquent, le salarié qui annonce oralement sa démission à son employeur est valable. Naturellement, cela pose le problème de la preuve.

Afin que cette démission ne soit pas sujette à contestation, il apparaît indispensable pour l’employeur de disposer d’un écrit daté et signé du salarié.

Compte tenu de la jurisprudence du 19 mai 2022, il faudra privilégier la lettre de démission manuscrite et éviter la lettre de démission informatique puisque l’authentification, en cas de litige, reposera alors uniquement sur la signature. Bien évidemment, cette lettre de démission devra parvenir à l’employeur par tout moyen donnant date certaine. Il faudra privilégier la remise en main contre décharge ou la lettre recommandée avec avis de réception.

La dernière question concerne généralement le préavis de démission. En effet, le salarié ne peut pas quitter son poste sans respecter le préavis prévu par la convention collective, le contrat de travail ou les usages. À défaut, le salarié se met en tort et l’employeur est alors en droit de réclamer une indemnisation pour non-respect du préavis devant le conseil de prud’hommes.

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