La gestion du retour des salariés envoyés en mission à l’étranger
La question du retour des salariés envoyés en mission à l’étranger est souvent appréhendée comme une problématique secondaire de la mobilité par les services des ressources humaines. Le salarié lui-même, grisé par son projet professionnel, parvient difficilement à se projeter sur la fin de ce qui n’a même pas commencé. Il s’avère pourtant que la transparence et la sécurité juridique qui découlent de ce questionnement pourraient éviter bien des déconvenues à l’ensemble des parties.
Les travailleurs salariés français qui avaient accepté une mission à l’étranger ont subi de plein fouet les conséquences de la pandémie qui frappe le monde depuis 2020. Les conditions de travail ont parfois été profondément modifiées, faisant perdre pour une grande part l’attrait que peut susciter l’aventure vers un ailleurs. Certaines entreprises ont également été contraintes de fermer leurs portes, mettant fin de manière anticipée à des missions et soldant la relation contractuelle par des licenciements économiques.
Ces événements ne représentent que le révélateur d’une difficulté bien connue des directeurs des ressources humaines (DRH) qui pratiquent la mobilité intragroupe, à savoir la gestion épineuse du retour du salarié envoyé en mission à l’étranger.
Les modalités de ce retour sont bien souvent négligées par l’acte de mobilité qui formalise le départ. Les discussions se focalisent généralement plutôt sur le volet financier de cette mobilité : salaire, prime de mobilité, prise en charge des frais de scolarité dans un certain plafond et jusqu’à un certain âge des enfants ou encore prise en charge des frais liés au déménagement.
Pour autant, le départ à l’étranger est rarement définitif, sauf à rompre le contrat de travail initial dès le début de la mission. Il apparait donc extrêmement surprenant d’éluder cette question du retour sur laquelle se cristallise une part importante du contentieux de la mobilité intragroupe. Sur le plan sémantique, il faut relever une certaine cacophonie dans l’utilisation des qualifications usitées pour désigner le salarié envoyé à l’étranger : mutation, mise à disposition, détachement, expatriation, transfert, etc.1.
Le détachement et l’expatriation ne trouvent pas de définition dans le Code du travail français. Elles connaissent en réalité une traduction en droit de la sécurité sociale. C’est la raison pour laquelle les deux notions peuvent indifféremment figurer dans les arrêts rendus par la Cour de cassation, se calquant le plus souvent sur la qualification adoptée par les parties.
Les praticiens, quant à eux, évoquent volontiers dans une approche travailliste le détachement pour les missions courtes ou dont la date de retour est connue, par opposition à l’expatriation pour les missions longues ou dont la date de retour ne peut être déterminée à l’avance. Cette approche sémantique ne connait pourtant aucune connexion avec notre Code du travail ou avec la jurisprudence qui lui est associée.
Il en va de même de la mise à disposition, qui peut s’accorder aussi bien avec un salarié expatrié qu’avec un salarié détaché.
L’article L. 1231-5 du Code du travail fait référence à cette notion de mise à disposition, qui peut s’appliquer indifféremment à un salarié expatrié ou détaché, en ces termes : « Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein.
Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables.
Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l’indemnité de licenciement ».
Une attention particulière est ainsi portée au sort du salarié envoyé en mission par la société mère vers l’une de ses filiales. Celui-ci doit être rapatrié par la société mère en cas de licenciement par la filiale et se voir proposer un emploi compatible avec celui exercé précédemment au sein de la société mère. Il s’agit respectivement des obligations de rapatriement et de reclassement.
Il faut noter d’emblée que cet article s’entend strictement et n’a donc pas vocation à couvrir d’autres hypothèses, par exemple celle d’une mobilité entre deux filiales2.
Cela ne signifie pas pour autant que ces salariés, exclus du champ d’application de l’article L. 1231-5 du Code du travail, ne bénéficieront d’aucune protection en cas de licenciement par la filiale. La Cour de cassation a en effet élaboré un corps d’arrêts sur les obligations de rapatriement et de reclassement, lorsque l’article L. 1231-5 du Code du travail est hors-jeu. Ces obligations peuvent ainsi notamment trouver leur terreau dans un engagement contractuel pris par la société mère avant le départ. De tels engagements font en effet figure de clause de style dans les avenants d’expatriation ou de détachement.
Il importe d’envisager l’obligation de rapatriement pesant sur la société mère en cas de licenciement par la filiale (I), puis l’obligation pesant sur la société mère de procurer au salarié un nouvel emploi compatible avec l’importance des fonctions antérieures à la mobilité (II) et enfin la possibilité d’un licenciement prononcé par la société mère en cas d’impossibilité de reclassement ou de refus du salarié des propositions de reclassement (III).
I – L’obligation de rapatriement pesant sur la société mère en cas de licenciement par la filiale
Schématiquement, trois modalités s’offrent à l’employeur ou à son service RH lorsqu’il entend envoyer un salarié à l’étranger :
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la société mère peut d’abord proposer un avenant temporaire de mobilité au contrat initial. Dans ce cas, le contrat de travail initial n’est pas suspendu et le salarié conserve un lien de subordination plein et entier avec la société mère. Soit l’avenant s’impose en bloc de manière temporaire, soit un jeu de renvoi s’exerce entre le contrat initial et l’avenant temporaire. Dans ce dernier cas, seules certaines dispositions spécifiques de l’avenant temporaire l’emporteront sur le contrat initial. Il sera donc généralement indiqué que les autres dispositions du contrat initial demeurent applicables. Cette mise à disposition n’entraine pas la conclusion d’un contrat local avec la filiale. La société mère continuera à rémunérer le salarié, à lui faire passer les entretiens annuels d’évaluation et à le sanctionner le cas échéant. L’autonomie que suppose une mise à disposition à l’étranger et l’éloignement géographique font que – souvent – cette façon d’aborder la mobilité pèche par manque de réalisme. La gestion RH à distance du salarié n’est pas sans poser des difficultés d’ordre pratique ou juridique. Il peut également arriver que des complications surviennent entre la société filiale et le salarié, dès lors que ce dernier estime n’avoir de comptes à rendre qu’à la société mère. Aussi, il n’est pas rare que la conclusion d’un avenant temporaire ne constitue qu’une première étape dans le processus de mobilité. L’intérêt de cette formule réside en revanche dans l’absence d’interférence de la filiale concernant la date du retour. Celle-ci est généralement programmée avec la société mère qui demeure la seule référente du salarié concernant cette gestion de retour (dates et autres modalités) ;
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la société mère peut ensuite prévoir une suspension du contrat de travail initial et parallèlement la conclusion d’un contrat local entre le salarié et la filiale. Cette façon de procéder intègre mieux la situation factuelle du salarié qui travaille désormais loin de la société mère. C’est bien la filiale qui prendra à sa charge toutes les obligations et les devoirs de l’employeur au quotidien, qu’il s’agisse du pouvoir de direction, de la rémunération du salarié et du pouvoir de sanction. Le contrat initial est juridiquement suspendu, c’est-à-dire en veille, le temps de la mission. Cela a pour effet d’anémier le lien entre le salarié et la société mère durant cette mission et rendra de ce fait plus difficile la possibilité de sanctionner le salarié pour la société mère, sauf à ce que les faits reprochés commis au sein de la filiale à l’étranger puissent rejaillir sur la société mère, portant par exemple atteinte à son image3. En outre, dans cette hypothèse, la société mère perd en partie la main sur la date du retour du salarié. Cette date sera soumise aux aléas du contrat souscrit entre le salarié et la société filiale. Un tel contrat pourra en effet être rompu avant son terme prévu ou prévisible, ou pour un motif déconnecté de la fin de mission (personnel ou économique) ;
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enfin, la société mère peut proposer au salarié une rupture du contrat de travail initial. Cette rupture peut prendre par exemple la forme d’un licenciement, d’une rupture conventionnelle ou d’une démission non équivoque4.
C’est souvent la voie de la démission qui est adoptée puisqu’elle permet d’éviter à la société mère d’avoir à régler des indemnités de rupture au salarié. Le salarié conclut parallèlement un contrat de travail avec la filiale, généralement soumis au droit local. Il devient alors périlleux pour la société mère de sanctionner le salarié qui n’est plus soumis à son pouvoir de direction et de contrôle. Concrètement, le salarié ne fait même plus partie des effectifs de la société mère.
Dans une telle hypothèse, sur le plan des RH, le retour du salarié n’est généralement même pas envisagé. La mobilité n’est donc pas conçue ici comme un outil de promotion et/ou de partage des compétences ou encore de gestion de carrière du salarié. Pourtant, la Cour de cassation fait application de l’article L. 1231-5 du Code du travail dans ce cas de figure, en considérant que l’obligation de rapatriement et de reclassement pèse sur la société mère, quand bien même le contrat qui l’unissait au salarié aurait été rompu5.
Il importe donc, dans la gestion des RH, d’appréhender pleinement les tenants et aboutissants de chacune de ces modalités juridiques pour choisir la forme qui sera la plus adaptée à l’objectif RH visé.
À cet égard, une discussion sans tabou doit être engagée avec le salarié, avant le départ. Il peut être utile de diffuser un guide des bonnes pratiques, en particulier si l’entreprise entend envoyer régulièrement des salariés à l’étranger. La question du retour doit être traitée avec une grande vigilance et surtout avec une grande transparence. Elle est en réalité aussi fondamentale que la question du départ.
Par exemple, si aucune date de retour ne peut être déterminée à l’avance, il peut être judicieux de prévoir une durée minimale ou maximale d’expatriation6. De même, les cas de retour anticipé gagnent à être listés par écrit en décrivant avec précision les événements qui les justifieraient. En outre, la société mère et le salarié seraient bien inspirés de préciser par écrit avant le départ en quoi consistent les modalités pratiques de l’obligation de rapatriement :
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prise en charge des frais de retour liés au déménagement par voie aérienne, ferroviaire ou maritime ;
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détermination à cet effet d’un plafond de prise en charge ;
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nombre de devis à présenter afin de bénéficier de cette prise en charge ;
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nature du billet pour l’aller/retour (classe touriste, classe éco, etc.) ;
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périmètre géographique du rapatriement7.
Ces exemples de bonnes pratiques ne constituent pas des obligations pour la société mère mais elles participeront à démontrer sa bonne foi en cas de contentieux. La société mère doit en outre se montrer particulièrement attentive lorsqu’elle a connaissance d’un projet de licenciement de la filiale. En effet, l’initiative de demander sa réintégration n’incombe pas au salarié. C’est à la société mère, dès lors qu’elle est avisée du licenciement, d’assurer le rapatriement et de procurer un nouvel emploi au salarié ou, à défaut, de le licencier8.
Le rapatriement du salarié s’entend par le retour du salarié expatrié, de sa famille et de ses effets personnels dans son pays d’origine.
Si le salarié est licencié par la filiale puis est envoyé auprès d’une autre filiale située à l’étranger, l’obligation de rapatriement trouve à s’appliquer et consistera par exemple dans la prise en charge des frais liés à l’installation sur le lieu de la nouvelle affectation.
Dans tous les cas, l’employeur qui tarde à rapatrier le salarié en supporte toutes les conséquences financières, en particulier le paiement d’une somme équivalente aux frais de séjour entre la date du licenciement et celle du rapatriement9.
Voilà donc un moyen incitatif qui motive généralement l’employeur à prendre rapidement ses responsabilités en cas de nécessité de rapatriement.
De même, la société mère qui ne prend aucune initiative en vue du rapatriement du salarié après son licenciement par la filiale étrangère et ne lui fait parvenir aucune offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions, et qui ne verse pas au salarié, après son licenciement par la filiale étrangère, la totalité de son salaire de base, commet une faute justifiant la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié10.
Un grand nombre d’arrêts mettent ainsi en évidence un manquement de l’employeur à ne pas rapatrier ou à ne pas reclasser le salarié. Il faut toutefois se méfier de ce mode de rupture très particulier qu’est la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, côté salarié. Elle n’ouvre pas droit aux allocations de Pôle emploi dans un premier temps et procède d’un écrit du salarié. Il indique alors à son employeur qu’il prend acte de la rupture de son contrat de travail, ce qui signifie qu’il rompt unilatéralement son contrat de travail en raison des manquements commis par l’employeur. Puis il revient au salarié de saisir le conseil de prud’hommes. Il appartiendra alors à ce dernier de trancher le litige et d’évaluer les effets de la prise d’acte. Deux issues sont alors possibles :
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soit le conseil de prud’hommes estime que l’employeur a commis un manquement suffisamment grave qui empêche la poursuite du contrat de travail, la rupture est alors analysée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié a gagné le procès. En conséquence, le salarié perçoit les indemnités de rupture auxquelles s’ajoutent des dommages et intérêts ;
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soit le conseil de prud’hommes estime que l’employeur n’a pas commis un manquement suffisamment grave qui empêche la poursuite du contrat de travail ; cette rupture est alors analysée comme une démission et le salarié a perdu le procès. Le salarié s’expose en conséquence au paiement des frais d’avocat de l’employeur (CPC, art. 700) mais aussi parfois à devoir régler l’équivalent de l’indemnité de préavis s’il a quitté son emploi sans l’honorer ou sans proposer de l’honorer.
Naturellement, il apparait toujours préférable pour un salarié de s’éviter une telle prise d’acte et la procédure judiciaire qu’elle suppose (temps/coût/aléas). La négociation semble en ce sens à privilégier et la prudence commande qu’une prise d’acte ne constitue qu’un dernier recours pour le salarié.
Ces arrêts rendus au sujet de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail sont en revanche éclairants dans la mesure où ils permettent de mettre en lumière un manquement de l’employeur qui ne satisfait pas à son obligation de rapatriement et/ou de reclassement. Cela pèsera par la suite dans le cadre d’une appréciation par le conseil de prud’hommes de la cause réelle et sérieuse de licenciement, si un tel licenciement devait être prononcé.
II – L’obligation pesant sur la société mère de procurer au salarié un nouvel emploi compatible avec l’importance des fonctions antérieures à la mobilité
L’employeur ne doit pas seulement rapatrier le salarié à la suite du licenciement prononcé par la filiale, il est également tenu par une obligation de réintégration, aussi appelée obligation de reclassement.
La Cour de cassation a, au gré des espèces, profilé le régime de ce reclassement particulier. Cette jurisprudence ne se confond pas avec celle rendue en matière de reclassement faisant suite à une inaptitude ou à un licenciement pour motif économique. La Cour a par exemple pu indiquer que dès lors qu’un salarié expatrié a fait l’objet d’une mesure de rapatriement en France sans bénéficier d’une offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère, et qu’aucun accord exprès de l’intéressé sur son nouveau poste n’est intervenu, la prise d’acte de la rupture est justifiée11. L’employeur est ainsi tenu de faire une proposition loyale.
Au sujet de la proposition de réintégration ferme et précise, le salarié est en droit d’exiger de connaitre le statut exact qu’il occupera dans le nouveau poste, à savoir : les fonctions, le coefficient et le salaire. Sans ces éléments d’information, le salarié est fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail12.
De même, sur le plan des risques encourus par l’employeur, en l’absence de reclassement sur un emploi compatible par la société mère, la rupture du contrat de travail doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse13.
Reste alors à déterminer précisément ce que recouvre la notion d’emploi compatible. D’abord, il ressort du texte même de l’article L. 1231-5 du Code du travail que l’emploi de référence pour la réintégration est celui qu’occupait le salarié au sein de la société mère avant l’envoi au sein de la filiale14. Le curseur doit donc être placé en considération du poste occupé avant la mise à disposition pour opérer une comparaison avec le poste de reclassement.
De plus, le texte visé évoque un reclassement dans un emploi compatible. Cela signifie qu’il ne s’agit pas strictement du même emploi, mais seulement d’un emploi équivalent. En pratique, il n’est pas rare que le poste initial du salarié au sein de la société mère ait été confié à un autre salarié. Il se peut également qu’il n’existe plus.
Autre cas de figure possible : le salarié ne souhaite pas retrouver un poste équivalent à celui qu’il occupait initialement au sein de la société mère, préférant un poste équivalent à celui qu’il détenait lors de sa mission à l’étranger. C’est pourtant bien, le plus souvent, en référence au poste initial que la comparaison entre postes équivalents se fera, conformément à la lettre de l’article L. 1231-5 du Code du travail15.
Ont ainsi, par exemple, été jugés comme étant compatibles, par la jurisprudence, les fonctions de « documentation industrielle » proposées à un salarié qui avait été engagé en qualité de cadre avant sa mise à disposition. Lors de sa mission à l’étranger, ce salarié avait été promu au poste de directeur général et avait effectué diverses missions en Afrique. La proposition de poste de reclassement apparaissait certainement bien moins valorisante mais elle fut jugée satisfaisante au regard du poste précédant la mise à disposition16.
Au contraire, ne respecte pas son obligation de reclassement l’employeur qui affecte le salarié à un poste sans autonomie ni responsabilités opérationnelles et managériales alors que l’intéressé occupait avant son expatriation le poste de directeur d’exploitation d’une usine de 178 salariés17.
Dans le même sens, et tout récemment, la Cour de cassation a rappelé que lorsque l’offre de réintégration proposée par l’employeur n’est pas compatible avec l’importance des précédentes fonctions du salarié au sein de la société mère, avant son licenciement par la filiale étrangère, elle ne peut être considérée comme sérieuse18.
S’agissant du niveau de rémunération, la jurisprudence considère le plus souvent que l’employeur n’est pas tenu de conserver le niveau de rémunération qui était celui du salarié pendant l’expatriation19. Cette baisse de rémunération, qui s’explique par le fait que le salarié ne travaille plus à l’étranger, n’est pas considérée comme une modification du contrat de travail20. En quelque sorte, le salaire fixé lors de l’expatriation (salaire à proprement parler mais aussi les autres avantages telle la prime d’expatriation) constitue la contrepartie du départ à l’étranger. Ainsi, les efforts particuliers d’adaptation que suppose un emploi à l’étranger sont la cause d’un salaire plus élevé, comparaison prise avec ceux des salariés qui demeurent en France et qui ne supportent donc pas les contraintes propres à un tel départ. Une baisse de salaire lors du retour en France s’impose donc au salarié, en ce qu’elle ne constitue pas une modification du contrat de travail, et le refus d’une telle offre peut être considéré comme fautif21.
Au total, la garantie visée par l’article L. 1231-5 du Code du travail couvre l’importance des précédentes fonctions au sein de la société mère, entendues comme des responsabilités, à l’exclusion d’une quelconque garantie du niveau de salaire perçu au sein de la filiale.
III – La possibilité d’un licenciement prononcé par la société mère en cas d’impossibilité de reclassement ou de refus du salarié des propositions de reclassement
La possibilité offerte à la société mère de licencier le salarié est expressément prévue par l’article L. 1231-5 du Code du travail précité.
Si la société mère rompt le contrat de travail qui l’unit au salarié, elle doit motiver cette rupture par une cause réelle et sérieuse qui reposera sur un motif personnel ou économique. Dans les faits, il s’agira le plus souvent d’un licenciement consécutif à une impossibilité de reclassement ou encore à un refus de reclassement.
L’ensemble du droit français est applicable à la rupture, qu’il s’agisse de la procédure ou des indemnités de rupture ; ces indemnités doivent donc refléter l’ancienneté acquise au sein de la filiale22. Très concrètement, le salarié aura donc droit à une indemnité de licenciement qui intègre l’ancienneté acquise auprès de la filiale.
En outre, aussi singulier que cela puisse paraitre de prime abord, le salarié peut être licencié successivement par la filiale puis par la société mère.
En effet, selon la jurisprudence, la seule rupture du contrat par la filiale ne peut suffire à rompre le contrat de travail conclu avec la société mère. Celle-ci ne peut donc se contenter de confirmer la rupture du contrat de travail par la filiale23.
Dans ce même arrêt, la Cour de cassation a estimé que les juges du fond devaient « statuer séparément sur les deux licenciements et (…) examiner si chacun d’eux avait une cause réelle et sérieuse »24. Autant dire que, sur le papier, rupture sur rupture vaut, mais qu’en pratique le risque prud’hommal s’en voit bel et bien démultiplié.
Les modalités d’indemnisation du salarié restent toutefois soumises à la règle de non-cumul des indemnités de licenciement. La société mère pourra en assumer la totalité ou opérer une répartition proportionnelle en considération des périodes d’emploi25.
La Cour de cassation a également affirmé sur ce sujet que « les indemnités de rupture auxquelles peut prétendre le salarié mis par la société au service de laquelle il était engagé à la disposition d’une filiale étrangère au titre de son licenciement prononcé par la société mère après que la filiale a mis fin à son détachement doivent être calculées par référence aux salaires perçus par le salarié dans son dernier emploi »26.
Cette approche est donc très favorable au salarié qui perçoit des indemnités tenant compte du dernier emploi, souvent mieux valorisé que l’emploi initial au service de la société mère. L’employeur qui satisfait à son obligation de reclassement sécurise la rupture éventuelle du contrat de travail qui succèdera à sa proposition.
Ainsi, lorsque l’employeur met tout en œuvre pour assurer la réintégration du salarié, lui propose un emploi compatible et que le salarié refuse, la prise d’acte par ce dernier produit les effets d’une démission27. De même, le refus d’accepter un tel emploi compatible peut justifier un licenciement fondé sur une faute simple, voire sur une faute grave, suivant les circonstances de l’espèce.
Par exemple, le salarié qui se voit proposer un emploi, avant la date connue de son retour en France, présentant des caractéristiques équivalentes (responsabilités et salaire) au poste qu’il occupait avant son détachement ne peut reprocher à son employeur un manquement à l’obligation de reclassement. Dès lors que l’entreprise avait accepté de garder à sa charge les frais de scolarité des enfants et laissé au salarié le temps d’organiser son retour en France, son licenciement est justifié28. En l’occurrence, le licenciement avait été prononcé pour cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire pour faute simple.
Le salarié peut donc être sanctionné pour avoir refusé une offre sérieuse et loyale. L’appréciation de cette offre par les conseillers prud’homaux intègre également, comme nous l’avons vu, le prisme de la vie personnelle et familiale.
Précisément, dans l’arrêt précité, la société mère avait tardivement proposé un reclassement au salarié, à savoir 13 jours avant le terme de la période de détachement. La Cour de cassation a cependant relevé que cette proposition avait bien été faite avant la date connue du retour prévu en France du salarié et que l’employeur avait par ailleurs fait preuve d’une certaine souplesse, témoignant ainsi – entre les lignes – de sa loyauté29.
En revanche, le reclassement dans un contexte où le licenciement économique est envisagé est une obligation pour l’employeur et un droit pour le salarié. Il doit être recherché dans l’ensemble du groupe, exception faite des entités qui ne se situent pas sur le sol national30.
Cette obligation ne s’éteint que lorsque toutes les recherches de postes disponibles ont été effectuées. L’employeur doit ainsi effectuer ces recherches dans l’ensemble du groupe et le juge doit vérifier qu’il s’y est livré31. Le fait que le salarié refuse un poste proposé ne dégage pas l’employeur de l’obligation d’en chercher d’autres.
La Cour de cassation reconnait en effet au salarié un droit au refus. Il en résulte qu’un licenciement ne peut pas être prononcé pour faute grave en raison du refus d’un reclassement impliquant une modification du contrat32. La Cour n’écarte cependant pas un éventuel abus du salarié dans l’exercice de son droit, abus qui pourrait résulter du refus systématique de postes n’entrainant qu’un simple changement des conditions de travail.
La sanction de cet abus ne peut se traduire par un licenciement disciplinaire mais tient finalement à la sécurisation de la procédure de licenciement pour motif économique menée par l’employeur au motif de l’impossibilité de reclassement. Ainsi, dans ce type de cas, la Cour de cassation souligne les efforts de reclassement accomplis par l’employeur et considère que la rupture repose sur une cause réelle et sérieuse33.
Le retour du salarié à l’issue de sa mission à l’étranger apparait donc comme un évènement fondamental qu’il convient d’appréhender dans toute sa complexité et qui doit en tant que tel être anticipé au mieux, et à l’évidence, avant le départ du salarié. Il en va de la sécurité juridique inhérente à ce projet de mobilité, tant en ce qui concerne l’employeur que le salarié. La crise sanitaire actuelle peut servir de support à une renégociation des conditions de travail du salarié et permettre, parallèlement, d’ouvrir une discussion visant à l’amélioration de ce qui avait été conclu initialement lors de l’envoi du salarié à l’étranger.
Notes de bas de pages
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1.
Pour des critères distinctifs suivant la forme de mobilité, v. notre proposition : M. Maudet-Bendahan, La mobilité géographique du travailleur salarié au sein de l’Union européenne, 2012, LGDJ.
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2.
Sur cette condition d’application de l’article L. 1231-5 du Code du travail, s’agissant des rapports société mère/filiale, v. Cass. soc., avis, 8 juill. 2021, n° 21-70012 : « 3. Par l'emploi des termes “société mère” et “filiale”, éclairés par les travaux parlementaires de la loi du 13 juillet 1973, ce texte doit être interprété comme subordonnant les garanties de rapatriement et de réintégration dont répond la société qui met à disposition le salarié au contrôle que celle-ci exerce sur la société d'accueil, auteur du licenciement. 4. Par arrêt publié du 13 novembre 2008 (pourvoi n° 06-42.583, Bull. 2008, V, n° 214), en considération du contrôle de la filiale à la date de la rupture du contrat de travail, la chambre sociale a jugé qu'il appartient à la société mère de prendre l'initiative du rapatriement du salarié et de lui proposer un reclassement dès la rupture du contrat de travail du salarié avec la société filiale. 5. Il en résulte que la société mère qui a mis un salarié à disposition d'une filiale étrangère est tenue aux obligations prévues à l’article L. 1231-5 du Code du travail dans la mesure où, à la date du licenciement de ce salarié, elle contrôle cette dernière société ». Outre la mise en évidence de cette condition de contrôle exercé par la société mère sur la filiale, cet arrêt présente le mérite de rappeler la date à laquelle il convient de déterminer si les conditions d’application de l’article L. 1231-5 du Code du travail sont réunies. Il s’agit bien de la date de rupture du contrat de travail avec la filiale et non pas de la date de mise à disposition du salarié à l’étranger.
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3.
Cass. soc., 27 juin 2012, n° 10-23408.
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4.
À noter que dans le cas où l’employeur entend rompre le contrat de travail initial en opérant un transfert intragroupe, il lui revient de démontrer l’existence de la rupture amiable. Il doit en effet pouvoir « justifier de la signature d'une convention de rupture signée par les parties » : Cass. soc., 14 avr. 2021, n° 19-15185. Dans cet arrêt, le salarié avait seulement été informé de la rupture du contrat de travail et avait parallèlement commencé à travailler au service du nouvel employeur. Cette pratique est condamnée par la Cour de cassation. Il convenait dans cette hypothèse de faire signer au salarié une convention tripartite matérialisant la rupture amiable, d’une part, et le maintien de la relation de travail avec le nouvel employeur, d’autre part.
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5.
Cass. soc., 26 mai 2016, n° 15-12448 : « Mais attendu que, selon l'article L. 1231-5 du Code du travail, lorsqu'un salarié, mis par la société au service de laquelle il était engagé à la disposition d'une filiale étrangère à laquelle il est lié par un contrat de travail, est licencié par cette filiale, la société mère doit assurer son rapatriement et lui procurer un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère ; que ce texte ne subordonne pas son application au maintien d'un contrat de travail entre le salarié et la société mère. Et attendu qu'après avoir exactement rappelé qu'en vertu de ce texte les obligations de la société mère à l'égard du salarié naissent de la rupture du contrat de travail avec la filiale quelle qu'en soit la cause (…) ». Dans le même sens : Cass. soc., 1er juillet 2020, n° 18-24011. À noter un arrêt contraire rendu en 2015, concluant à l’absence d’obligation de rapatriement et de reclassement. Dans cet arrêt, cependant, la dernière mobilité du salarié s’était opérée entre deux filiales : Cass. soc., 28 oct. 2015, n° 14-16299. Si la Cour de cassation ne se fonde pas directement sur ce motif, il peut constituer un critère explicatif restituant une certaine logique à l’ensemble.
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6.
En ce sens, v. E. Doutriaux et H. Guyot, « Le retour des salariés expatriés », JSL, n° 396. Ces auteurs et praticiens préconisent également de prévoir contractuellement un délai de prévenance en cas de terme incertain.
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7.
En ce sens, v. Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-24366 : la Cour de cassation a en effet pris le soin de rappeler que « la réintégration du salarié à l'issue d'un détachement ne résulte pas de la mise en œuvre d'une clause de mobilité géographique mais du terme du détachement », pour considérer que le refus par un salarié d’accepter une proposition de poste équivalent à celui précédemment occupé au sein de la société mère était fautif ; dans cet arrêt, le nouveau poste se situait non pas au lieu d’exécution initial du contrat de travail à Rennes, mais à Vélizy. Cette solution souligne bien la différence entre un retour de mobilité et une clause de mobilité. L’employeur n’est donc pas soumis aux mêmes contraintes qu’en présence d’une clause de mobilité lorsqu’il organise le rapatriement et le reclassement d’un salarié. En particulier, la clause de retour n'est pas illicite en ce qu'elle ne précise pas sa zone géographique d'application. Dès lors, la clause de l’avenant au contrat de travail du salarié prévoyant sa réintégration « dans le groupe » à l’issue de son détachement est valable. Pour autant, l’arrêt laisse entrevoir une possibilité offerte au salarié d’échapper au pouvoir de direction de l’employeur s’il peut justifier que l'affectation refusée porte une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle et familiale. En ce sens, la Cour de cassation puise dans sa jurisprudence classique, rendue en matière de clause de mobilité, pour mettre en échec une proposition de réaffectation du salarié. En l’espèce, le salarié ne pouvait démontrer une telle situation portant atteinte à sa vie personnelle et familiale.
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8.
Cass. soc., 27 juin 2012, n° 10-23408.
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9.
Cass. soc., 5 mai 1982, n° 80-40481.
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10.
Cass. soc., 20 oct. 2016, n° 15-17526.
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11.
Cass. soc., 21 nov. 2012, n° 10-17978 ; v. aussi dans le cas d’une démission assortie de griefs adressés à l’employeur s’analysant en une prise d’acte : Cass. soc., 19 oct. 2017, n° 16-18854.
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12.
Cass. soc., 21 nov. 2012, n° 10-17978.
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13.
Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-70306.
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14.
C. trav., art. L. 1231-5 : « Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein (…) ».
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15.
V. deux solutions contraires mais isolées : Cass. soc., 23 juin 2010, n° 08-40581 et Cass. soc., 24 juin 2015, n° 13-25522 : v. à propos de ces arrêts, S. Dumas et M. Le Roy, « Rapatriement et reclassement en France d’un salarié envoyé à l’étranger », Les Cahiers du DRH 1er septembre 2018, n°256. Ces auteurs et praticiens proposent une explication intéressante afin d’interpréter ces arrêts dissidents, tenant à la qualité « d’expatriés professionnels » des salariés concernés : « La plus grande prudence s’impose dans la recherche de poste comparable ou équivalent de reclassement, a fortiori lorsqu’il s’agit “d’expatriés professionnels” qui ont quitté depuis 10 ou 20 ans l’entreprise d’origine, qui ont eu une progression de carrière interne très significative, et qu’il parait donc exclu de réintégrer sur des niveaux de postes comparables à ceux qu’ils occupaient avant leur départ à l’étranger ».
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16.
Cass. soc., 16 févr. 1989, n° 86-45720.
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17.
Cass. soc., 20 févr. 2008, n° 07-40102 : « Mais attendu qu'ayant relevé que M. X occupait avant son expatriation le poste de directeur d'exploitation d'une usine avec une unité de 178 salariés, la cour d'appel a, sans dénaturation, constaté qu'il avait été affecté, à son retour, à un poste sans autonomie ni responsabilités opérationnelles et “managériales” et que la société Tréfileries de Conflandey, qui l'avait ainsi “mis au placard”, avait divulgué à l'ensemble des cadres les accusations qu'elle faisait peser sur lui ; qu'ayant retenu que la violation par l'employeur de ses obligations justifiait la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ».
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18.
Cass. soc., 14 oct. 2020, n° 19-12275.
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19.
Cass. soc., 16 févr. 1989, n° 86-45720 : « Mais attendu que la cour d'appel a relevé que M. B., qui avait accepté la décision de le rapatrier et consenti à exercer depuis octobre 1983 en France un emploi compatible avec ses fonctions antérieures, ne pouvait prétendre conserver le niveau de rémunération qui ne lui était garanti que pour des missions à l'étranger, compte tenu des sujétions particulières qui en découlaient ».
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20.
Pour une solution contraire, mais isolée, et dans un cas où l’article L. 1231-5 du Code du travail n’était pas applicable : Cass. soc., 3 mai 2016, n° 14-25724.
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21.
Hors le cas particulier d’un licenciement qui serait fondé sur un motif économique et pour lequel le refus de reclassement est appréhendé comme un droit du salarié.
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22.
C. trav., art. L. 1231-5.
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23.
Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40544.
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24.
Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40544.
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25.
Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40544.
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26.
Cass. soc., 27 oct. 2004, n° 02-40648.
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27.
Cass. soc., 9 avr. 2008, n° 06-45384.
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28.
Cass. soc., 7 févr. 2018, n° 16-18946.
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29.
Cass. soc., 7 févr. 2018, n° 16-18946 : « La société, en différant sa prise de poste au 1er avril 2013 et en acceptant de garder à sa charge les frais de scolarité de ses enfants jusqu'en avril, lui avait laissé le temps d'organiser son retour en France ».
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30.
Suivant la nouvelle rédaction de l’article L. 1233-4 du Code du travail.
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31.
Cass. soc., 31 oct. 2006, n° 05-43148.
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32.
Cass. soc., 29 janv. 2003, n° 00-46322.
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33.
Cass. soc., 8 juill. 1998, n° 97-43530 ; Cass. soc., 17 févr. 1998, n° 95-43095.
Référence : AJU003k8