La justice sonne-t-elle déjà le glas de l’action de groupe en discrimination syndicale ?
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 15 décembre 2020 dans l’affaire opposant 36 adhérents de la CGT de la Métallurgie au groupe Safran Aircraft Engines était très attendu. Et pour cause, il s’agit de la première application de la nouvelle action de groupe en discrimination syndicale. Le choix par le tribunal de privilégier la non-rétroactivité de la loi semble en réduire pour quelques années le champ d’application puisque ne pourront être invoqués que les faits postérieurs à la publication de la loi le 20 novembre 2016. Les explications de Me Laura Bertrand.
Par un jugement rendu le 15 décembre 2020, en présence effective du Défenseur des droits, le tribunal judiciaire de Paris a, pour la 1re fois, tranché un litige de discrimination syndicale au visa de la Loi 2016-1547 du 18 novembre 2016, codifiée aux articles L.1134-6 et suivants du Code du travail.
Le Tribunal déboute la Fédération CGT de la Métallurgie de ses demandes de cessation de manquements de discrimination allégués à l’égard d’un certain nombre de collaborateurs syndiqués de la société Safran Aircraft Engines, et des demandes de réparation des préjudices revendiqués, en limitant la période d’examen des situations entre le 20 novembre 2016, date de publication de la Loi 2016-1547, et le 30 mars 2018, date de l’assignation introductive d’instance.
En effet, sur un panel de 36 situations individuelles présentées par le syndicat, le Tribunal juge que les faits ou les manquements argués de discrimination syndicale devaient être appréciés non pas à la date des faits allégués, mais bien à date de publication de la loi et que les éléments postérieurs à cette date (par hypothèse réduits) étaient très largement insuffisants pour objectiver ces discriminations.
Un appel a, semble-t-il, été interjeté.
Le mécanisme de la nouvelle action de groupe
Il faut brièvement rappeler que la Loi du 18 novembre 2016 permet à des organisations syndicales d’introduire une action de groupe devant le Juge judiciaire en vue de faire cesser le manquement et/ou obtenir réparation du préjudice subi lorsque plusieurs salariés s’estiment victimes d’une discrimination.
Une action de groupe peut donc être exercée devant le tribunal judiciaire lorsque plusieurs salariés, placés dans une situation similaire, font l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur le même motif et imputable à un même employeur.
Cette action peut être engagée soit par une organisation syndicale de salariés, mais représentative, ou une association régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans, et œuvrant contre les discriminations.
La loi aménage un mécanisme particulier qui commence, avant toute assignation, par une demande à l’employeur de faire cesser la situation de discrimination alléguée.
L’employeur doit saisir le CSE dans un délai d’un mois, pour l’informer de cette action, et ce, pour engager une discussion sur les mesures permettant de mettre fin à la situation de discrimination alléguée.
Si dans un délai de 6 mois, l’employeur n’a pris aucune mesure, ou bien réfute toute discrimination, l’organisation syndicale, ou l’association, peut engager une action devant le tribunal judiciaire pour faire cesser le manquement et/ou obtenir réparation des préjudices subis.
Il est à noter que cette procédure suspend la prescription de l’action individuelle en discrimination qui, comme chacun sait, est de 5 ans.
Choisir entre la non-rétroactivité de la loi et l’effectivité du droit à la non-discrimination
L’apport majeur de cette décision concerne donc la date d’appréciation des faits de discrimination allégués.
En effet pour appréhender ces faits, le tribunal avait un choix, soit mettre en avant une non-rétroactivité de la loi et apprécier les situations de discrimination alléguée à compter de la publication de la loi ou bien, comme réclamé par le syndicat demandeur et le Défenseur des droits, appliquer un principe d’effectivité du droit à la non-discrimination et examiner des faits antérieurs à la publication de la loi.
La solution retenue par le tribunal sonne, à notre sens, le glas des actions de groupe sur le sujet pour quelques années, sauf si la cour d’appel de Paris et le cas échéant la Cour de cassation font choix du principe d’effectivité de la loi sur les discriminations.
Notons aussi que la demande d’examen de la légalité de l’accord collectif sur le droit syndical et les institutions représentatives du personnel signé au sein du groupe Safran le 30 janvier 2009 est également écartée au nom de ce principe de non-rétroactivité.
Ce choix va très probablement rouvrir les contentieux individuels devant les juridictions prud’homales (actions que la CGT de la Métallurgie avait choisies auparavant contre Snecma devenu Safran comme rappelé dans le jugement) ou bien pénales, ce qu’avait cherché à éviter le législateur, lequel pourrait être invité à modifier la loi.
Pour consulter le jugement en intégralité c’est ici : Jugement du TJ Paris 15 décembre 2020
Référence : AJU124663