Salariés les plus précaires : les sacrifiés du passe sanitaire
Le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire est examiné en commission mixte paritaire ce mardi 2 novembre. Parmi les principales dispositions de ce texte figure le passe sanitaire. Me Michèle Bauer rappelle à cette occasion qu’il représente un coût non négligeable pour les salariés les plus précaires en raison du déremboursement des tests.
Le 2 novembre 2021, la commission mixte paritaire doit se réunir pour s’accorder sur le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, projet sérieusement amendé par le Sénat.
Le passe sanitaire qui était une disposition « phare » de la loi sur la gestion de la crise sanitaire risque d’être maintenu, soit territorialement en tenant compte du taux de vaccination et de la circulation du virus, soit comme aujourd’hui sur tout le territoire national sans distinction.
Ce passe sanitaire a été mis en œuvre officiellement pour limiter la propagation du virus, officieusement, pour inciter fortement les citoyens à se faire vacciner.
Rappelons que le passe sanitaire est un justificatif d’une vaccination, d’un test « covid » négatif de moins de 72 heures ou d’un certificat de rétablissement.
Il n’existe pas d’obligation vaccinale en France, à part pour les soignants.
Validé parce que sanitaire et non vaccinal
Le Conseil constitutionnel a validé ce passe sanitaire parce qu’il était sanitaire et non vaccinal (décision du 5 août 2021) : « les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être satisfaites par la présentation aussi bien d’un justificatif de statut vaccinal, du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination. Ainsi, ces dispositions n’instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. »
Dans son avis du 19 juillet 2021, le Conseil d’Etat avait alerté : « Le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur la circonstance que l’appréciation ainsi portée sur le caractère proportionné de l’atteinte aux libertés fondamentales résultant de l’application du dispositif devrait nécessairement être réévaluée, soit en cas d’amélioration des perspectives sanitaires concernant les hospitalisations et admissions en soins critiques, soit s’il était décidé de rendre payants les tests de dépistage ou encore de limiter leur durée de validité. »
Fin du remboursement des tests de confort
Avant la discussion sur le projet de loi portant sur diverses dispositions de vigilance sanitaire, par un arrêté du 14 octobre 2021, le gouvernement a mis fin à la prise en charge des tests de détection du SAR-COV2 pour les non vaccinés. A grand renfort d’annonces, le Ministre des solidarités et de la santé a dit mettre fin au remboursement des tests qu’il a qualifié de « conforts ».
Or, un passe sanitaire est exigé pour se rendre dans les hôpitaux, ce qui signifie qu’une personne non vaccinée devra payer les tests pour se faire soigner ou pour venir soutenir un proche. Ce test peut difficilement être qualifié de « confort ».
En revanche, une personne vaccinée qui aura besoin d’un test PCR demandé par les compagnies aériennes pour se rendre en vacances à l’étranger ne le paiera pas, de par son seul statut vaccinal, elle pourra être remboursée de ce test de confort.
Payer pour travailler ? Le Conseil d’État valide
Le passe sanitaire est exigé pour certains salariés depuis la loi sur la gestion de la crise sanitaire du mois d’août 2021.
Certains secteurs d’activités de loisirs, de restauration notamment sont concernés.
A partir du 15 octobre 2021, les salariés qui se faisaient tester pour pouvoir « valider » leur passe sanitaire ont dû « payer pour travailler », les employeurs ne sont pas tenus de prendre en charge ces tests qui ne sont pas des frais professionnels. Dans les faits, certains employeurs le font, ils sont rares.
Eu égard à cette rupture du principe d’égalité, plusieurs requérants dont le syndicat Union Solidaires ont contesté cet arrêté en déposant un référé liberté pour certains, un référé suspension pour d’autres, devant le Conseil d’Etat.
Par une ordonnance du 29 octobre 2021, juridiquement peu compréhensible, le Conseil d’Etat rejette les demandes des différents requérants (consulter le texte intégral de l’ordonnance au pied de l’article).
Clairement, cette haute juridiction a souhaité sauver l’arrêté du 14 octobre 2021, envers et contre tous les principes juridiques les plus essentiels.
Pour le Conseil d’Etat, il n’y aurait pas d’atteinte disproportionnée aux droits et libertés fondamentales. En effet, aucun texte international ou national n’impose à l’assurance maladie le remboursement d’un examen de biologie. Par ailleurs, le développement d’un accès gratuit à la vaccination, la charge financière que représente ces tests pour le budget de l’Etat justifient qu’il soit mis fin à leur prise en charge. Le Conseil d’Etat oublie que ce test conditionne pour les non-vaccinés l’octroi du passe sanitaire pour aller travailler notamment.
Tous les salariés n’ont pas de solution de substitution
Pour les salariés, le Conseil d’Etat considère qu’il existe des solutions de substitution et que la fin de la prise en charge ne saurait être regardée comme ayant pour objet ni pour effet de contraindre à la vaccination.
Or, un salarié travaillant dans la restauration, par exemple comme serveur, en contact direct avec la clientèle, ne pourra pas trouver de solution de substitution : pas de possibilité de télétravail, de même le reclassement sera difficile un serveur ne pourra prendre le poste de cuisinier sans une formation préalable.
Le Conseil d’Etat est « hors sol », il ne connaît pas le monde de l’entreprise et encore moins les conditions de vie des personnes exerçant des métiers précaires pour lesquels il est exigé le passe sanitaire.
« (..) Le prix des tests […] n’est pas d’une importance telle que la mesure contestée puisse être regardée comme ayant pour effet de d’empêcher les personnes concernées d’y recourir », cette partie de la motivation démontre cette déconnexion du Conseil d’Etat. Un salarié qui ne se fait pas tester par confort mais pour travailler devra débourser le prix d’un test toutes les 72 heures, soit entre 25 et 50 euros selon les lieux, ce qui représente entre 125 et 250 euros par mois ; une somme importante lorsque le salarié est payé au SMIC (rappel le SMIC est à 1230 euros net par mois). Le salarié subira ainsi une amputation de salaire de 10% minimum chaque mois.
L’auto-test est cher aussi
C’est pourquoi, sans doute pour atténuer la violence financière de son ordonnance, le Conseil d’Etat a considéré que la suppression des auto-tests pour pouvoir bénéficier du passe sanitaire portait une atteinte grave et immédiate à la situation des requérants. Ces auto-tests sont moins couteux : 12,50 euros, ils doivent être effectué sous la supervision d’un pharmacien. Même à 12,50 euros l’auto-test, le salarié devra encore débourser 62,50 euros par mois pour pouvoir exercer ses fonctions.
Pour finir, le Conseil d’Etat a considéré que l’article L4211-2 du code du travail (il y a une coquille dans l’ordonnance, en réalité L 4122-2 du code du travail) ne pouvait être invoqué pour justifier de la prise en charge par l’assurance maladie des tests. Cet article dispose : « Les mesures prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs. ».
Pour le Conseil d’Etat présenter un passe sanitaire pour exercer son activité ne constitue pas une mesure prise en matière de santé et de sécurité. On pensait naïvement que le passe sanitaire avait été mis en place pour éviter la propagation du virus et par conséquent pour préserver la santé des citoyens dont certains sont des salariés.
Le RSA en suspens
Les salariés les plus précaires sont les sacrifiés de ce passe sanitaire. S’ils ne le présentent pas, ils peuvent être suspendus, donc privés de rémunération et enfermés dans un contrat de travail dont ils ne peuvent sortir que par la démission. Ils s’enfoncent alors un peu plus dans la précarité, la démission ne donnant pas droit aux allocations chômage.
Lorsque l’on ne peut pas bénéficier des allocations chômage, il y a le RSA objectera-t-on ? Ce n’est même plus certain. Le 30 octobre 2021, certains départements dont la Gironde ont dénoncé une décision du Ministre des solidarités et de la santé « ordonnant » le versement immédiat du RSA aux personnes privées d’emploi suite à un refus d’obligation de vaccination. Quinze départements rappellent dans une lettre commune le but du RSA qui est d’insérer et d’accompagner. Ce sont les départements qui financent en grande partie le RSA, ils refusent légitiment de prendre en charge des personnes qui sont privées d’emploi du fait d’une politique nationale.
Cependant, les représentants des départements oublient l’article L262-2 du Code de l’action sociale et des familles qui dispose : « Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un montant forfaitaire, a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre. »
Si l’ancien salarié ou personnel soignant remplit les conditions pour bénéficier de cette aide, elle ne pourra lui être refusée au prétexte qu’il a été privé d’emploi car il a refusé de se faire vacciner.
On peut d’ailleurs se demander comment les caisses d’allocations familiales contrôleront et sélectionneront parmi les salariés qui ne trouvent pas d’emploi et ceux qui ont quitté leur emploi car ils ne pouvaient plus justifier d’un passe sanitaire par exemple.
Une discrimination de plus qui ne semble gêner personne, l’essentiel est de ne surtout pas prendre en charge les mauvais élèves qui n’ont pas compris que le passe sanitaire était un passe vaccinal.
Référence : AJU252597