Un juge départiteur invalide le barème des indemnitésde licenciement en se fondant sur sa contrariété avecles normes internationales
En se fondant sur sa contrariété avec les normes internationales, c’est aujourd’huiun conseil de prud’hommes dans une formation présidée par un juge départiteur qui invalide le barème des indemnités de licenciement.
Cons. prud’h. Agen, 5 févr. 2019, no 18-00049
Une salariée a été embauchée en contrat à durée indéterminé à temps partiel en qualité de vendeuse. Lorsque la salariée s’est présentée à son poste de travail, l’employeur lui a dit que son contrat de travail était terminé, et qu’il envisageait une rupture conventionnelle. L’inspection du travail en a refusé l’homologation.
Procédure
La salariée a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de prise d’acte de rupture en raison des graves manquements de l’employeur à ses obligations, et a demandé au conseil de lui accorder diverses sommes dont une indemnité de licenciement, supérieure à celle prévue par le barème des indemnités de licenciement qu’elle jugeait inapplicable en raison de sa contrariété avec les normes internationales relatives à la question, ce qui justifiait, selon elle que ce plafond soit écarté. Le bureau de jugement, s’étant déclaré en partage de voix, l’affaire a été examinée à l’audience de départage.
Arguments des parties
La demanderesse reprochait à son employeur des faits qui selon elle justifiaient de sa part la prise d’acte de la rupture du contrat produisant les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle sollicitait donc la réparation intégrale de son préjudice et par voie de conséquence l’inapplicabilité du barème plafonnant les indemnités de licenciement1 en raison de son inconventionnalité pour cause de sa contrariété avec des conventions internationales2. Elle a fait valoir que le barème fixé limite son indemnisation à 3,5 mois de salaire compte tenu de son ancienneté3, ce qui lui permet de n’obtenir qu’une indemnité largement inférieure au préjudice qu’elle a réellement subi et qui ne peut être dissuasif4.
Argumentation du défendeur
L’employeur, défenderesse, a demandé au conseil de dire et juger que la prise d’acte de rupture du contrat de travail doit s’analyser en une démission. À titre subsidiaire de voir fixer l’indemnité compensatrice, l’indemnité de licenciement à la somme de 355,95 €, soit un demi-mois de salaire, car il conviendrait de limiter l’indemnité de licenciement à la somme de 355,95 €, correspondant à l’application du barème car il y a pas lieu de ne pas faire droit aux demandes basées sur l’inapplicabilité du barème5 qui a été jugé conforme à la constitution6. Nous noterons que dans cette décision le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur la contrariété de celui-ci avec les normes internationales, question dont il n’était pas saisi.
L’employeur a indiqué également, sans autre justification que ces affirmations, que la charte sociale européenne n’est pas d’application directe en droit interne, et que le Comité européen des droits sociaux n’a jamais imposé aux juridictions nationales la reconnaissance de l’applicabilité directe de la charte qu’en conséquence, il doit être fait application des dispositions du barème7, si bien que la demanderesse ne saurait prétendre à une indemnité supérieure à un demi-mois de salaire.
Problème de droit
Le problème de la rupture conventionnelle8 ne se posant plus du fait du refus de l’inspection du travail9, et le juge ayant estimé qu’au vu des faits produits devant lui la prise d’acte10 de la rupture invoquée était fondée sur un comportement suffisamment grave11 de l’employeur, elle devait produire les effets d’un licenciement sans cause et sérieuse12. La salariée, se fondant sur ce point demandait une indemnité de licenciement supérieure à celle prévue par le barème des indemnités de licenciement13, en contradiction avec les normes internationales14, le problème de droit qui restait à trancher est celui de savoir si le barème des indemnités de licenciement est ou non conforme aux normes internationales émises par l’Organisation internationale du travail (OIT) et à celles qui ressortent de la charte sociale européenne et de son interprétation, question qui a déjà été tranchée par d’autres juridictions15 dans le sens de l’inconventionnalité du barème et reprise dans cette décision du conseil de prud’homme présidé par le juge départiteur16, qui sera désormais désigné parmi les juges du tribunal de grande instance et non plus du tribunal d’instance17 qui rappelle des principes (I) avant d’en faire application à l’espèce qu’il avait à juger (II).
I – Rappel des principes
Dans une décision plus pédagogique qu’innovante, sa seule nouveauté étant d’avoir été rendue non plus par des juges issus du milieu professionnel18, mais avec le concours d’un juge de profession, le jugement rappelle les principes applicables, puis conclut à l’invalidité du barème pour cause d’inconventionnalité en raison de sa contrariété avec les normes internationales19 avant d’en faire application aux faits de l’espèce qu’il avait à juger pour accorder au justiciable concerné une indemnité supérieure à celle prévue par le barème20.
En vue d’obtenir la réparation intégrale du préjudice résultant de la rupture de son contrat de travail par la faute de son employeur, la salariée a sollicité que soit déclaré inapplicable le plafond des indemnités de licenciement21 en raison de son inconventionnalité, due à sa contradiction avec la convention de l’OIT relative aux licenciements qui prévoit que si les tribunaux arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié et qu’ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée22. Elle a aussi invoqué la charte sociale européenne, ayant valeur de traité international, qui dispose que les parties s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée23, selon la constitution, les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois24, le contrôle de la conformité des lois aux conventions internationales appartenant aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’État25, celles-ci peuvent écarter l’application d’une norme interne contraire à un texte international26. Tel a été le cas pour le contrat « nouvelle embauche »27 jugé contraire à la convention de l’OIT relative au licenciement28. Les dispositions, pour celles de la convention OIT29 et celles de la charte sociale européenne30 sont directement invocables devant les juridictions nationales31. Ce qui permet d’invoquer ce qui a été décidé par le Comité européen des droits sociaux en charge de l’interprétation de la charte sociale européenne, qui a énoncé que les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime, de sorte que tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe contraire à la charte, dès lors que le plafonnement de l’indemnisation prévue par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi32. En réduisant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à des plafonds trop bas, la sanction de la violation de la loi perd son effet dissuasif à l’égard des employeurs et viole la charte sociale européenne33.
Dans le même sens, la convention OIT sur le licenciement, ratifiée par la France, dispose que si les tribunaux arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié et qu’ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée34. Il apparaît ainsi, que les chiffres du barème français35 paraissent bien inférieurs à ceux qui devraient logiquement ressortir de l’application des normes de l’OIT et de ce qui est indiqué par le Comité européen des droits sociaux. Ce qui le fragilise en permettant aux juges d’écarter son application dans les litiges dont ils sont saisis36.
II – Application
En l’espèce, le barème37 limite l’indemnisation de la salariée à 3,5 mois de salaire compte tenu de son ancienneté. Or une ancienneté faible n’exclut pas la nécessité d’indemniser en fonction d’une situation personnelle rendant critique la perte d’emploi (âge, situation de famille, handicap…), d’une situation professionnelle rendant la recherche d’un nouvel emploi plus difficile (éloignement géographique, spécialité rare…), permettant de caractériser un préjudice professionnel réel plus lourd que l’ancienneté ne permet de le mesurer (salarié démarché alors qu’il était en poste et a ainsi renoncé à l’ancienneté de son précédent contrat avant d’être finalement licencié…). Il n’existe en outre en droit interne aucune voie alternative pour que le salarié obtienne une indemnisation complémentaire dans le cadre de son licenciement, l’action lui permettant d’obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse étant exclusive de toute autre action en matière de responsabilité civile, de sorte que le juge prud’homal a l’obligation de fixer une seule et unique indemnisation pour tous les préjudices nés du licenciement.
Le jugement a donc estimé au vu de ces éléments que le barème établi38 ne permet pas dans tous les cas une indemnité adéquate ou une réparation appropriée en ne prévoyant pas des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par le salarié et que pour réparer réellement le préjudice subi par la salariée du fait de son licenciement il y a lieu d’écarter ses dispositions, en conséquence d’allouer à la salariée une somme de 3 045,12 €, correspondant à 4 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Conclusion
Ce jugement rejoint les décisions précédentes ayant estimé que le barème d’indemnisation des licenciements fixant des plafonds trop bas pour pouvoir réparer réellement le préjudice né d’un licenciement contraire aux normes internationales doit être écarté, permettant alors au juge de fixer un montant d’indemnités plus réaliste par rapport au dommage réellement subi.
Postérieurement à cette décision le ministère de la Justice a adressé aux procureurs généraux une circulaire qui paraît être une défense du barème, qui serait conforme aux normes internationales39. Il n’est pas certain que si elles étaient saisies, les juridictions internationales partageraient ce point de vue40.
Notes de bas de pages
-
1.
C. trav., art. L. 1235-3.
-
2.
Convention n° 158, art. 10, de l’OIT ratifiée par la France le 16 mars 1989 ; charte sociale européenne, 3 mai 1996, art. 24, ratifiée par la France le 7 mai 1999.
-
3.
C. trav., art. L. 1235-3 nouv.
-
4.
Charte sociale européenne, art. 24.
-
5.
C. trav., art. L. 1235-3.
-
6.
Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC.
-
7.
C. trav., art. L. 1235-3.
-
8.
C. trav., art. L. 1237-11 à 127-16 : Hemadache F.., « La rupture conventionnelle du contrat de travail », LPA 29 mars 2013, p. 9.
-
9.
C. trav., art. L. 12737-14.
-
10.
Lemoine É., « Prise d’acte de la rupture du contrat de travail », CSBP juill. 2007.
-
11.
Cass. soc., 19 janv. 2005, n° 00-44921: Bull. civ. V, n° 12 ; obs. Pansier F.-J. ; Gaz. Pal. 2 août 2005, n° GP20050802004CP078, p. 13 ; D. 2005, IR, p. 386, note Guiomard P.
-
12.
Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42335 ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42679 ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43578 ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-41150 ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-40235 : Bull. civ. V, n° 209 et n° 208 ; Gaz. Pal. Rec. 2003, som., p. 3282 ; n° 270, 27 sept. 2003, p. 28 ; LPA 13 oct. 2003, p. 9, note Bernard-Menoret R. ; LPA 28 juill. 2003, p. 4, note Picca G. et Sauret A. ; JCP E 2003, 1631, note Puigelier C. ; D. 2003, Jur., p. 2396, note Pelissier J. ; JCP E 2003, 2023, note Mazuyer E. ; JCP E 2003, 2056, chron. Cesaro J.-F. ; JCP G 2003, II 10138, note Mazuyer E.
-
13.
C. trav., art. L. 1235-3.
-
14.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10, ratifiée par la France le 16 mars 1989 ; Charte sociale européenne, 3 mai 1996, art. 24, ratifiée par la France le 7 mai 1999 ; C. trav., art. L. 1235-3 nouv.
-
15.
Cons. prud’h. Saint-Quentin, 10 sept. 2018, cité dans : Safar P. et Lamothe A., « Que va-t-il advenir du nouveau barème d’indemnisation prud’homale ? », BJT nov. 2018, n° 110q0, p. 163 – Cons. prud’h. Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538 ; indirectement Cons. prud’h. Nîmes, 5 févr. 2018,: Dr. ouvrier 2018, p. 610 – Cons. prud’h. Troyes, 13 déc. 2018, n° RGF00036 ; Cons. prud’h. Amiens, 19 déc. 2018, aff Fidèle T.; Cons. prud’h. Lyon, 21 déc. 2018, n° 18/01238 : Richevaux M., « L’avenir moins incertain du barème d’indemnisation des licenciements », LPA 7 févr. 2019, n° 142f5, p. 8.
-
16.
C. trav., art. R. 1454-29.
-
17.
Colonna J., « Réforme de la justice prud’homale », JCP E 2015, 1438, n° 38.
-
18.
Olszak N., « Mouvement ouvrier et système judiciaire », thèse, 1987, Strasbourg.
-
19.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10, ratifiée par la France le 16 mars 1989 ; Charte sociale européenne, 3 mai 1996, art. 24, ratifiée par la France le 7 mai 1999.
-
20.
C. trav., art. L. 1235-3.
-
21.
C. trav., art. L. 1235-3.
-
22.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10 sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989.
-
23.
Charte sociale européenne, 3 mai 1996, art. 24, ratifiée par la France le 7 mai 1999.
-
24.
Const., 4 oct. 1958, art. 55.
-
25.
Cons. const., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC ; Cons. const., 3 sept. 1986, n° 86-216 DC.
-
26.
Const., 4 oct. 1958, art. 55 : Lokiec P., « Indemnités prud’homales plafonnées : l’office du juge à l’épreuve du barème », Dalloz actualité, 31 oct. 2017.
-
27.
Cass. soc., 1er juill. 2008, n° 07-44124.
-
28.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10, sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989.
-
29.
CE, sect., 19 oct. 2005, n° 283471, CGT et a.
-
30.
CE, 10 févr. 2014, n° 359892, M. Fischer.
-
31.
Jeammaud A., « Sur l’applicabilité en France des conventions internationales du travail », Dr. sociétés 1986, p. 399 ; Verdier J.-M., « L’apport des normes de l’OIT au droit français du travail », études offertes à G. Lyon-Caen, 1989, Dalloz, p. 51 ; De Quenaudon R., « L’application par le juge français des droits sociaux fondamentaux affirmés par l’OIT et l’ONU », RDT 2007, p. 109 et p. 315.
-
32.
CEDS, 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finish Society of Social Rights c/ Finlande, § 45.
-
33.
Charte sociale européenne, art. 24.
-
34.
Convention n° 158 de l’OIT, art. 10 sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989.
-
35.
C. trav., art. L. 1235-3 nouv.
-
36.
Richevaux M., « L’avenir incertain du barème d’indemnisation des licenciements », LPA 30 nov. 2018, n° 140q1, p. 8.
-
37.
C. trav., art. L. 1235-3 nouv.
-
38.
C. trav., art. L. 1235-3 nouv.
-
39.
Circ. min. Justice n° C3/201910006558, 26 févr. 2019, objet conseils de prud’hommes ; C. trav., art. L. 1235-3, sur l’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
-
40.
Richevaux M., « L’avenir incertain du barème d’indemnisation des licenciements », LPA 30 nov. 2018, n° 140q1, p. 8.