Seine-Saint-Denis (93)

Relance du secteur aéronautique : l’Île-de-France en première ligne

Publié le 15/11/2021
Relance du secteur aéronautique : l’Île-de-France en première ligne
ljo57 / AdobeStock

Fortement impacté par la crise sanitaire, l’aéronautique se remet pourtant de la baisse drastique des passagers, avec une reprise forte du trafic. Pourtant, plus rien ne peut — ne doit ?— être comme avant. Entre nécessité de « verdir » le secteur et de nouvelles habitudes de consommation des passagers, le secteur est à la croisée des chemins. C’est aussi le cas à l’échelle francilienne, où de nombreuses PME cherchent à se moderniser, à innover, verdir ou relocaliser leur activité.

Un an et demi après le début de la crise sanitaire, comment se porte le secteur aéronautique ? Avec plus de 300 000 emplois industriels en découlant en France, les inquiétudes ont été multiples lors de l’arrêt quasi-total de l’aviation au printemps 2020. « L’industrie aéronautique a été l’une des industries les plus touchées par la crise sanitaire. Les difficultés des compagnies aériennes ont impacté en cascade les commandes d’avion et l’ensemble de la filière », confirme le ministère de l’Industrie lors d’un entretien. Finie la phase de croissance à deux chiffres et une période faste d’investissement, place à un coup d’arrêt brutal, aux fermetures d’aéroports entiers ou de terminaux, de réduction drastique de voyageurs. Pourtant, la situation aurait pu se révéler catastrophique. Face au « jamais vu », le gouvernement a proposé un plan de soutien dès juin 2020. « La filière a tenu bon grâce au dispositif d’urgence, les prêts garantis par l’État (PGE) et l’activité partielle, ainsi que l’activité partielle longue durée, qui ont permis d’éviter les licenciements massifs », analyse le ministère. Les fondamentaux de la filière ont été préservés en France. C’est notamment le cas du groupe d’Ametra, ingénieriste intégrateur dans les secteurs de l’aéronautique et du spatial, de la défense, du nucléaire et du ferroviaire. Anne-Charlotte Fredenucci, présidente du groupe, explique : « En 2009, nous avions subi une crise très grave qui avait entraîné un plan social et une procédure de sauvegarde. Cette expérience nous a amenés à opter pour un axe stratégique qui est celui de la différenciation. Ainsi nous ne dépendons de l’aérien qu’à 25 %. Le groupe est assez diversifié ». Cette capacité de remonter dans la chaîne de valeurs, a semble-t-il, fait ses preuves. Par ailleurs, n’étant pas directement « dans un secteur de fabrication, comme les « simples » sous-traitants » le groupe a longtemps été « épargné par la crise. Nous avons continué à travailler dans nos bureaux sur ces conceptions alors que les usines avaient fermé. Nous n’avons perdu que 10 % de notre activité », se satisfait Anne-Charotte Fredenucci. Chez Ametra, pas de plan social, l’emploi a été maintenu « et nous sommes restés positifs en fin d’année ». Si le choix a été fait de ne « pas distribuer de dividendes dans ce contexte, nous avons même pu faire l’acquisition d’une société de six millions d’euros, Styrel (qui fait de la conception et de l’intégration d’un système de vérification et de validation) ».

« Nous sommes face à une transition majeure »

Mais toutes les entreprises (PME et ETI en tête) liées au secteur aéronautique n’ont pas eu la chance d’Ametra. Le secteur de l’aéronautique, décrié pour sa très lourde empreinte carbone (il est responsable de 2 à 3 % des émissions carbone mondiales), doit se réinventer pour faire face aux défis de l’avenir.

En France, le « monde d’après » du secteur aéronautique est-il aussi à l’œuvre ? Quoi qu’il en soit, d’ici 2030, des investissements colossaux y seront faits, car « nous voulons réorienter vers la transition écologique et réduire les émissions à effet de serre », assure le ministère de l’Industrie.

Ainsi, plusieurs milliards d’euros d’aides, notamment pour des nouvelles motorisations, redimensionner les aéronefs, sont mis sur la table. « Nous sommes face à une transition majeure. Le leitmotiv du gouvernement est que face à la crise, il y a aussi une opportunité pour accélérer nos investissements et la reconquête industrielle qui ont montré notre fragilité à cause de 30 ans de « capitulation industrielle ». La crise a donc été un déclencheur à mettre en place des dispositifs ». Le gouvernement a choisi de réaliser des investissements dans la filière de modernisation de la production des sous-traitants, avec le fonds de modernisation et diversification de la filiale aéronautique, qui doit permettre aux acteurs de la filière de rebondir après la crise, en « préservant les compétences acquises » et en « préparant l’avion vert du futur », précise le document France Relance sur les entreprises lauréates qui ont candidaté pour obtenir des fonds afin de moderniser, innover, décarboner ou relocaliser. À l’heure actuelle, plus de 340 projets lauréats ont d’ores et déjà été retenus pour un montant de 608 millions d’investissements industriels, soutenus pour plus de 269 millions par l’État. Les PME ont été les premières bénéficiaires, avec 232 projets lauréats pour 174 millions d’euros équivalents à 341 millions d’euros d’investissements productifs.

L’Île-de-France, en première ligne

Les PME ont bénéficié des deux tiers de ce soutien. Tant mieux, car ce sont elles qui émaillent le territoire. Certains départements sont plus ou moins concernés par la relance du secteur aéronautique, comme c’est le cas de la Seine-Saint-Denis, qui a vu 30 000 emplois liés à l’aéroport Roissy-CDG menacés lors de la crise sanitaire. À l’échelle de l’Île-de-France, 43 projets du fonds de modernisation et de diversification ont déjà été soutenus en Île-de-France (concernant le secteur aéronautique). En Seine-Saint-Denis, l’exemple de l’usine CGR de Sevran est intéressant. Le 8 juillet dernier, l’entreprise, spécialisée dans la fabrication de ressorts destinés à l’aviation civile et militaire, était l’objet d’une visite de Marc Guillaume, préfet de la région Île-de-France, Georges-François Leclerc, préfet du département, ainsi que Clémentine Autain, députée (LFI) de Seine-Saint-Denis. Faisant partie de l’une des premières usines à avoir bénéficié du plan de relance de la Seine-Saint-Denis, la société veut moderniser son outil industriel, en numérisant les données de production via l’acquisition de logiciels pour connecter les îlots de production et permettre une meilleure traçabilité de la production, en digitalisant l’expérience client via l’acquisition de solutions informatiques, et en acquérant de nouvelles machines automatisées et connectées aux logiciels de suivi de production.

D’autres exemples franciliens existent, comme, à Meaux (Seine-et-Marne), où la société SPMA (société de prestation mécanique et aéronautique) est également lauréate : elle souhaite développer une activité de contrôle de pièces pour l’industrie ferroviaire, afin de diversifier les activités de cette entreprise pour réduire sa dépendance du secteur aéronautique. Toujours en Seine-et-Marne, Le Piston français, spécialisé dans l’usinage et l’assemblage de pièces mécaniques pour le marché de l’aéronautique, cherche à internaliser une chaîne de production actuellement sous-traitée et à développer une nouvelle actualité d’électroérosion.

Le secteur aéronautique, sommé de se repenser

En plus du fonds de soutien de modernisation et diversification, le budget recherche et développement du Comité d’orientation de recherche de l’aviation civile (Corac) a été boostée avec 1,5 milliard d’euros de crédit pour développer l’allégement des matériaux et une motorisation permettant d’envisager le verdissement futur de ce secteur. Car la crise n’a fait qu’accélérer une tendance de fond, que ressent Anne-Charlotte Fredenucci. « Dans tous les secteurs, la crise a apporté une profonde transformation et une quête de sens, tous secteurs confondus », estime la présidente d’Ametra. « De plus en plus d’entreprises sortent grandies en se posant des questions sur leur RSE, leur politique d’impact et cherchent à apporter du sens aux collaborateurs ».

En effet, le secteur se remet plutôt bien de la crise sanitaire. « Dès les levées des restrictions, les gens ont repris l’avion presque comme avant. La grande inconnue, ce sont les voyages d’affaires, qui sont indispensables à l’équilibre économique des compagnies aériennes. La visioconférence ne suffira pas dans le cadre de relations d’affaires », analyse la présidente d’Ametra. « À l’heure actuelle, les avionneurs tablent sur une remontée progressive sur les mono-couloirs régionaux, d’ici à deux ou trois ans, et c’est à portée de vue. Concernant les A350, pour les grands transporteurs (transcontinentaux), c’est plus incertain », précise le ministère.

Ametra, là encore, présente une success story encourageante. Pour sa présidente, l’heure est à la sérénité. « En 2021, nous sommes repartis en croissance. Il nous faudra 18 mois pour gommer la chute de 2020, la performance est relativement correcte dans ce contexte. Et notre carnet de commande est complet pour les prochaines années ».

La reprise c’est bien, la reprise plus verte et légère, c’est une nécessité. En effet, les questions liées au réchauffement climatique sont désormais au cœur des préoccupations des avionneurs. Elles sont même devenues inévitables. « Depuis le dernier salon du Bourget en 2019 (il n’y en a pas eu l’année dernière), c’est un tournant plus vert qui a été pris. La tendance existait déjà, avec les activités du Corac qui lance de grands projets pour une aviation plus verte. Ametra contribue par exemple à envoyer des idées, pour, à l’avenir, espérer monter un projet de recherche. Il n’y a pas une réunion du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques) sans qu’on parle verdissement de l’aviation », témoigne Anne-Charlotte Fredenucci. Pour autant, le verdissement n’est pas un projet qui remporte l’enthousiasme débordant de tous les dirigeants. « Il y a une prise de conscience éthique des dirigeants mais aussi une prise de conscience économique : comment convaincre l’opinion publique que l’avion peut être moins polluant ? Les plus récalcitrants se plient devant l’argument économique. La question demeure : à quel rythme sera appliqué le verdissement pour les géants comme Airbus ou Safran ? ».

Des technologies, plus ou moins abouties, plus ou moins convaincantes, sont sur la table, en premier lieu avec « l’allègement des avions ou l’avion hydrogène », illustre Anne-Charlotte Fredenucci. Mais la technologie est loin d’avoir répondu à toutes les interrogations suscitées par la viabilité et l’efficacité de l’avion à hydrogène, que ce soit la question des réservoirs (composites, par exemple) ou de l’aspect très énergivore de ces appareils.

« À l’échelle globale, en Europe, nous avons de bonnes capacités d’innovation et peut-être pourrons-nous décarboner l’industrie aéronautique plus vite que d’autres. Quand on voit que les États-Unis de Trump étaient sortis des accords de Paris et que la Chine est très encore loin sur les questions écologiques… nous avons les atouts pour préparer l’aviation du futur », croit Anne-Charlotte Fredenucci. « La France reste l’un des seuls pays du monde où l’on est capable de construire un avion de A à Z, avec des briques de R&D », renchérit le ministère de l’Industrie. Mais si la force de frappe française est encouragée par un fort soutien étatique, difficile de concevoir un secteur aéronautique qui se passerait de faire son examen de conscience écologique, paradoxalement freiné par la volonté de doubler le nombre de voyageurs aériens d’ici 2036…

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