La théorie du « document d’urbanisme écran » à l’épreuve de la loi Littoral

Publié le 07/06/2017

Le plan local d’urbanisme fait normalement « écran » entre la loi Littoral et le permis de construire, dès lors que le plan local d’urbanisme transpose complètement et fidèlement les dispositions littorales.

CE, sect., 31 mars 2017, no 392186, Lebon

1. Il est question, dans cette importante décision du Conseil d’État, de l’examen d’un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire conforme au plan local d’urbanisme mais contraire aux dispositions de l’article L. 146-4-I du Code de l’urbanisme relatives à la loi Littoral1. Au cas d’espèce, la société à responsabilité limitée Savoie Lac Investissements saisit par la voie de l’excès de pouvoir le tribunal administratif de Grenoble afin d’obtenir l’annulation des deux arrêtés en date du 14 avril 2010 par lesquels le maire de la commune de Talloires (Haute-Savoie) a refusé de lui délivrer un permis de construire d’un bâtiment de cinq logements, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

2. Par un jugement n° 1004577 du 13 juin 2013, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par un arrêt n° 13LY02304 du 26 mai 2015, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel de la société Savoie Lac Investissements. Le Conseil d’État était saisi d’un pourvoi de la société à responsabilité limitée Savoie Lac Investissements. Le Conseil d’État estime qu’il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 146-1 du Code de l’urbanisme, de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du Code de l’urbanisme particulières au littoral.

3. Comme en témoignent les écrits de la doctrine, « le pare-feu constitué par la règle de la compatibilité limitée créée en 1995 qui permet d’établir les PLU à l’abri des SCoT qui font “écran” entre eux et les normes qui leur sont supérieures n’est pas à toute épreuve »2. En l’espèce, le Conseil d’État semble bien s’écarter de sa jurisprudence classique concernant le contrôle de compatibilité entre les normes urbanistiques résultant de la décision Commune de Porto-Vecchio du 9 novembre 2015 (I), puisque la haute assemblée annule un permis de construire conforme au PLU mais contraire à l’article L. 146-1 du Code de l’urbanisme (II).

I – Le recul de la théorie du « document d’urbanisme écran »

4. Dans cette décision rendue le 31 mars 2017, le Conseil d’État semble vouloir revenir sur sa jurisprudence Commune de Porto Vecchio (A) et par conséquent restreindre le champ d’application de la théorie du « document d’urbanisme écran » (B).

A – La jurisprudence Commune de Porto-Vecchio et le contrôle de compatibilité

5. Une décision majeure de la haute assemblée rendue le 9 novembre 2015 estime qu’encourt l’annulation pour excès de pouvoir la délibération communale qui adopte un plan local d’urbanisme incompatible avec les normes urbanistiques intermédiaires et nationales3. En effet, dans cette décision, l’association U Levante ainsi que la chambre départementale d’agriculture de Corse du Sud soutenait que le plan local d’urbanisme querellé méconnaît les dispositions précitées du Code de l’urbanisme et ne respecte pas, en outre, les orientations du projet d’aménagement et de développement durable et notamment la préservation des espaces nécessaires au maintien des activités agricoles et forestières, en tant qu’il classe en zone urbaine ou à urbaniser les secteurs, à vocation agricole, de Campicicoli et de Brelinga4. La cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel de la commune de Porto-Vecchio contre le jugement du tribunal administratif de Bastia. Le pourvoi de la commune de Porto-Vecchio devant le Conseil d’État est rejeté en considérant que la cour administrative d’appel s’est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier qui n’est pas entachée de dénaturation de compatibilité entre le PLU et le SCoT. Dans cette décision, la haute assemblée opère donc un contrôle de compatibilité entre les normes urbanistiques. Dans la même veine, le Conseil d’État a censuré une cour administrative d’appel en considérant que « (…) le juge administratif exerce un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par ces documents et les dispositions précitées de l’article L. 121-1 du Code l’urbanisme ; qu’il suit de là que la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en jugeant que l’équilibre devait être assuré entre le développement urbain et la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et en contrôlant la conformité du plan local d’urbanisme aux dispositions précitées de l’article L. 121-1 du Code de l’urbanisme »5.

B – Illégalité du permis de construire conforme au plan local d’urbanisme mais contraire à l’article L. 146-4-1 du Code de l’urbanisme

6. On enseigne traditionnellement que la théorie du « document d’urbanisme écran fait écran entre le document communal et les textes de rang supérieur comme la loi Littoral, ou entre ces mêmes textes et une autorisation d’urbanisme »6. Dans l’arrêt rapporté, le Conseil estime que « toutefois, l’exigence de continuité étant directement applicable aux autorisations d’occupation ou d’utilisation du sol, l’autorité administrative qui se prononce sur une demande d’autorisation d’urbanisme dans une commune littorale doit vérifier, à moins que le terrain d’assiette du projet soit situé dans une zone destinée à l’accueil d’un hameau nouveau intégré à l’environnement, si, à la date à laquelle elle statue, l’opération envisagée est réalisée « en continuité avec les agglomérations et villages existants », et ce alors même que le plan local d’urbanisme, en compatibilité avec les orientations des schémas de cohérence territoriale et des schémas de secteur ou, en l’absence de ces schémas, avec les dispositions particulières au littoral du Code de l’urbanisme, le cas échéant précisées, sous les réserves précédemment indiquées, par une directive territoriale d’aménagement ou par un document en tenant lieu, aurait ouvert à l’urbanisation la zone dans laquelle se situe le terrain d’assiette ». En effet, la notion « d’exigence de continuité » est une notion essentielle dans la loi Littoral. Au cas d’espèce, le juge administratif a été saisi par la voie de l’excès de pouvoir par le pétitionnaire ayant reçu un arrêté de refus de permis de construire au motif « qu’il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 146-1 du Code de l’urbanisme, de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du Code de l’urbanisme particulières au littoral ». L’article L. 146-4-I du Code de l’urbanisme est devenu l’article L. 121-8 nouveau du Code de l’urbanisme. Il est enseigné que cette notion de continuité au regard de la loi Littoral « (…) pose, à l’heure actuelle, dans son application, le plus de difficultés pratiques particulièrement dans la mesure où, sur les espaces littoraux, contrairement aux espaces montagnards, la notion de hameau traditionnel n’est pas retenue comme point de départ de l’extension de l’urbanisation »7.

7. En l’espèce, le pétitionnaire soutenait, à tort pour la haute assemblée, que le plan local d’urbanisme, opposable à sa demande de permis de construire, prévoit que le terrain d’assiette du projet de construction est classé en zone constructible8. En d’autres termes, pour le Conseil d’État, la légalité du permis de construire doit nécessairement être appréciée par rapport aux dispositions de la loi Littoral qui lui sont opposables, même en présence d’un plan local d’urbanisme compatible avec les dispositions de cette loi9. Par conséquent, la portée de la théorie du « document d’urbanisme écran » est atténuée dans ce cas de figure.

II – Applicabilité de la présente loi Littoral aux autorisations d’urbanisme

8. Pour le Conseil d’État, il appartient dès lors à l’Administration de vérifier si, à la date à laquelle elle statue, la construction projetée est conforme aux dispositions de la loi Littoral (A), dont l’exigence de continuité pose de réelles difficultés pratiques en milieux côtiers (B).

A – Contrôle de conformité des autorisations d’urbanisme aux dispositions de la loi Littoral

9. Au-delà de la distinction traditionnelle de jure entre contrôle normal et contrôle restreint opéré par le juge administratif, le degré du contrôle de ce dernier est aussi fonction de la diversité et de la portée des prescriptions en droit de l’urbanisme10. Hormis la compatibilité et la prise en compte des normes supérieures, la notion de conformité représente le rapport normatif le plus contraignant. Il est acquis que lorsqu’un document doit être « conforme » à une norme supérieure, la commune ne dispose d’aucune marge d’appréciation11. C’est ainsi que le plan de prévention des risques inondation (PPRi) est opposable dans un rapport de conformité avec les documents d’urbanisme locaux, qui doivent intégrer strictement les périmètres définis12. Aussi le Conseil d’État considère dans une décision récente que, « par suite, le tribunal administratif de Versailles, qui a suffisamment motivé son jugement, n’a pas commis d’erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en appréciant le respect des prescriptions du plan de prévention des risques d’inondation au regard de l’urbanisation existant à la date de son adoption et en jugeant en l’espèce que le projet de construction de Mme B., situé en zone bleue du plan de prévention des risques d’inondation, ne constituait pas une dent creuse pour l’application de ce plan, dès lors que la parcelle litigieuse était issue de la division intervenue postérieurement à l’adoption du plan d’une parcelle déjà bâtie »13.

10. La notion de conformité est désormais omniprésente quels que soient les documents d’urbanisme en cause. On la rencontre en matière de travaux au regard du permis de construire au travers des articles L. 461-1 à L. 463-1 du Code de l’urbanisme. C’est ce qu’exprime parfaitement la doctrine en précisant que « le contrôle de la conformité des projets et des réalisations à cette réglementation d’urbanisme est assuré a priori et a posteriori par l’autorité publique, grâce à des institutions comme le permis de construire ou les autres autorisations d’utilisation du sol »14. En l’espèce, un praticien a fait preuve d’une grande finesse en observant que « (..) si le PLU de la commune de Talloires (riveraine du lac d’Annecy) classait en zone constructible le secteur d’implantation du terrain en question, ce “secteur” plus globalement était sans doute compatible (en fait conforme) à la loi Littoral et son article L. 146-4-I CU devenu L. 121-8 CU (..) »15. Toute la difficulté provient parfois de l’appréciation de la notion de conformité et de l’exigence de la continuité issue de la loi Littoral. En effet, si l’interprétation de la théorie du « document d’urbanisme écran » de 1995 diffère sensiblement de celle d’aujourd’hui, cette seule circonstance ne peut être regardée comme la seule cause du recul de cette théorie, puisqu’il a été admis qu’un PLU n’est pas illégal du seul fait qu’il ne réitère pas les dispositions de la loi Littoral16.

B – Retour sur l’urbanisation en continuité dans les milieux côtiers

11. Il convient de noter, de prime abord, que la notion d’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et les villages a été jugée conforme à la Constitution à la suite du refus par le Conseil d’État de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel17. On admet généralement que la règle d’urbanisation en continuité s’applique à l’ensemble du territoire de la commune littorale18. Plus précisément, la notion de continuité, au sens de l’ancien article L. 146-4-1 du Code de l’urbanisme19, n’est pas toujours aisée à appliquer d’autant plus que la doctrine administrative ne permet pas de déterminer avec précision le champ d’application de ce texte20. On sait que la difficulté provient de la fixation de seuil à partir duquel un projet de construction ne se situe plus en continuité d’une agglomération ou d’un village existant21. Le Conseil d’État donne une interprétation casuistique à la notion d’extension d’urbanisation. C’est ainsi que la haute assemblée estime que l’édification d’un immeuble de cinq étages en centre-ville ne constitue pas une extension22. En revanche, un arrêt a jugé que la construction d’un bâtiment de 30 mètres carrés, relié à l’habitation préexistante par un couloir, est une construction neuve indépendante23.

12. Dans l’espèce soumise à notre analyse, force est de reconnaître que le débat s’est largement focalisé sur la question de la légalité du permis de construire conforme au PLU mais contraire à la loi Littoral, dans un contexte d’urbanisation en continuité. Il reste que le Conseil d’État devait alors considérer que le projet de construction bien que situé dans une zone classée comme étant constructible par le plan local d’urbanisme de la commune de Talloires (Haute-Savoie), méconnaissait le paragraphe I de l’ancien article L. 146-4 du Code de l’urbanisme.

13. La théorie de « document d’urbanisme écran » introduite à la suite de la circulaire n° 94-88 du 21 novembre 199424 n’a pas épuisé le débat juridique, qui a de beaux jours devant lui.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Gossement Avocat, « Le Conseil d’État confirme la légalité d’un refus de permis de construire conforme au PLU mais contraire à la loi Littoral », http://www.arnaudgossement.com/ ; Cabinet Busson, « Application directe de la loi Littoral aux autorisations d’urbanisme : on enterre “Porto-Vecchio” », http://www.benoistbusson.fr/20 ; « La loi Littoral s’applique directement aux autorisations d’urbanisme ! », http://www.swavocats.com/la-loi-littoral-sapplique-directement-aux-autorisations-durbanisme/ ; Poupeau D., « La loi Littoral s’applique directement aux autorisations d’urbanisme », Dalloz Actualité ; Lamy Documents d’urbanisme, « Loi Littoral, RNU : l’examen de la légalité d’un permis de construire en zone côtière » ; « Circ. n° 94-88 du 21 novembre 1994 », Defrénois 30 juin 1995, n° 36110, p. 829.
  • 2.
    Jacquot H. et Priet F., Droit de l’urbanisme, 2015, Dalloz, Précis, p. 193, n° 158.
  • 3.
    CE, 9 nov. 2015, n° 372531 : LPA 23 mai 2016, n° 113s9, p. 9, note Niel P.-L.
  • 4.
    CAA Marseille, 30 juill. 2013, n° 11MA02797.
  • 5.
    CE, 1re/6e ss-sect. réunies, 15 mai 2013, n° 340554.
  • 6.
    « Documents d’urbanisme, loi Littoral, RNU : l’examen de la légalité d’un permis de construire en zone côtière », Le droit maritime français, 1er sept. 2015, n° 772, p. 735.
  • 7.
    Becet J.-M., « Recul des incertitudes sur l’application de la loi Littoral et émergence de nouvelles précisions autour du ... », Le droit maritime français, 1er janv. 2017, n° 787 ; Gossement Avocat, « Le Conseil d’État confirme la légalité d’un refus de permis de construire conforme au PLU mais contraire à la loi Littoral », http://www.arnaudgossement.com/.
  • 8.
    Ibid.
  • 9.
    Ibid.
  • 10.
    Decout-Paolini R., « Le PLU, le juge administratif et l’architecture contemporaine : contrôle juridictionnel et marge d’appréciation de l’autorité administrative », RDI 2015, p. 435.
  • 11.
    Niel P.-L., « Comprendre les relations entre les documents d’urbanisme », SMSCoT / AudaB, fiche pratique 2015, Scot. http://audab.org/?p=4300, op. cit.
  • 12.
    Ibid.
  • 13.
    CE, 8e ch., 31 mars 2017, n° 396909, inédit au recueil Lebon.
  • 14.
    Begel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a., « Usage prohibé par les lois ou par les règlements », Lamy immobilier, Urbanisme Construction Fiscalité Transaction Gestion.
  • 15.
    Cabinet Busson, « Application directe de la loi Littoral aux autorisations d’urbanisme : on enterre “Porto-Vecchio” », op. cit.
  • 16.
    Soler-Couteaux P., RDI 2016, p. 658.
  • 17.
    « Littoral : l’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations jugée constitutionnelle », http://www.servicetechnique.fr/ ; Liet-Veaux G., « Littoral », JCl. Administratif, Fasc. 444-20.
  • 18.
    Liet-Veaux G., « Littoral », JCl. Administratif, Fasc. 444-20, n° 31.
  • 19.
    C. Urb., art. L. 124-8 nouv.
  • 20.
    « Référentiel loi Littoral, Fasc. 1 », 2015, p. 30, Atelier permanent des Zones côtières, et des milieux marins. DREAL Bretagne.
  • 21.
    Ibid.
  • 22.
    Liet-Veaux G., « Littoral », JCl. Administratif, Fasc. 444-20, n° 45.
  • 23.
    Ibid.
  • 24.
    Defrénois 30 juin 1995, n° 36110, p. 829 : « L’ensemble des documents d’urbanisme, schémas directeurs, schémas de secteur, plans d’occupation des sols ou documents d’urbanisme en tenant lieu, doivent être compatibles avec les directives de protection et de mise en valeur des paysages. Ces documents doivent par conséquent traduire, dans le domaine de l’urbanisme, les orientations et principes fondamentaux posés par les directives. À l’échelle de la commune, le plan d’occupation des sols fait normalement “écran” entre la directive paysagère et les autorisations individuelles, dès lors que le plan d’occupation des sols en transpose complètement et fidèlement les dispositions ».
  • 25.
    Liet-Veaux G., « Lotissements. – Contentieux, interprétations et sanctions », JCl. Administratif, Fasc. 459, n° 88 – Cass. 3e civ., 10 nov. 1998 : JCP G 1999, II, 10007, obs. Liet-Veaux G.