Activité de la cour d’appel de Paris dans le domaine de la concurrence (juin à juillet 2017)

Publié le 03/01/2018

Le présent article porte sur les arrêts rendus par la cour d’appel de Paris en droit de la concurrence, au sens du livre IV du Code de commerce, au cours de la période de juin à juillet 2017. La cour s’est en particulier penchée sur les questions suivantes : (I) Refus de vente, expression d’une entente anticoncurrentielle et d’un abus de position dominante ; (II) Caractère confidentiel de la procédure de transaction ; (III) Sanctions forfaitaires ; (IV) Clauses de parité stipulées dans les contrats des plateformes de réservation hôtelière ; (V) Rejet d’une demande de reprise d’une relation commerciale en l’absence de relation établie.

I – Refus de vente, expression d’une entente anticoncurrentielle et d’un abus de position dominante

L’arrêt rendu le 5 juillet 2017 par la cour d’appel de Paris vient rappeler que, si la loi du 1er juillet 1996 a abrogé l’interdiction du refus de vente, cette pratique est toujours susceptible d’être appréciée au regard de divers textes, notamment ceux interdisant les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante.

En l’espèce, le litige opposait la société Sifam, spécialisée dans la vente de consommables et pièces détachées pour motos, à société NGK France, filiale française de la société de droit japonais NGK Spark Plug Co Ltd, fabricant mondial de bougies d’allumage, qui est chargée de la distribution en France des bougies de la marque NGK. La Sifam avait pris contact avec NGK afin de devenir distributeur de bougies NGK mais s’est heurtée à un refus de vente. S’estimant victime de pratiques anticoncurrentielles, elle a saisi le juge judiciaire d’une demande d’indemnisation du préjudice subi et, après un contentieux particulièrement long et complexe, la cour d’appel de Paris fait droit à cette demande en condamnant NGK au paiement d’une somme de l’ordre de 200 000 €.

Ce faisant, elle considère que les refus de vente dénoncés constituent des pratiques d’entente anticoncurrentielles, contraires aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE, et d’abus de position dominante, contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

A – Affectation du commerce intracommunautaire

Pour parvenir à cette conclusion, la cour retient au préalable que les pratiques en cause étaient « susceptibles d’affecter le commerce entre États membres », et ce « de façon sensible ». Certes, l’accord de distribution sélective signé entre NGK et ses distributeurs est un accord vertical qui ne concerne que les distributeurs français et qui ne couvre que le territoire français. Mais, rappelle la cour, les systèmes de distribution sélective sont susceptibles en eux-mêmes d’affecter le commerce intracommunautaire, compte tenu de leur nature restrictive de concurrence.

En outre, en application des paragraphes 86 et suivants des lignes directrices de la Commission relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (devenus 101 et 102 du TFUE), la limitation du nombre de distributeurs inhérente au système de distribution sélective et les refus d’agrément discriminatoires, surtout s’ils affectent des opérateurs réalisant des exportations et des importations en Europe, affectent nécessairement les courants d’échanges entre la France et les autres États membres. Par ailleurs, ajoute la cour, « lorsqu’une entreprise qui occupe une position dominante couvrant l’ensemble d’un État membre constitue une entrave abusive à l’entrée, le commerce entre États membres peut normalement être affecté ». En outre, pour la cour, les refus de vente allégués sont le fait d’un opérateur dominant et sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres puisqu’ils contribuent au verrouillage du marché national en empêchant un grossiste exportateur et importateur de bougies sur la totalité du marché européen, d’acheter des bougies de la marque NGK et de faire jouer la concurrence intramarque.

Enfin, les pratiques en cause couvrent la totalité du territoire français, partie substantielle du marché européen. Sur ce marché, la société NGK représente plus de 5 %. En outre, le chiffre d’affaires qu’elle a réalisé sur le marché communautaire s’établissait à plus de 40 millions d’euros. Il en résulte que les pratiques en cause sont susceptibles d’avoir affecté sensiblement le commerce intracommunautaire et peuvent donc être qualifiées au regard des articles 101 et 102 du TFUE.

B – Qualification d’entente anticoncurrentielle

La société NGK s’étant retranchée derrière les règles de son réseau de distribution sélective pour expliquer et exonérer ses refus de vente, la cour rappelle qu’un système de vente visant à réserver la distribution des produits commercialisés à certains revendeurs ne peut être admissible, au regard des dispositions de l’article L. 420-1 du Code de commerce que s’il est justifié par les nécessités d’une distribution adéquate des produits en cause, s’il est fondé sur des critères objectifs de nature qualitative, s’il n’a pas pour objet ou pour effet d’exclure par nature une ou plusieurs formes de distribution, s’il n’est pas appliqué de façon discriminatoire et s’il n’entrave pas la liberté des revendeurs de déterminer leur politique commerciale. Et de préciser que la pratique de discrimination consiste à traiter de manière différente des situations identiques ou de manière identique des situations différentes. Un réseau de distribution sélective ne peut se fonder, dans le choix des distributeurs agréés, sur une discrimination négative ou positive.

La cour rappelle également que les refus d’agrément discriminatoires ou injustifiés, ne constituent pas des « restrictions caractérisées » et sont donc couverts par les seuils de minimis et le règlement d’exemption n° 330/2010 de la commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées. Par ailleurs, selon ce règlement, si le fournisseur détient une part de marché inférieure à 30 %, la pratique est automatiquement exemptée au titre de l’alinéa 3, de l’article 101, du TFUE. En l’espèce, cependant, la part de marché de NGK est supérieure à 50 %. Aucune exemption automatique ne peut donc jouer.

La cour s’interroge donc sur le point de savoir si les pratiques de refus de vente équivalentes à un refus d’agrément de la société NGK à l’égard de la société Sifam constituent une entente anticoncurrentielle.

Elle répond par l’affirmative après avoir relevé qu’il ressort de l’instruction que les refus de vente opposés à la société Sifam, non fondés sur des critères objectifs, constituaient une discrimination. En effet, le réseau mis en place par NGK pouvait difficilement être qualifié de sélectif dès lors que la revente des produits à des revendeurs non agréés était pratique courante et intervenait avec l’assentiment au moins tacite du fournisseur. En outre, les conditions d’agrément exigées pour entrer dans le réseau de distribution NGK étaient facilement remplies.

Les refus opposés à la société Sifam n’étaient donc fondés sur aucun des critères prétendus de sélection (qualité du point de vente ; seuils d’achat…).

Ces refus discriminatoires ont eu pour objet et pour effet d’évincer de la distribution des bougies de seconde monte NGK la société Sifam, classée à l’époque comme le cinquième distributeur français de pièces détachées et accessoires pour deux roues.

C – Qualification d’abus de position dominante

Examinant la pratique litigieuse sur le fondement des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, la cour passe rapidement sur la délimitation et la domination du marché dès lors que ces deux points de l’analyse n’étaient pas contestés : la société NGK est en position dominante sur le marché français amont des bougies d’allumage pour deux-roues de seconde monte dès lors qu’elle en détient au moins 50 % et qu’elle en est un leader technologique.

La cour apprécie ensuite le caractère anticoncurrentiel des pratiques litigieuses et observe que les refus de vente de la société NGK sont de nature à exclure du marché un opérateur tel que la société Sifam, qui, par sa politique commerciale d’exportation et d’importation, anime la concurrence en Europe, alors que le système de distribution mis en place par la société NGK verrouille chaque marché national en implantant une filiale dans chaque État membre qui approvisionne des grossistes agréés, ceux-ci ayant déclaré qu’ils ne s’approvisionnaient pas auprès des filiales européennes de NGK. Il n’existe en effet aucun produit de substitution des bougies NGK et l’achat auprès des distributeurs agréés en France ne peut être réalisé à des tarifs aussi intéressants qu’auprès de NGK France. Les refus de vente sont donc susceptibles d’avoir pour effet de restreindre la concurrence effective sur le marché français des bougies d’allumage de seconde monte de la marque NGK, et de causer, finalement, un préjudice au consommateur.

Les refus de vente en cause dans le présent litige constituent donc également des pratiques d’abus de position dominante, contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE1.

II – Caractère confidentiel de la procédure de transaction

À l’origine de cette affaire, l’Autorité de la concurrence a, au terme d’une procédure de transaction au sens de l’article L. 464-2, III, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 20152, condamné la société Engie à une amende de 100 millions d’euros pour avoir mis en œuvre diverses pratiques d’abus de position dominante, dans le contexte particulier d’ouverture à la concurrence des marchés de détail du gaz, afin d’inciter les clients à basculer sur ses offres de marché de gaz et d’électricité.

Non satisfaite de cette solution, la société Direct Energie, à l’origine de la saisine de l’Autorité, a formé, devant la cour d’appel de Paris, un recours en annulation et réformation assorti d’une demande de communication de diverses pièces qu’elle avait, en vain, demandées à l’Autorité. Elle jugeait ces pièces nécessaires, d’une part, à l’effectivité de son recours, d’autre part, pour permettre à la cour d’exercer son contrôle sur la régularité de la procédure.

Le refus de communication opposé à son tour par la cour d’appel, concernant les trois pièces suivantes, vient confirmer le caractère confidentiel de la procédure de transaction.

A – Observations de la société Engie en réponse à la notification des griefs

La cour estime d’abord ne pas pouvoir accueillir la demande de production des observations de la société Engie en réponse à la notification des griefs.

En effet, dès lors que la société Engie a choisi de ne pas contester la réalité des griefs qui lui ont été notifiés et d’accepter la proposition de transaction que lui a soumise le rapporteur général, elle a renoncé aux observations précédemment déposées, par lesquelles elle avait contesté les griefs. C’est donc à juste titre que ce document, devenu sans objet et sans portée procédurale, a été retiré du dossier dans lequel il avait été coté lors de sa réception par les services de l’Autorité. La cour relève au surplus que la consultation de ce document ne permettrait pas de tirer, en dehors de conjectures et de suppositions sans portée juridique, de conclusion sur d’éventuelles transactions entre les rapporteurs, le rapporteur général et la société Engie dès lors qu’en tout état de cause, seul importe le résultat final de la non-contestation des griefs effective et actée tant par le procès-verbal de transaction que par le collège de l’Autorité dans la décision attaquée.

B – Proposition de transaction effectuée par les services d’instruction

La cour rejette également la demande de production de la proposition de transaction effectuée par les services d’instruction en application de l’article L. 464-2 du Code de commerce, comprenant l’ensemble des éventuels échanges entre la société Engie et les services d’instruction relatifs à cette demande de transaction et au délai pour l’accepter.

En effet, si l’article L. 463-1 du Code de commerce énonce que, par principe, la procédure devant l’Autorité est contradictoire et si le plaignant est une partie à la procédure, ces dispositions visent, toutefois, les éléments de fait qui sont de nature à rapporter la preuve de l’existence des pratiques poursuivies ainsi que ceux qui sont susceptibles de démontrer leur inanité ou encore l’absence de participation des personnes poursuivies.

Or les échanges des parties mises en cause avec les services d’instruction afin d’aboutir à une transaction sont d’une toute autre nature et doivent demeurer confidentiels, ce que justifient les impératifs de la mission de protection de l’ordre public économique, dont est investie l’Autorité.

En effet, la procédure prévue par l’article L. 464-2, III, du Code de commerce permet à l’Autorité, sur proposition du rapporteur général, de transiger avec une entreprise à laquelle ont été notifiés des griefs afin de permettre une sanction plus rapide et plus immédiatement efficace des pratiques poursuivies. Dans le cadre de cette procédure spécifique, l’entreprise en cause accepte de ne pas contester les griefs, ainsi que le montant même de la sanction infligée, ce qui revient à une renonciation à ses droits de la défense et à son droit au recours sur ces points. Cette renonciation requiert, pour être efficace, que cette partie puisse bénéficier d’une confidentialité des échanges qui se déroulent entre elle et l’Autorité.

Ce caractère confidentiel est d’ailleurs confirmé par les dispositions de l’article L. 483-5 du Code de commerce transposant la directive n° 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014. Ces dispositions excluent en effet, que le juge saisi d’une action en dommages-intérêts enjoigne la communication ou la production d’une pièce qui pourrait comporter « (…) un exposé écrit ou la transcription de déclarations orales, présenté volontairement à une autorité de concurrence par une personne mentionnée à l’article L. 481-1 ou en son nom, traduisant sa volonté de renoncer à contester la réalité des griefs qui lui sont notifiés et la responsabilité qui en découle, ou reconnaissant sa participation à une pratique anticoncurrentielle et la responsabilité qui en découle, établi pour permettre à l’Autorité de la concurrence d’appliquer la procédure prévue au III, de l’article L. 464-2 (…) ».

Il s’ensuit que les échanges entre les services d’instruction et la société Engie, à laquelle des griefs avaient été notifiés, afin de mener à bien la transaction et qui ne figurent pas au dossier, quand bien même certains d’entre eux auraient-ils été consignés par écrit, sont confidentiels.

À ce sujet la société Direct Energie a fait valoir que la société Engie ayant, préalablement à la transaction, déposé des observations de contestation des griefs, elle souhaitait vérifier, par la consultation des échanges qui se sont déroulés dans le cadre de la transaction, si les services d’instruction ne se sont pas laissés influencer par les arguments produits, ce qui aurait conduit à une minoration de la sanction ou à l’abandon de l’injonction de communication des fichiers des clients aux tarifs réglementés de vente (TRV), sans que la société Direct Energie, première intéressée, puisse donner son opinion.

Cependant, la société saisissante est, dans le cadre de son recours, parfaitement en mesure de contester le montant de la sanction et l’absence d’injonction de communication des fichiers des clients aux TRV, par des éléments objectifs relatifs tant aux pratiques reprochées qu’aux éventuels effets qu’elle a pu subir du fait de ces pratiques, sans avoir à connaître le contenu des échanges ayant abouti à la transaction. Par conséquent, outre que rien ne permet de penser que de tels documents existent, leur consultation ne serait, en tout état de cause, nullement nécessaire à l’exercice du recours effectif de la société Direct Energie.

C – Procès-verbal de transaction

Enfin, la cour refuse la production du procès-verbal de transaction. La société Direct Energie soutenait que celui-ci ne peut pas revêtir un caractère confidentiel en l’absence d’une demande de protection au titre du secret des affaires ou d’une décision du rapporteur général en ce sens, conformément aux articles L. 463-1 et L. 463-4 du Code de commerce.

Elle ajoutait que, contrairement à ce que soutenait l’Autorité, ce document ne peut pas engager la seule entreprise qui le signe, dès lors qu’il entérine la proposition de sanction établie par les rapporteurs, qui se sont engagés à proposer et soutenir une fourchette de sanction. Enfin, elle indiquait qu’il constitue une pièce de procédure qui permet d’apprécier la régularité de la procédure de transaction prévue à l’article L. 464-2, III, de sorte que toute partie à la procédure doit y avoir accès.

Cependant, la cour observe que la confidentialité de la procédure de transaction légitime que le procès-verbal de celle-ci n’ait pas été communiqué à la partie saisissante. Aucune disposition légale ou réglementaire n’impose d’adresser aux autres parties, avant le rapport ou avant la séance, ce procès-verbal, qui n’engage que l’entreprise qui le signe. En effet, si le collège de l’Autorité se trouvait en désaccord avec la proposition de transaction faite par le rapporteur général, il ne serait pas lié par ce procès-verbal et pourrait renvoyer l’affaire à l’instruction.

Cette analyse est d’ailleurs confortée par les dispositions des articles R. 464-4 et L. 464-2, III, du Code de commerce, qui prévoient, le premier, que les parties et le commissaire du gouvernement sont informés de la transaction intervenue entre le rapporteur général et l’entreprise en cause par l’envoi d’une lettre du rapporteur général, trois semaines au moins avant le jour de la séance, et, le second, que l’Autorité doit seulement entendre cette entreprise et le commissaire du gouvernement sans établissement préalable d’un rapport. Il s’ensuit que les pièces relatives à la procédure de transaction, dont le procès-verbal qui le consigne, n’ont pas vocation à être communiquées aux autres parties, qui ne bénéficient que d’un droit à être informées de la proposition qu’entend formuler le rapporteur général à l’Autorité de faire application des dispositions du III, de l’article L. 464-2.

Il s’en déduit que la confidentialité de la transaction est indépendante de la procédure de protection du secret des affaires et il est inopérant que la société Engie n’ait pas demandé cette protection3.

III – Sanctions forfaitaires

On sait que l’Autorité s’affranchit parfois de la méthode décrite dans le communiqué sanctions en fixant les amendes de façon forfaitaire. Tel a été le cas dans l’affaire des agences de mannequins : pour fixer le montant des sanctions, l’Autorité a pris en compte les caractéristiques propres des pratiques reprochées et la grande disparité, notamment de taille, entre les entreprises impliquées qui, pour certaines d’entre elles, ont également connu une forte baisse de leur chiffre d’affaires.

Elle est approuvée par la cour qui rejette les arguments par lesquels deux des entreprises en cause avaient reproché à l’Autorité de ne pas avoir suffisamment motivé ni son choix d’écarter, en l’espèce, l’application de son communiqué sanctions ni l’application, à la place, de la méthode forfaitaire sur la base de laquelle elle a déterminé le montant des sanctions pécuniaires qu’elle leur a infligées.

S’agissant d’abord du choix d’écarter l’application de son communiqué sanctions la cour observe qu’il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que l’Autorité a exposé quelles étaient les « circonstances particulières » qui l’ont conduite à en écarter l’application au cas d’espèce. C’est ainsi que, se référant d’abord aux « caractéristiques propres des pratiques reprochées », l’Autorité a expressément relevé que celles-ci s’inscrivaient dans le « contexte réglementaire particulier encadrant la rémunération des mannequins ». La cour observe par ailleurs que l’Autorité a relevé la « grande disparité, notamment de taille, entre les entreprises impliquées qui, pour certaines d’entre elles, ont également connu une forte baisse de leur chiffre d’affaires ». Selon la cour, il résulte de ces constatations que l’Autorité a suffisamment exposé les circonstances particulières de l’affaire qui l’ont conduite à ne pas appliquer son communiqué sanctions et qu’elle a ainsi satisfaites à son obligation de motivation.

En ce qui concerne le recours à la méthode forfaitaire, les requérantes ont reproché à l’Autorité de n’avoir fourni dans sa décision aucune explication sur la méthode qu’elle a appliquée et de s’être « bornée à faire surgir ex nihilo les catégories d’amende » entre lesquelles elle a classé les agences mises en cause. La cour observe à cet égard que, conformément aux dispositions de l’article 464-2 du Code de commerce, l’Autorité a, en premier lieu, apprécié la gravité des faits en cause, en rappelant, en particulier, que la participation à une entente horizontale entre concurrents visant « à manipuler un paramètre essentiel du jeu de la concurrence » constituait « l’une des infractions les plus graves aux règles de la concurrence », tout en relevant, en l’espèce, le caractère non sophistiqué et non secret de cette entente et l’absence de mesures de surveillance ou de représailles. L’Autorité s’est, en deuxième lieu, attachée à déterminer l’importance du dommage causé à l’économie ; à ce titre, elle a noté que les agences mises en cause représentaient plus de 77 % du marché, soit une partie substantielle de celui-ci, et que leurs pratiques avaient pu exercer un effet d’entraînement sur les autres agences, et elle a souligné que plusieurs facteurs, tenant en particulier à l’existence d’une concurrence étrangère, venaient néanmoins atténuer leur ampleur. En troisième lieu, l’Autorité ayant écarté la méthode explicitée dans son communiqué, et donc la définition préalable, pour chaque mis en cause, d’un montant de base de la sanction ayant pour assiette la valeur de leurs ventes de services en relation avec l’infraction, elle a regroupé les agences en sept catégories « pour refléter le poids économique de chacune d’entre elles » et assorti chacune de ces catégories d’un montant déterminé de sanction, allant de 3 000 €, pour le plus faible, à 600 000 €, pour le plus élevé. Elle a, enfin, procédé à des « ajustements finaux », afin de vérifier le respect du plafond légal fixé par l’article L. 464-2 et de tenir compte de la non-contestation, par certaines agences, du grief qui leur avait été notifié et de la capacité contributive des mises en cause.

Pour la cour, il en ressort que l’Autorité a, dans sa décision, exposé des éléments suffisants de motivation en ce qui concerne la méthode forfaitaire qu’elle a employée pour déterminer le montant des sanctions infligées aux requérantes. S’agissant, en particulier, du poids économique des agences, en fonction duquel celles-ci ont été classées dans l’une des sept catégories, la cour ajoute que les sociétés sanctionnées ne pouvaient douter, même en l’absence de précision dans la décision attaquée, que l’Autorité s’était fondée sur la valeur des ventes4.

IV – Clauses de parité stipulées dans les contrats des plateformes de réservation hôtelière

On sait que l’Autorité de la concurrence s’est penchée sur les clauses de parité stipulées dans les contrats des plates-formes de réservation hôtelière et a même clôturé une procédure après avoir accepté les engagements de Booking.com de modifier ses pratiques commerciales5.

Parallèlement, les clauses de parité contenues dans les contrats d’Expedia ont fait l’objet d’une procédure sur le fondement de l’article L. 442-6, III, à l’initiative du ministre de l’Économie. N’ayant que partiellement obtenu gain de cause, celui-ci a saisi la cour d’appel de Paris qui, pour l’essentiel accède à ses demandes.

La cour retient notamment que la clause de parité des tarifs et conditions ainsi que la clause de disponibilité et de dernière chambre disponible contenue dans les contrats d’Expedia tombent sous le coup de l’article L. 442-6, II, d), du Code de commerce6 en tant qu’elles visent l’alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers.

La cour estime également que les clauses litigieuses, par leur effet cumulé, créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce.

En conséquence, la cour prononce la nullité des clauses litigieuses, fait une injonction de supprimer ces clauses dans les contrats en cours et inflige une amende d’un million d’euros.

Sur ce dernier point, elle précise les critères à prendre en considération pour la fixation du quantum de l’amende. Ce faisant, elle s’inspire du vocabulaire utilisé dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles : « l’amende civile doit viser à prévenir et dissuader les pratiques restrictives prohibées, ainsi qu’à éviter leur réitération ; la gravité du comportement en cause et le dommage à l’économie en résultant doivent donc être pris en compte, ainsi que la situation individuelle de l’entreprise poursuivie, en vertu du principe d’individualisation des peines ».

Notons encore que, dans cette affaire, les sociétés du groupe Expedia avaient reproché au tribunal de commerce de Paris d’avoir refusé de prononcer le sursis à statuer en attendant l’issue de procédures parallèles devant l’Autorité de la concurrence, y compris une procédure contentieuse visant le groupe Expedia. L’entreprise soutenait notamment que les principes fondamentaux de bonne administration de la justice, de sécurité juridique et de confiance légitime commandaient d’éviter une contradiction entre les décisions qui seraient rendues dans le cadre de ces différentes procédures et donc un sursis à statuer de la cour. Elles soutenaient également qu’en vertu du principe non bis in idem, la cour ne pourrait sanctionner les clauses litigieuses deux fois si elles étaient reconnues illicites en droit communautaire. Inversement, elle ne pourrait les sanctionner au titre de l’article L. 442-6 du Code de commerce si elles étaient reconnues licites par le droit communautaire.

La demande de sursis a été rejetée au motif que l’Autorité de la concurrence, si elle est saisie des mêmes clauses, n’est pas saisie de la même qualification, ni de la même action. En effet, il lui est demandé de dire si les clauses litigieuses sont contraires aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 du TFUE, seuls articles qu’elle est chargée d’appliquer au contentieux. La qualification qu’elle donnera à ces pratiques au regard de ces articles n’aura aucun impact sur la qualification des pratiques au regard de l’article L. 442-6 du Code de commerce, dont l’objet est différent et dont l’analyse repose sur des éléments constitutifs totalement distincts des pratiques anticoncurrentielles.

La cour ajoute qu’il n’est pas démontré que, même si les clauses étaient sanctionnées deux fois, sur deux fondements juridiques différents, le principe non bis in idem serait pour autant violé. Si, en effet, la Cour européenne des droits de l’Homme défend une conception du principe non bis in idem rendant impossible de sanctionner la même personne pour le même comportement sur le double fondement de deux infractions différentes, sans égard à l’intérêt juridique protégé par chacune d’entre elles, la Cour de l’Union soumet l’application de ce principe à une triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenants et d’unité de l’intérêt juridique protégé7. Or, en l’espèce, l’intérêt juridique protégé par les pratiques anticoncurrentielles, qui vise à préserver le bon fonctionnement de la concurrence sur le marché, est différent de celui poursuivi par les pratiques restrictives de l’article L. 442-6, qui protègent les concurrents, sans égard pour l’affectation du marché dans son ensemble. Enfin, l’exonération des clauses au titre du droit de la concurrence européen ne saurait de facto entraîner leur exonération au titre des pratiques restrictives reprochées, le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 n’empêchant les États membres que de sanctionner en droit national de la concurrence des pratiques licites au regard du droit de la concurrence européen, mais ne les empêchant nullement de réprimer les pratiques sur d’autres fondements, en vertu de leur droit national.

La dimension internationale du litige a par ailleurs offert à la cour l’occasion de revenir sur la compétence territoriale du juge et sur la loi applicable. Sur le premier point, elle observe que la clause attributive de compétence contenue dans les contrats est inopposable au ministre, gardien de l’ordre public économique. Il résulte par ailleurs de la nature quasi-délictuelle du litige que la juridiction compétente doit être déterminée sur le fondement de l’article 5, § 3, du règlement n° 44/2001 (règlement Bruxelles I) et, au final, la cour retient la compétence du juge français. S’agissant de la loi applicable, la cour retient l’application de la loi française et considère inapplicable en l’espèce la loi anglaise désignée par la clause contenue dans les contrats, le ministre, tiers au contrat ne pouvant être considéré comme ayant librement consenti à cette clause8.

V – Rejet d’une demande de reprise d’une relation commerciale en l’absence de relation établie

Le présent contentieux a été initié par la société Terminaux de Normandie (TN), entreprise exerçant une activité de manutentionnaire portuaire au Havre. Le litige l’opposait à six armements qui avaient, depuis plusieurs années, fait appel aux services de TN en opérant à travers des alliances maritimes au sein desquelles ils se regroupaient pour mutualiser leurs coûts.

En 2012, lesdits armements ont conclu avec TN un contrat d’une durée de cinq ans portant sur la manutention exclusive de leurs navires. En 2017, s’estimant victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies, TN a assigné les six armements en référé sur le fondement de l’article 873 du Code de procédure civile devant le tribunal de commerce de Lille afin que soit ordonnée la poursuite des relations commerciales. L’entreprise s’est cependant heurtée au refus du tribunal qui a jugé qu’un préavis suffisant avait été consenti et conclu à l’absence de dommage imminent. Son ordonnance est confirmée pour l’essentiel par l’arrêt rapporté.

TN soutenait que le fait, pour chacun des armements, d’avoir, de façon concertée et simultanée, décidé de rompre leurs relations commerciales établies avec TN, avec un préavis de seulement quelques semaines, alors qu’ils composaient la quasi-totalité de leur clientèle depuis des années, constituait une violation des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce et partant, un trouble manifestement illicite, compte tenu du caractère établi, pérenne et dédié des relations commerciales en cause.

La cour ne partage pas cette analyse. Elle énonce d’abord qu’il résulte de l’article L. 442-6, I, 5°, que la société qui se prétend victime de la rupture d’une relation commerciale établie doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d’affaires ayant existé entre elle et l’auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.

Or si TN justifiait de relations avec chacun des armements de la cause, dont certaines remontaient à 1998, il résulte des pièces du dossier que c’est à la suite d’un appel d’offres lancé en février 2012 que les six armements de la cause, regroupés dans le G6, ont, le 21 août 2012, conclu le contrat par lequel était confiée à la société TN la manutention exclusive de leurs navires.

Dès lors, TN ne pouvait faire état de relations commerciales établies depuis plus de vingt ans avec chacun des armements, les relations interrompues dont il était demandé réparation étant celles inaugurées par le contrat du 21 août 2012, sans qu’aucune continuité ne puisse être établie entre l’objet de ce contrat relatif à la concession exclusive à TN de la manutention des navires du G6, et les relations antérieures entre TN et chacun des armements9.

La cour ajoute que la mise en concurrence de 2012 marque, dans ces relations, l’intervention d’un aléa concurrentiel qui les empêche d’être qualifiées de relations commerciales établies. Dès la conclusion du contrat, TN savait que les prestations exécutées pour les membres du G6 ne dureraient que cinq ans, à savoir la durée de l’alliance elle-même, sans qu’aucune garantie ne lui ait été donnée par ailleurs d’un renouvellement à terme. Aucune certitude d’emporter l’appel d’offres de 2017 ne pouvait, en tout état de cause, lui être donnée, les alliances maritimes ayant par ailleurs vocation à changer fréquemment de composition.

Dès lors, l’article L. 442-6, I, 5°, ne pouvait trouver à s’appliquer dans le présent litige.

À supposer, raisonne la cour, que les relations puissent être considérées comme établies, il resterait encore à établir que la rupture a été brutale. Or tel n’a pas été le cas, selon la cour, puisque l’entreprise a bénéficié d’un préavis de cinq mois avant la rupture des relations commerciales, ce qui, pour la cour, était parfaitement suffisant au regard des cinq années du contrat litigieux.

Au final, la cour conclut à l’absence d’un trouble manifestement illicite10.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 5 juill. 2017, n° 15/12365.
  • 2.
    C. com., art. L. 464-2, III : « Lorsqu’un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l’entreprise ou l’organisme s’engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l’organisme ou l’entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l’Autorité de la concurrence, qui entend l’entreprise ou l’organisme et le commissaire du gouvernement sans établissement préalable d’un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire (…) dans les limites fixées par la transaction ».
  • 3.
    CA Paris, 6 juill. 2017, n° 17/07296.
  • 4.
    CA Paris, 6 juill. 2017, n° 16/22365.
  • 5.
    Aut. conc., 21 avr. 2015, n° 15-D-06.
  • 6.
    C. com., art. L. 442-6, II, d) : « Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité … d) De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ».
  • 7.
    CJCE, 7 janv. 2004, nos C204/00 P, C205/00 P, C211/00 P, C213/00 P, C217/00 P et C219/00 P, Aalborg Portland et a. c/ Commission : Rec. p. I123, point 338.
  • 8.
    CA Paris, 21 juin 2017, n° 15/18784 : Jardel B., « Arrêt Expedia : le déséquilibre significatif dans un contrat international », RLC 2017/65, n° 3260.
  • 9.
    Certains auteurs ont, à juste titre, observé qu’en refusant, pour établir l’existence de relations commerciales établies, de voir une continuité entre les relations fondées sur le contrat de 2012 et la relation antérieure avec chacun des armements, la cour s’écarte du sillage tracé par la Cour de cassation, notamment dans son arrêt du 25 septembre 2012, n° 11-24301 qui a jugé que la victime d’une rupture peut se prévaloir de relations établies entre une succession de parties (v. Chagny M., « La cour d’appel de Paris refuse d’ordonner la poursuite d’une relation commerciale rompue, faute de relation établie et faute de rupture brutale », in Ronzano A., L’actu-concurrence Hebdo n° 29/2017,17 juill. 2017).
  • 10.
    CA Paris, 5 juill. 2017, n° 17/08926.