Seine-Saint-Denis (93)

« Il y avait une place à prendre sur le marché »

Publié le 05/05/2020

C’est une des dernières réussites entrepreneuriales du département de Seine-Saint-Denis. L’entreprise de réparation et de reconditionnement d’électroménager Murfy, crée il y a dix-huit mois par de jeunes ingénieurs, est en plein essor, et incarne le dynamisme de l’économie circulaire que le département cherche à développer. Son fondateur Guy Pezaku a accepté de commenter ces débuts pour les Petites Affiches.

Les Petites Affiches : Pouvez-vous nous présenter votre entreprise ?

Guy Pezaku : Nous avons créé Murfy à 4 associés en août 2018. C’est une entreprise de réparation d’électroménager à domicile ou en atelier. Nous sommes tous issus de grandes écoles d’ingénieur et de commerce. Nous n’arrivions pas à comprendre comment il était possible qu’il soit jugé plus facile de jeter un produit d’électroménager, fabriqué en Asie, transporté par conteneur, stocké en entrepôt continental puis régional, livré puis installé par un professionnel, que de le faire réparer par un technicien habitant à 10 minutes de chez vous. Nous nous sommes rendu compte que personne ne faisait de réparation d’électroménager sans être lié à un fabricant ou à un distributeur. Il y avait une place à prendre, le marché était en attente d’un tel acteur.

LPA : À dix mois d’exercice, quel bilan dressez-vous ?

G. P. : Lancer cette activité est la meilleure idée que l’on ait eue ! Nous réparons des appareils électroménagers en Ile-de-France, mais aussi à Lille, Strasbourg, Nice, Toulon, Marseille, Montpellier, Toulouse, Bordeaux. Nous allons bientôt ouvrir à Nantes et rennes. Nous couvrons d’ores et déjà toutes les grandes métropoles françaises. Environ 50 % des ménages français vont accéder à de la réparation à domicile. Notre activité prend de l’ampleur. En janvier 2019, nous faisions 250 réparations par mois. En janvier 2020, nous étions à 2 500 réparations par mois. Nous enregistrons 20 % de croissance mensuelle. Nous espérons un chiffre d’affaires d’au moins 6 millions d’euros en 2020.

LPA : Quelle est votre offre de service ?

G. P. : Nous avons une offre en trois temps. D’abord, nous mettons à disposition du consommateur des tutoriels pour l’aider à réparer seul. Le module que nous proposons est assez exhaustif et reproduit, étape par étape et en fonction des symptômes décrits, ce que ferait un technicien qui viendrait chez vous. Il recense les cas de panne possible et les élimine en fonction des réponses données. Cela nous permet d’expliquer exactement ce que l’on va faire et inspire beaucoup confiance aux consommateurs. Plus de 40 000 personnes les ont utilisés.

LPA : Donner aux consommateurs les moyens de se débrouiller seuls, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ?

G. P. : Les consommateurs qui font appel à nous ont cherché des solutions par eux-mêmes. Dans le domaine de la réparation, il y a une grande inégalité d’information, et le client se sent très vulnérable. Le métier de réparateur a mauvaise presse, les gens ont des réticences à l’appeler. Puisque nous savons qu’ils vont chercher des solutions par eux-mêmes, autant leur donner cette information…

LPA : Quand intervenez-vous ?

G. P. : Quand ça devient trop compliqué, nous proposons un forfait d’intervention de 75 euros. Cela comprend tous les déplacements et la main-d’œuvre. La seule chose que ne couvre pas ce forfait est le prix des éventuelles pièces détachées à remplacer. Très souvent, il suffit de nettoyer et détartrer la machine pour la faire fonctionner, et nous réparons un produit sur deux sans avoir à changer de pièce. Si cela s’avère néanmoins nécessaire de commander une pièce, on fait un devis. Le client l’accepte ou décide d’arrêter la réparation, si la pièce lui semble trop chère ou le délai d’approvisionnement trop long. Dans ce cas, on lui rembourse le forfait de 75 euros sous forme d’avoir qui lui permet d’acheter un produit déconditionné dans notre atelier. C’est une manière de sécuriser le client.

LPA : Cette activité de reconditionnement pour la vente est nouvelle…

G. P. : En effet, notre atelier de reconditionnement situé à Bobigny a ouvert ses portes en octobre 2019 et les premiers produits ont été proposés à la vente en décembre. Cette activité nous permet de répondre à une double contrainte : maximiser le temps utile de nos techniciens – quand ils ne sont pas en intervention, ils peuvent travailler à l’atelier – et garantir une expérience sans échec au consommateur.

LPA : Combien de salariés avez-vous ?

G. P. : Nous sommes une entreprise de 75 personnes, tous convaincus que la réparation d’électroménager est une activité nécessaire. On est des écolos. Notre rôle dans l’écosystème n’est pas de faire la morale au consommateur mais de lui proposer des solutions concrètes et efficaces, en se battant sur le même terrain que les alternatives de surconsommation : le prix, les délais. Nous nous devons d’avoir une offre efficace et qui fonctionne bien. Pour cela, nous comptons sur un réseau d’une quarantaine de techniciens, tous salariés. Celui-ci va s’étendre encore : nous allons bientôt recruter une centaine de nouveaux techniciens dans toute la France. Nous avons repositionné les techniciens au centre de l’entreprise, en choisissant des professionnels sérieux et engagés et en leur donnant une vraie attention. Gérer ce réseau de techniciens est la clé du bon fonctionnement de notre offre.

LPA : Pourquoi est-ce crucial ?

G. P. : Nous avons une promesse d’intervention sous 48 heures, que l’on arrive à tenir. Cela implique d’avoir suffisamment de techniciens. Ceux qui interviennent à domicile sont les mêmes que ceux qui viennent à l’atelier de reconditionnement. Ce système nous permet d’optimiser notre réseau. Quand le technicien n’est pas en intervention, on peut le faire travailler. Cela nous permet d’être 30 % moins cher que les distributeurs.

LPA : Quel est le profil des fondateurs de votre entreprise ?

G. P. : Nous avons tous fait de grandes écoles. J’ai fait un cursus de mathématiques appliquées à Paris Tech, puis un master en théorie des organisations et gestion de l’innovation à Polytechnique. J’ai ensuite travaillé pendant deux ans et demi à la SNCF, où j’étais chargé de la gestion des trains en temps réel et de l’impact des nouveaux outils informatiques sur l’organisation. Cela implique de faire travailler ensemble différentes professions : des gens qui gèrent la maintenance, nettoient, font de l’information au voyageur. Il y a aussi des enjeux de psychologie, que l’on retrouve à Murfy. Trouver le bon modèle de rémunération, donner de l’élan aux salariés est un gros travail. Notre entreprise s’appuie sur des outils technologiques. Il y a pas mal d’ingénieries pour que tout tourne bien, même si cela ne se voit pas forcément.

LPA : En quoi consiste ce travail d’ingénierie ?

G. P. : Par exemple, pour prendre rendez-vous en ligne, le client doit rentrer son adresse afin de trouver le technicien qui va pouvoir intervenir chez lui. Nous lui proposons un créneau horaire de deux heures, qui convient à l’agenda du technicien. Cela a l’air de rien, mais nous sommes le seul acteur à savoir faire ça. Aujourd’hui, vous pouvez vous faire livrer par un distributeur et choisir un créneau horaire de deux heures. Mais pour une réparation, c’est bien plus compliqué. Cela requiert de très bien maîtriser les outils de gestion des agendas et d’organisation de tournée. Il faut que le technicien puisse récupérer la pièce détachée sur un point relais à proximité de son trajet d’intervention. La difficulté est d’envoyer la bonne personne avec la bonne pièce détachée dans son sac à dos dans un délai très court. Ce n’est pas impossible. Si personne d’autre que nous ne le fait, c’est aussi parce que les moyens logistiques qui sont dévolus à la livraison ne l’ont pas été à la réparation. Personne n’a mis des moyens informatiques suffisants sur les opérations de service après-vente.

LPA : On peut s’en étonner, à l’heure de la prise de conscience de la crise environnementale… quel est l’impact écologique de notre consommation d’électroménager ?

G. P. : Nous en parlons peu sur notre site car nous ne voulons pas paraître moralisateurs en faisant de l’écologie un argument de vente. Mais il est vrai que la manière dont nous consommons de l’électroménager a un impact fort. Je vais vous donner quelques chiffres. Il y a 28 millions de ménages, qui possèdent en moyenne 7 appareils de gros électroménager. L’impact de la production annuelle de tous ces produits consommés en France représente 4 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit la consommation annuelle en énergie d’une ville comme Nice. Cela représente aussi l’équivalent de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du trafic aérien intérieur français. Ces appareils polluent surtout avant d’être utilisés. Avant d’utiliser un lave-linge, il faut extraire de la matière première, le produire, le livrer. Tout cela représente plus de 60 % en équivalent CO2 de l’impact total de l’appareil sur l’ensemble de sa durée de vie Pour un frigidaire, c’est encore pire : son impact avant utilisation est de 70 %. Pour fabriquer un micro-ondes, il faut deux tonnes de matière première. Il n’est pas logique de remplacer son frigo pour consommer moins d’énergie. Un produit électroménager a une durée de vie comprise entre 7 et 10 ans. Celle-ci pourrait facilement doubler avec des meilleures conditions de réparation et de réemploi.

LPA : Le bon démarrage de votre entreprise vous a-t-il surpris ?

G. P. : Pas complètement, car nous nous sommes lancés en sachant qu’il y avait une vraie demande. Nous nous attendions à ce que les consommateurs adhèrent. Ce qui nous surprend en revanche, c’est l’énergie dépensée par les équipes en interne pour que le projet aille dans le bon sens. Nous avons recruté des personnes surqualifiées pour leur poste. Au vu de leurs études, les membres de notre équipe auraient tout aussi bien pu travailler dans de grands cabinets de conseil. Le directeur de notre service commercial est diplômé de l’EDEC, il passe ses journées à écouter des consommateurs dont la machine fuit ! Ce n’est pas forcément ce à quoi il était destiné, mais il donne tout pour satisfaire les consommateurs et faire fonctionner son équipe. De plus en plus de gens ont envie de mettre leur connaissance au service de choses concrètes, terre à terre. Nous avons chez nous des gens qui retrouvent du sens au travail et estiment que ce qu’ils font à de la valeur pour la société. Cela nous permet d’avoir des collaborateurs engagés. C’est un atout considérable.

LPA : Pourquoi avez-vous choisi de vous installer dans le 93 ?

G. P. : Nos bureaux sont dans le centre de Paris. Notre siège social est à Saint Ouen, où je vis, et l’atelier est à Bobigny, facilement accessible en transports. Nous y avons trouvé un super atelier de 2 500 mètres carrés, assez lumineux pour que l’on puisse y travailler dans de bonnes conditions. Les locaux de ce type sont rares sur le marché, nous ne pouvions pas laisser passer une telle occasion.

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