Retrait de l’associé d’une société civile : validité des limites aux droits pécuniaires du retrayant

Publié le 20/03/2020

Concernant le retrait de l’associé d’une société civile professionnelle, lorsque le système de rémunération est fondé exclusivement sur l’industrie des associés, la suppression du droit au bénéfice et du remboursement de l’apport en capital du retrayant est licite comme la clause mettant à sa charge une partie des frais de la société pendant un an après son retrait.

Cass. 1re civ., 8 janv. 2020, no 17-13863

En l’espèce, un avocat a exercé son activité au sein d’un société civile professionnelle, à compter du 1er janvier 2002 en qualité d’associé en industrie, puis à compter du 1er juillet 2003 en qualité d’associé en capital et en industrie.

À la suite d’un désaccord entre l’avocat et ses associés, ils ont décidé du retrait de l’associé en signant, le 31 juillet 2010, un accord fixant les conditions de son retrait et saisi le bâtonnier d’une demande d’arbitrage relative à des indemnités1. Des recours ont été exercés contre la sentence rendue par le délégué du bâtonnier.

Dans un premier arrêt du 16 avril 20152, la Cour de cassation avait censuré les juges du fond3 qui avaient considéré que l’associé retrayant ne peut obtenir la rétribution de ses apports en capital et sa quote-part des bénéfices distribués que jusqu’au 31 juillet 2010. Selon la Cour, le retrayant conserve ses droits patrimoniaux jusqu’au remboursement intégral de la valeur de ses parts.

Par ailleurs, l’arrêt d’appel est censuré en ce qu’il déclare inapplicable la clause contractuelle obligeant le retrayant à contribuer aux frais fixes de la société pendant une durée d’1 an suivant son départ.

Les associés peuvent-ils décider de supprimer les droits pécuniaires fondés sur l’apport en capital dans le cadre d’un système global de rémunération fondé exclusivement sur leur industrie ?

Un associé retrayant peut-il être tenu de payer une partie des frais de la société générés après son retrait ?

Dans son arrêt du 8 janvier 2020, la Cour, validant l’arrêt attaqué4, considère que, au regard d’un système de rémunération fondé exclusivement sur l’industrie des associés, la suppression du droit au bénéfice et du remboursement de l’apport en capital du retrayant est licite, comme la clause mettant à sa charge une partie de frais de la société pendant 1 an après son retrait.

I – Licéité de la clause supprimant les droits pécuniaires de l’associé retrayant fondés sur son apport en capital

La Cour de cassation, comme la cour d’appel, a appréhendé un système spécifique de rémunération, fondé sur l’industrie des associés. Dans ce cadre, les associés peuvent prévoir la suppression du droit au bénéfice du retrayant (A) comme de son droit au remboursement de ses parts attribuées en contrepartie d’un apport en capital (B).

A – Concernant la suppression du droit à dividendes

La Cour a dû apprécier la validité d’une clause supprimant le droit à dividendes de l’ensemble des associés.

A priori, les clauses supprimant le droit aux dividendes d’un associé sont qualifiées de léonines et sont donc nulles5.

Pourtant, l’arrêt du 8 janvier 2020 valide cette clause qui neutralise le droit à dividendes fondé sur les apports en capital : « La cour d’appel en a déduit, à bon droit, que M. X ne pouvait prétendre, après son départ de la SCP, à la perception de bénéfices, les apports en capital ne donnant lieu, en application du système contractuellement défini, à aucune rétribution ».

D’abord, la Cour fait primer la liberté contractuelle des associés de sociétés civiles, qui peuvent prendre des décisions dérogatoires à l’unanimité6. Dans cette logique, l’unanimité des associés de la société civile peut décider que leur rémunération est exclusivement fondée sur la distribution de bénéfices en fonction de leur industrie et que les apports en capital ne donnent lieu à aucun dividende.

Cette décision peut être adoptée par un acte différent des statuts ou d’un procès-verbal d’assemblée générale sans que l’opposabilité à l’associé retrayant en souffre7.

Ensuite, le droit au bénéfice n’est pas totalement exclu dans la mesure où les associés se réservent une rémunération alternative fondée sur leurs apports en industrie correspondant au travail effectif de chaque associé dans la société. La Cour appréhende donc la globalité du système de rémunération qui repose uniquement sur leur industrie.

En outre, cette neutralisation du droit à rémunération de l’associé ne remet pas en cause l’égalité entre associés, qui se voient tous appliquer la même clause.

De surcroît, la jurisprudence autorise qu’un associé renonce expressément8, totalement ou partiellement, à son droit de participer à la répartition des bénéfices d’un exercice écoulé9.

Il a été jugé que la clause privant de droits financiers un associé dont le retrait s’inscrit dans le cadre « du départ, même non concerté, d’un nombre significatif d’associés et/ou de collaborateurs », sans définir la notion de « départ d’un nombre significatif », n’est pas de nature à caractériser en soi une atteinte substantielle au droit de retrait10.

B – Concernant le remboursement des droits sociaux

Le retrait de l’associé lui donne droit en principe au remboursement de la valeur de ses droits sociaux11, évalués à la date la plus proche de ce remboursement12. C’est pourquoi l’associé retrayant ne peut prétendre qu’au seul remboursement de ses droits sociaux et non à celui de son apport en tant que tel13.

En l’espèce, la Cour de cassation valide la clause qui prive l’associé retrayant du remboursement de ses droits sociaux au titre de l’apport en capital. Le droit à rémunération des associés était exclusivement fondé sur l’apport en industrie de l’associé apportant son travail effectif.

Dans leur interprétation de l’accord des associés régissant le retrait, la Cour de cassation14 et la cour d’appel semblent implicitement assimiler la rétribution de l’apport lui-même au droit au bénéfice, alors que leurs fondements sont très différents.

Cette assimilation est fondée sur une approche globale du système de rémunération des associés, fondé uniquement sur l’industrie de l’associé.

Dans cette logique, la valeur des parts issue de l’apport en capital appréciée au moment du retrait est nulle car leur valorisation ne repose sur aucune rémunération passée ou future.

Ainsi, le principe de conservation des droits patrimoniaux par l’associé retrayant tant qu’il n’a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales ne se pose plus, contrairement à ce qu’avait jugé la Cour en 201515.

Retrait de l’associé d’une société civile : validité des limites aux droits pécuniaires du retrayant
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II – Sort du droit à rémunération fondé sur l’apport en industrie au moment du retrait

La société civile prévoit que les associés consentent un apport en industrie et que « la répartition des bénéfices est fondée sur l’industrie de l’associé, et non sur sa participation au capital social, de sorte que les parts sociales ne confèrent aux associés qu’une vocation à percevoir des bénéfices dont le montant est fixé sur la base de leur contribution effective à l’activité de la société ».

Le droit aux dividendes issus de l’apport en industrie dépend exclusivement du travail effectif de l’associé. Dès lors qu’il cesse de travailler dans la société, il perd automatiquement sa rémunération faute de contrepartie.

La Cour valide cette clause qui constitue une application en droit des sociétés de l’exception d’inexécution justifiant la perte du droit à rémunération de l’associé dès son retrait.

La position de la Cour apparaît cohérente par rapport à sa jurisprudence rendue en matière de dissolution, selon laquelle, si une société est dissoute avant le terme statutaire, les droits de l’apporteur dans les bénéfices et sa contribution aux pertes sont réduits proportionnellement à la durée pendant laquelle l’apport devait continuer à être effectué16.

III – La licéité de la clause mettant les frais de la société à la charge du retrayant après son retrait

L’accord des associés prévoit une « clause imposant à l’associé retrayant de supporter les frais fixes du cabinet durant 1 année après son départ ».

Cette clause n’est-elle pas contraire au droit de retrait de tout associé d’une société civile en ce qu’elle dissuaderait, par ses conséquences pécuniaires, le candidat au retrait ?

La cour d’appel de Paris avait considéré qu’une telle clause était dissuasive car elle rompait l’équilibre entre les parties et faisait obstacle au droit pour l’avocat de changer de structure d’exercice, en ce qu’elle lui impose de participer aux frais générés par l’activité sociale postérieurement à son départ, alors qu’il doit, pour la même période, supporter les frais inhérents à sa nouvelle installation17.

La Cour de cassation valide une telle clause dans la mesure où cette obligation est proportionnée aux intérêts légitimes de la société18.

D’une part, la cour d’appel analyse que les frais effectivement visés dans la clause correspondent au niveau de l’activité du retrayant.

D’autre part, elle relève que seuls les frais liés au travail du retrayant sont visés et non l’intégralité des frais de la société19. Corrélativement, les frais engendrés par la rémunération des secrétaires et des collaborateurs sont exclus.

Enfin, la cour relève que le retrayant n’était pas tenu par une clause de non-concurrence. Il pouvait donc se réinstaller sans restriction avec certains clients et ce au préjudice de la société, qui perdait une partie de sa clientèle.

Ainsi, cette clause protège la société contre le départ d’un associé. La société ne peut pas, par définition, empêcher le retrait d’un associé, mais elle subit les conséquences financières de ce retrait, à savoir la perte de clients et le maintien à sa charge de frais fixes non répercutés au retrayant20.

La logique de la Cour est conforme à une jurisprudence constante qui autorise que soient mis à la charge du retrayant des frais de la société21 ou le paiement d’une indemnité22.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Notamment pour la non-reprise de salariés.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24931, FS-PB.
  • 3.
    CA Paris, 2-1, 25 sept. 2013, n° 11/19658.
  • 4.
    CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 23 févr. 2017, n° 15/04842.
  • 5.
    C. civ., art. 1844-1, al. 2 ; Cass. 1re civ., 12 mai 2016, n° 15-12360, P, concernant une clause de l’acte de cession de parts d’une société civile de notaires qui privait l’associé retrayant de son droit « aux recettes, aux bénéfices ou à tout autre actif quelconque » de la SCP à compter de la date à laquelle il avait cessé de participer à l’activité de la SCP. Un arrêté du garde des Sceaux n’ayant pris acte de son retrait que 3 ans après, l’associé retrayant avait réclamé le paiement de sa quote-part sur les bénéfices sociaux réalisés pendant ces 3 années. La Cour avait fait droit à sa demande.
  • 6.
    C. civ., art. 1844-1 ; C. civ., art. 1854.
  • 7.
    CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 23 févr. 2017, n° 15/04842.
  • 8.
    Cass. com., 26 mai 2004, n° 03-11471 : RJDA 10/04, n° 1120.
  • 9.
    CA Paris, 8 oct. 1993 : RJDA 1/94, n° 35 ; et sur pourvoi, Cass. com., 13 févr. 1996: RJDA 6/96, n° 788.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 6 sept. 2017, n° 16-13879, F-D : RJDA 12/17, n° 817.
  • 11.
    C. civ., art. 1869, al. 2.
  • 12.
    Cass. com., 4 mai 2010, n° 08-20693 : RJDA 8-9/10, n° 861 – Cass. com., 15 janv. 2013, n° 12-11666 : RJDA 4/13, n° 340 – v. aussi Cons. const., 16 sept. 2016, n° 2016-563 QPC : RJDA 12/16, n° 876.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 3 juin 1998 : BJS août 1998, n° 296, p. 962.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, nos 13-24931 et 13-27788 : Bull. civ. I, n° 94. La Cour avait censuré la cour d’appel de Paris seulement en ce qu’elle dit que le retrayant ne peut obtenir la rétribution de ses apports en capital et sa quote-part des bénéfices distribués que jusqu’au 31 juillet 2010 alors qu’il a droit à ses droits patrimoniaux jusqu’au remboursement intégral de ses droits.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24931 : Bull. civ. I, n° 94. L’associé qui exerce la faculté de retrait ouverte par l’article 18 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 (L. n° 66-879, 29 nov. 1966, art. 18) conserve ses droits patrimoniaux tant qu’il n’a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales. Encourt, dès lors, la cassation l’arrêt qui retient qu’un avocat retrayant ne peut prétendre percevoir la rétribution de ses apports en capital et sa quote-part des bénéfices distribués que jusqu’à la date de son départ effectif de la société. V. aussi Cass. 1re civ., 9 juin 2011, n° 09-69923 : Bull. civ. I, n° 110 – Cass. com., 17 juin 2008, n° 06-15045 : Bull. civ. IV, n° 125.
  • 16.
    Cass. civ., 14 juin 1865 : D. 1866, I, p. 132 ; CA Colmar, 16 juill. 1863.
  • 17.
    CA Paris, 2-1, 25 sept. 2013, n° 11/19658.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 13-24931 : RJDA 8-9/15, n° 585 ; Barbieri J.-F., « SCP d’avocats, retraits orageux ! », BJS juin 2015, n° 113p8, p. 292, rendu dans la même affaire. La Cour avait censuré l’arrêt de la cour d’appel qui n’avait pas recherché si cette stipulation n’était pas proportionnée aux intérêts légitimes de la société – Cass. 1re civ., 6 sept. 2017, n° 16-13879, F-D : Allegaert V., « Aménagement des droits du retrayant d’une AARPI et atteinte substantielle au droit de retrait de l’avocat », BJS déc. 2017, n° 117c0, p. 739 ; RJDA 12/17, n° 817, concernant la neutralisation du droit aux bénéfices en cas de retrait (de plusieurs associés).
  • 19.
    CA Rouen, 9 sept. 2004, n° 03/3287 : RJDA 2/05, n° 157, sur la nécessité d’imputer les frais à chaque associé.
  • 20.
    CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 23 févr. 2017, n° 15/04842.
  • 21.
    Cass. 1re civ., 22 oct. 2002, n° 99-20759 : RJDA 1/03, n° 38. La Cour valide les statuts d’une société civile de moyens (SCM) ayant prévu en cas de retrait d’un associé le paiement d’une indemnité forfaitaire équivalant au double du droit d’entrée dans la société. La clause contestée reflétait la volonté des associés de créer entre eux une véritable communauté professionnelle insusceptible d’être remise en cause aisément, mais leur offrant la contrepartie d’une réelle solidarité en cas de difficultés personnelles ou conjoncturelles, avec notamment un partage des gains à parts égales, indépendamment des contributions et ce, même en cas d’incapacité ; les recettes connues de trois exercices, les investissements réalisés par la SCM pendant 9 ans et l’essor local du secteur médical libéral auquel appartenait la société ne faisaient pas apparaître l’impossibilité de mettre en œuvre dans son montant cette clause.
  • 22.
    CA Angers, 28 mars 1933 : DH 1933, p. 311, concernant le remboursement d’un emprunt.
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