Sentence arbitrale et contrôle du respect de l’ordre public international

Publié le 08/04/2022

Un citoyen letton ayant acquis une banque kirghize en répondant à un appel d’offre, à la suite du changement de régime en République du Kirghizistan, la banque est placée sous administration provisoire, puis sous séquestre, jusqu’au prononcé de son insolvabilité.

L’acquéreur engage alors à Paris une procédure d’arbitrage ad hoc sur le fondement de l’Accord pour la promotion et la protection des investissements entre la République de Lettonie et celle du Kirghizistan (TBI) et du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDCI).

La République du Kirghizistan forme un recours en annulation contre la sentence arbitrale qui la condamne à verser la somme de 15 020 000 dollars à l’acquéreur et ordonne à celui-ci de lui transférer sa participation dans les actions de la banque.

Il résulte de l’article 1520, 5°, du Code de procédure civile que le juge de l’annulation doit rechercher si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est compatible avec l’ordre public international.

La cour d’appel énonce que la prohibition du blanchiment est au nombre des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la violation, même dans un contexte international, et relève de l’ordre public international, que la lutte contre le blanchiment d’argent provenant d’activités délictueuses fait l’objet d’un consensus international exprimé notamment dans la Convention des Nations Unies contre la corruption.

Elle rappelle qu’il lui appartient, non pas de vérifier si les décisions de placement sous administration provisoire puis sous séquestre de la banque ont été ou non prises légalement au regard du droit kirghize ou si les agissements de la République du Kirghizistan constituent des violations de l’obligation de traitement juste et équitable prévue par le TBI, mais de rechercher si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est de nature à entraver l’objectif de lutte contre le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d’activités de cette nature, telles que définies par cette convention.

Elle retient à bon droit qu’une telle recherche, menée pour la défense de l’ordre public international, n’est ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, son seul office à cet égard consistant à s’assurer que la production des éléments de preuve devant elle respecte le principe de la contradiction et celui d’égalité des armes.

Analysant successivement les relations ayant existé entre l’acquéreur et le président de la République du Kirghizistan en place au moment de l’acquisition de la banque, les conditions d’acquisition et les contrôles opérés sur la banque, les relations de la banque avec une autre, dont le capital était détenu par l’acquéreur, ainsi que le volume et la structure des opérations réalisées par la banque acquise, la cour d’appel, qui ne procède pas à une nouvelle instruction ou à une révision au fond de la sentence, mais porte une appréciation différente sur les faits au regard de la seule compatibilité de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence avec l’ordre public international, estime souverainement qu’il en résulte des indices graves, précis et concordants de ce que la banque a été reprise par l’acquéreur afin de développer, dans un État où ses relations privilégiées avec le détenteur du pouvoir économique lui garantissaient l’absence de contrôle réel de ses activités, des pratiques de blanchiment qui n’ont pu s’épanouir dans l’environnement moins favorable de la Lettonie.

Elle en déduit exactement que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence, qui aurait pour effet de faire bénéficier l’acquéreur du produit d’activités délictueuses, viole de manière caractérisée l’ordre public international, de sorte qu’il y a lieu d’en prononcer l’annulation.

Sources :
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