Protection sociale : un new deal pour les travailleurs indépendants

Publié le 14/05/2021

Dans son dernier rapport sur la protection sociale des indépendants, le Haut conseil du financement de la protection sociale avance plusieurs pistes pour améliorer la couverture sociale de ces travailleurs non-salariés qui pourraient immanquablement entraîner une hausse des cotisations.

Le 20 septembre 2020, le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS) a publié un rapport sur la protection sociale des travailleurs indépendants, à la demande du Premier ministre formulée en septembre 2019.

Le cahier des charges de cette institution qui fait partie du réseau d’organismes animés par France Stratégie était le suivant : éclairer sur l’équité du prélèvement entre salariés et non-salarié, le cadre juridique de l’exercice du travail indépendant, la qualité du service post régime social des indépendants (RSI) et la lutte contre la fraude en matière de travail non-salarié.

Au-delà de l’état des lieux sur ces 4 thèmes, le Haut conseil a formulé 37 propositions d’évolution, vers un new deal pour la protection sociale des travailleurs indépendants, un pacte qui reposerait sur une révision du système de prélèvement, le renforcement des droits et un nouvel équilibre entre droits et devoirs des non-salariés.

Renforcer les droits sociaux : vers une assiette unique ?

Le système de prélèvement social des indépendants est complexe, tant en raison des règles d’assiette que des prélèvements qui varient selon les situations. Loin d’être uniformes, les couvertures offertes et prestations sociales correspondantes sont également variables.

Pour la majorité des indépendants, rattachés à la Sécurité sociale des travailleurs indépendants (SSTI), il existe deux assiettes : l’assiette des cotisations correspondant au revenu net et l’assiette de la CSG qui correspond au revenu net majoré de l’intégralité des cotisations dues.

Les dirigeants de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés (IS), notamment les gérants minoritaires de SARL qui peuvent être assimilés à des salariés, sont rattachés au régime général et l’assiette correspond au revenu brut versé par la société. Pour ceux qui exercent sous la forme de micro-entreprise, l’assiette est alors le chiffre d’affaires. Les barèmes sont eux aussi extrêmement variables. Selon le régime de rattachement, les risques couverts varient : indemnités journalières (IJ) maladie, couverture arrêt de travail et maladie professionnelle (AT-MP). À cela s’ajoutent d’autres éléments de complexité : existence ou absence d’assiette minimale, de cotisations forfaitaires, de règles de plafonnement, de mécanismes d’exonération, et pour les professions libérales, d’options de cotisations par tranches.

Dans ce contexte, le Haut conseil préconise de procéder à une harmonisation des assiettes sociales des indépendants « classiques », en définissant une assiette unique pour tous les prélèvements sociaux (cotisations et CSG). Cette assiette serait constituée du revenu « superbrut » (chiffre d’affaires minoré des frais professionnels hors prélèvements sociaux) auquel serait appliqué un abattement forfaitaire. Afin de se rapprocher de l’assiette des salariés, constituée par le revenu brut, l’abattement serait représentatif de l’équivalent de la part « employeur » des prélèvements sociaux.

Selon le rapport, « à niveau de prélèvement social globalement inchangé, le poids de la CSG-CRDS serait réduit et celui des prélèvements contributifs, essentiellement ceux finançant l’assurance vieillesse, majoré, conduisant à une plus grande équité de traitement des non-salariés et des salariés ».

Selon Bruno Chrétien, président de l’Institut de la protection sociale, « les évolutions à venir doivent absolument intégrer une revendication légitime des indépendants : celle d’asseoir les cotisations sur les sommes prélevées plutôt que le chiffre d’affaires. Il y va notamment de la capacité d’autofinancement de toutes les petites entreprises indépendantes ».

Travailleurs indépendants
Nina/AdobeStock

La fin d’un modèle libéral ?

Cette évolution proposée par le Haut conseil, déjà présente dans le cadre de la réforme des retraites, signerait la fin d’une diversité de régimes qui peut correspondre à une diversité de situations choisies.

« Il ne faut pas oublier que les indépendants ont, théoriquement, la liberté de choisir leur statut, et de la sorte, de retenir celui qui leur correspond le mieux en fonction de leurs besoins de protection sociale, de leur âge, de leur situation familiale ou encore de leur patrimoine », explique Bruno Chrétien. « Enfin, ils ont également la possibilité d’améliorer leur couverture sociale en ayant recours à des complémentaires. Pour l’ensemble de ces raisons, la ligne proposée par le Haut conseil mettrait fin au modèle libéral lui-même. Cette réforme ne peut intervenir que dans le cadre d’une vaste concertation et en mesurant ce qu’elle implique réellement au regard de cette liberté des professionnels et de leur responsabilité. Certes, de trop nombreux indépendants ont une connaissance approximative, sinon erronée des prestations auxquelles ils ont droit en contrepartie de leurs cotisations. La crise économique engendrée par la crise sanitaire actuelle a illustré avec force cette carence, source de mauvaises surprises. À ce titre, la proposition du Haut conseil de renforcer et de clarifier l’information des indépendants est à souligner ».

Dividendes : vers un assujettissement des SAS ?

Parmi les mesures d’harmonisation et de lutte contre l’optimisation sociale, le Haut conseil propose de rendre applicables aux SAS les mesures anti-abus relative à l’arbitrage entre les dividendes et les revenus professionnels au sein des SARL.

Ce régime a été introduit par la loi de finances pour 2013. Il consiste à soumettre les dividendes perçus par les gérants majoritaires de SARL aux cotisations sociales, lorsque les dividendes excèdent 10 % du capital social (seule la partie excédentaire est réintégrée dans l’assiette des cotisations). Le dispositif a été mis en place pour éviter que ces dirigeants privilégient leur rémunération sous forme de dividendes (prélèvements sociaux sur les revenus du capital) au détriment de leur rémunération au titre du mandat social.

Pour l’heure, ce régime anti-abus, qui avait été à l’origine conçu pour les médecins libéraux exerçant en SEL, ne s’applique donc pas aux gérants minoritaires de SARL, ni aux présidents de SAS et SASU, formes sociales très privilégiées dans les créations d’entreprises. Le Haut conseil remet en cause « la pertinence de la coexistence de traitement différenciés alors même que ces indépendants (hors exploitants agricoles et professions libérales réglementées) sont désormais tous rattachés au régime général, d’une manière ou d’une autre ».

Lutte contre la fraude

Pour maintenir la pérennité du système contributif qui serait rénové, le Haut conseil préconise de renforcer la lutte contre la fraude sur le rattachement, les démarches déclaratives, ou l’acquittement des prélèvements. Essor de l’économie collaborative brouillant les frontières entre salariat et non-salariat, risques de travail dissimulé, salariat déguisé grâce au recours au statut de la micro-entreprise, détachement, dissimulation de recettes ou majoration artificielle des frais professionnels, optimisation fiscale permise par les différences de statut ou de régime, les pistes de fraude spécifiques aux travailleurs indépendants sont nombreuses.

À ce jour, les relations entre les organismes de recouvrement et l’administration fiscale paraissent insuffisamment articulées pour assurer une correcte prise en compte des spécificités de l’activité indépendante.

Au rang des autres actions à mener, le Haut conseil propose d’insister sur le rôle des « tiers de confiance » que pourraient jouer les organismes de gestion agrée, comme le suggèrent les travaux récents de l’Inspection générale des finances (IGF). Ces derniers pourraient être chargés de la transmission et de la correcte utilisation des données transmises par les plateformes aux administrations fiscales et sociales.

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