Adapter les règles de construction dans les DROM : un impératif de réalité enfin intégré ?

Publié le 04/03/2024

Un décret n° 2024-168 du 1er mars 2024 relatif à la réécriture des règles de construction en outre-mer a été publié au Journal Officiel du samedi 2 mars 2024. Ce décret de trois articles intéressera les maîtres d’ouvrage, promoteurs, architectes, maîtres d’œuvre et constructeurs des départements et régions d’outre-mer. Il procède en effet à une réécriture des règles de construction applicables en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte, relatives aux caractéristiques thermiques, à la performance énergétique, aux caractéristiques acoustiques et à l’aération des bâtiments d’habitation. Les explications de Me Patrick Lingibé. 

Adapter les règles de construction dans les DROM : un impératif de réalité enfin intégré ?
Vue aérienne de Cayenne (Guyane) Photo : ©AdobeStock

Il convient de rappeler deux textes législatifs importants sur ce point.

Le premier résulte de l’article 49 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance dite ESSOC qui dispose :

« I.-Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation : 1° En fixant les conditions dans lesquelles le maître d’ouvrage de bâtiments peut être autorisé, dans l’attente de l’entrée en vigueur de l’ordonnance prévue au II, à déroger à certaines règles de construction sous réserve qu’il apporte la preuve qu’il parvient, par les moyens qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des règles auxquelles il est dérogé et que ces moyens présentent un caractère innovant ; 2° En prévoyant les conditions dans lesquelles l’atteinte de ces résultats est contrôlée avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme puis à l’achèvement du bâtiment. 
En outre, cette ordonnance peut abroger le I de l’article 88 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

 II.-Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à faciliter la réalisation de projets de construction : 1° En prévoyant la possibilité de plein droit pour le maître d’ouvrage de bâtiments de satisfaire à ses obligations en matière de construction s’il fait application de normes de référence ou s’il apporte la preuve qu’il parvient, par les moyens qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des normes de référence et en fixant les modalités selon lesquelles cette preuve est apportée avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme et celles selon lesquelles les résultats atteints sont contrôlés après l’achèvement du bâtiment ; 2° En adoptant une rédaction des règles de construction applicables propre à éclairer, notamment par l’identification des objectifs poursuivis, le maître d’ouvrage sur les obligations qui lui incombent et qu’il respecte selon l’une des modalités prévues au 1° du présent II.

 III.-Les ordonnances prévues aux I et II visent à assurer que l’atteinte des résultats est évaluée dans un cadre impartial et en conformité avec les dispositions du titre IV du livre II du Code des assurances. Elles permettent un accès au marché pour des solutions en matière de construction innovantes, en prévoyant des modalités d’évaluation de l’atteinte des résultats équivalents adaptées à la nature de la dérogation.

 IV.-Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chacune des ordonnances prévues aux I et II du présent article. »

Un décret spécifique pour les DROM

Cet article 49 précité a pour objectif de réécrire intégralement les règles de construction, afin d’une part d’en clarifier la lecture et d’en faciliter l’application, et d’autre part d’autoriser l’utilisation de solutions techniques alternatives, à la condition qu’elles respectent des exigences équivalentes à celles de solutions de référence.

Le deuxième, plus spécifique à l’habitat, résulte de l’ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020 relative à la réécriture des règles de construction et recodifiant le livre Ier du Code de la construction et de l’habitation.

Au niveau réglementaire, la réécriture a été décomposée en plusieurs étapes.

Ainsi, le décret n° 2021-872 du 30 juin 2021 a recodifié la partie réglementaire du livre Ier du Code de la construction et de l’habitation et fixée les conditions de mise en œuvre des solutions d’effet équivalent a opéré une recodification à droit constant, sans changement de rédaction des articles en vigueur.

Le décret du 1er mars 2024 présentement commenté réécrit les articles fixant les règles de construction applicables en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte, relatives aux caractéristiques thermiques, à la performance énergétique, aux caractéristiques acoustiques et à l’aération des bâtiments d’habitation neufs.

Il convient de rappeler que ces cinq territoires sont régis par le principe dénommé imparfaitement Identité législative posée par le premier alinéa de l’article 73 de la Constitution aux termes duquel « les lois et règlements sont applicables de plein droit », ceux-ci pouvant « faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

Ce texte ouvre donc ainsi la possibilité de déroger aux exigences de moyens du volet thermique de la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA) applicables dans ces territoires en atteignant un résultat minimal défini par un indice de confort thermique qui devra être inférieur à un indice de confort thermique de référence, déterminé sur la base de caractéristiques thermiques de référence.

De plus, la production d’eau chaude sanitaire peut désormais être opérée, pour une part au moins égale à 50 % des besoins du logement, à partir d’une ou plusieurs sources de chaleur renouvelables au sens de l’article L. 211-2 du Code de l’énergie (définition de l’énergie tirée de sources non fossiles, tirée de l’énergie ambiante ou thermique ou tirée de la biomasse) et non plus uniquement à partir d’énergie solaire, dès lors que les systèmes considérés sont connectés au réseau électrique uniquement pour l’alimentation des auxiliaires.

L’article 1 du décret modifie ainsi le chapitre II du titre IX du livre Ier du Code de la construction et de l’habitation intitulé « Dispositions particulières à la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion et Mayotte » avec trois sections.

Thermique, acoustique, aération

La section 1 consacrée thermique et à l’énergétique est intitulée « Caractéristiques thermiques et performance énergétique des bâtiments d’habitation ». Elle comprend les deux articles ci-dessous :

Article R. 192-1 du Code de la construction et de l’habitation :

 « – I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte, les bâtiments d’habitation nouveaux et parties nouvelles de bâtiments d’habitation existants sont construits et aménagés de manière à limiter le recours à la climatisation et, pour chaque logement :

 – soit à atteindre un résultat minimal, défini par un indice de confort thermique inférieur à un indice de référence déterminé sur la base de caractéristiques thermiques de référence ;

 – soit à mettre en œuvre des solutions techniques, notamment de protection solaire et de ventilation naturelle, fixées par arrêtés.

 II. Un arrêté des ministres chargés de l’énergie, de la construction et de l’outre-mer fixe les exigences techniques, les solutions de référence et les modalités d’application du I. »

Article R. 192-2 du Code de la construction et de l’habitation :

 « I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion, tout logement neuf compris dans un bâtiment d’habitation, au sens de l’article R. 111-1, est pourvu d’un système de production d’eau chaude sanitaire. Toutefois, en Guyane, un arrêté conjoint des ministres chargés de la construction, de l’énergie, de l’outre-mer et de la santé peut exempter certaines communes ou parties de communes de cette obligation en raison de leur caractère enclavé ou de l’absence de raccordement au réseau électrique principal du littoral.

 II– En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte, lorsqu’un système de production d’eau chaude sanitaire est installé dans un logement neuf, cette eau chaude est produite, pour une part au moins égale à 50 % des besoins de ce logement, à partir d’une ou plusieurs sources de chaleur renouvelables, au sens de l’article L. 211-2 du code de l’énergie. Les systèmes considérés peuvent être connectés au réseau électrique uniquement pour l’alimentation des auxiliaires.

 III. – Le résultat minimal défini au II ne s’applique pas lorsque la parcelle sur laquelle est construite le logement ne présente pas un potentiel suffisant pour la production de chaleur renouvelable directe. »

 La section 2 consacrée à l’acoustique est intitulée « Caractéristiques acoustiques ». Elle comprend un seul article :

Article R. 192-3 du Code de la construction et de l’habitation :

« I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte, les bâtiments d’habitation nouveaux et parties nouvelles de bâtiments d’habitation existants répondent à des solutions de référence en matière d’acoustique afin de limiter les bruits à l’intérieur des locaux. Ces solutions de référence prennent en compte :

 1° L’isolation entre les différentes parties de ces locaux ;

2° La limitation des bruits engendrés par l’usage des équipements des bâtiments ;

 3° Le cas échéant, l’isolation vis-à-vis des bruits extérieurs.

 II– Un arrêté conjoint des ministres chargés de la construction, de l’environnement, de l’outre-mer et de la santé fixe les solutions de référence mentionnées au I et les modalités applicables à la construction et à l’aménagement des bâtiments précités, permettant de répondre aux exigences définies au I. »

Enfin, la section 3 consacrée à l’aération est intitulée « Aération des logements ». Elle comprend un article unique :

Article R. 192-4 du Code de la construction et de l’habitation :

 « I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte, les bâtiments d’habitation nouveaux et parties nouvelles de bâtiments d’habitation existants répondent à des solutions de référence en matière de renouvellement d’air, définies par catégories de logement selon que celui-ci est ou non climatisé et selon son exposition au bruit généré par la proximité de transports. L’aération naturelle des bâtiments est favorisée.

 II– Un arrêté conjoint des ministres chargés de la construction, de l’outre-mer et de la santé fixe les solutions de référence mentionnées au I et les modalités d’application des dispositions de l’article R. 153-1 en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte. »

Il convient de rappeler que ces cinq territoires ultramarins sont régis par le régime imparfaitement appelé d’identité législative posé par le premier alinéa de l’article 73 de la Constitution aux termes duquel « les lois et règlements sont applicables de plein droit », sauf réserve des adaptions qui peuvent en faites pour tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de chacun desdits territoires.

Les dispositions du décret du 1er mars 2024 vont dans le sens de ce que nous défendons ardemment pour l’outre-mer, à savoir la nécessaire adaptation des règles législatives et réglementaires aux cinq départements et régions d’outre-mer pour répondre aux réalités de leurs bassins de vie respectives. Cela relève de ce que nous avons appelé le Droit Différencié qui trouve son fondement et sa nécessite par le simple fait objectif que les réalités ultramarines sont liées à des réalités géopolitiques des contextes normatifs et de vie radicalement différents des référents hexagonaux et européens. Ce droit différencié doit concerner également et surtout les compétences régaliennes.

En application de son article 2, ce décret entrera en vigueur à une date qui sera définie par arrêté des ministres chargés de la construction, de l’énergie et des outre-mer et en tout cas et au plus tard le 1er janvier 2025.

 

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